GRAND FORMAT. “On a mangé la pizza devant l’ordinateur par Skype” : De Milan à Codogno, la population italienne vit à l’heure du Coronavirus

Baptiste Coulon

GRAND FORMAT. “On a mangé la pizza devant l’ordinateur par Skype” : De Milan à Codogno, la population italienne vit à l’heure du Coronavirus

GRAND FORMAT. “On a mangé la pizza devant l’ordinateur par Skype” : De Milan à Codogno, la population italienne vit à l’heure du Coronavirus

Baptiste Coulon
Photos : Roberto Cighetti
25 février 2020

L’Italie est le premier pays européen à faire état de décès dus au Coronavirus Covid-19 parmi ses ressortissants depuis la propagation de l’épidémie en Lombardie et Vénétie. 11 villes sont désormais placées en quarantaine et le dernier bilan connu fait état de sept morts et plus d’une centaine de contaminés. La Manufacture a contacté plusieurs ressortissants français et italiens dans la région de Milan et Codogno, berceau épidémique du virus dans le nord du pays. Voici leurs témoignages.

A Milan, les étudiants français s’adaptent

Pour le moment on n’a pas énormément d’informations“. Grégoire Laubie est étudiant en deuxième année à Sciences Po Paris et en échange universitaire à Milan ce second semestre. Face à la multiplication du nombre de personnes atteintes du Coronavirus, le maire de la ville a pris des mesures drastiques, en commençant par fermer les écoles et administrations publiques. De nombreuses festivités et des rencontres sportives ont été ensuite tour à tour annulées. L’université de Grégoire est donc fermée jusqu’au 2 mars, sans que l’on sache véritablement si l’établissement ré-ouvrira ses portes passée cette date. Alors, il faut s’adapter : “Certains rentrent en France comme on n’a pas cours, moi je pense partir 2-3 jours dans une autre ville en attendant de voir comment la situation évolue“.

L’Université catholique du Sacré-Cœur a fermé ses portes jusqu’au 2 mars

Pour le moment, la ville n’est pas confinée. C’est pourtant bien la crainte de Raphaël, un autre étudiant de la rue Saint-Guillaume : “j’ai surtout peur de rester bloqué en quarantaine ici” admet-il. D’autant que Raphaël a été “relocalisé” à Milan après un premier semestre écourté à Hong Kong pour cause d’instabilité politique. Une crainte partagée par Grégoire : “on n’a pas eu d’infos sur les transports en commun et les trains, tous les ”exchange” [étudiants français en mobilité à l’étranger] ont surtout peur qu’ils confinent la ville et que l’on reste bloqués“.

La piazza del Duomo est la place principale de Milan

Néanmoins, nul ne cède à la panique. Actuellement, les consignes émanent du ministère italien de la santé ; il rappelle les gestes élémentaires à pratiquer (lavage de main, tousser dans son coude) et interdit de se rendre dans les 11 villes placées en quarantaine plus au sud. “On voit beaucoup plus d’habitants avec des masques” pour autant, “je ne pense pas que la majorité des gens soit en train de paniquer” nous confie Raphaël. Gabriel est assez tranquille, lui aussi : “personnellement je prends ça très sereinement : je vais en profiter pour aller voyager un peu en Italie“. Même son de cloche pour Gabriel, autre étudiant de Sciences Po Paris : “moi je suis plutôt serein puisque je relativise en rapportant ça au nombre de cas et au taux de mortalité. Je me dis qu’il y a peu de chances d’être contaminé”. Si le nombre d’infections et de décès recensés au cours de cette épidémie dépasse largement ceux du Sras qu’avait connu la Chine en 2002, le Coronavirus présente un taux de mortalité qui n’excède pas les 2%. Le virus n’empêche d’ailleurs pas Gabriel de sortir dans la rue. Celui-ci n’a pas de conséquences notables sur son train de vie quotidien. “Je suis allé dans plusieurs pharmacies hier pour essayer de me procurer des masques et du liquide hydro-alcoolique mais toutes étaient en rupture de stock” avance-t-il. Il nous assure cependant que ni les pharmaciens ni les Milanais ne semblent inquiets, “la crainte ne se ressent pas tant que ça dans la ville, il y a du monde dans les transports – moins que d’habitude – mais la ville n’est pas déserte du tout“.

A Codogno, “les gens sont préoccupés”

Un discours qui tranche quelque peu avec celui que nous apporte Roberto Cighetti que nous avons joint par téléphone lundi matin. Ce professeur de science et d’anatomie au lycée habite à Codogno. Il s’agit d’une ville située à 50 kilomètres au sud de Milan et de l’épicentre de l’épidémie. Comme dix autres communes de Lombardie, Codogno et ses 15000 habitants sont totalement placés sous cloche. Des contrôles opérés par les militaires et les carabinieri empêchent toute entrée ou sortie de la ville. “C’est possible de sortir de la maison mais ce n’est pas conseillé, on peut aller aux magasins” nous confirme cependant Roberto. Rester loin de tout rassemblement devient la règle. De ce fait, les magasins s’adaptent: “Les supermarchés ouverts ne font entrer les habitants que par groupes de 50 personnes pour limiter la transmission du virus” constate Roberto. Et le périmètre de confinement continue de s’étendre. Une journaliste de la télévision espagnole qui réalisait un duplex depuis les abords de la ville de Guardamiglio a du couper court son intervention face aux recommandations des carabinieri lui sommant de quitter les lieux en raison de la mise en quarantaine de la ville. Et gare à ceux qui contreviennent aux contrôles opérés par les forces de l’ordre. En cas de sortie d’une ville placée sous quarantaine, le fugitif encourt jusqu’à 600 euros d’amende et 3 mois de détention, dans les cas les plus graves.

Roberto Cighetti pose devant l’église de Codogno, fermée Crédits : Robert Cighetti
De jeunes italiens bravent les interdictions de sortie et engagent une partie de foot

“Ma rationalité a pris le dessus sur la panique”

Je ne sais pas si les magasins vont ouvrir aujourd’hui. Certains supermarchés étaient presque vides car les gens ont cédé à une forme de paranoïa, mais ce n’est pas ma façon de me comporter” affirme Roberto. Lui ne se dit pas inquiet par l’épidémie et estime que “ce n’est pas quelque chose de si grave“. “Ma rationalité a pris le dessus sur la panique“. Mais tous les habitants de Codogno de ne sont pas de cet avis. Si certains comme Roberto sont assez sereins depuis les premières heures de l’épidémie en Italie, d’autres personnes sont plus inquiètes, quelques unes cédant à la peur en dévalisant les supermarchés, d’après notre interlocuteur. Mais, de son avis général : “Il n’y a pas de psychose dans la population“. L’anxiété est avant tout le fait des médias et des réseaux sociaux qui amplifient la caisse de résonance de l’épidémie. “Le plus grand mal vient de la couverture des médias qui tous les jours parlent de Codogno“. Roberto regrette qu’autant de temps d’antenne soit consacré à la couverture de l’épidémie, en particulier dans la ville de Codogno, “si chacun n’en parlait pas, ça serait meilleur” concède-t-il. Les réseaux sociaux sont également dans son viseur. Bien connus pour être des déversoirs d’informations non-confirmées ou inexactes, ces réseaux ont donné la parole à des personnes moins qualifiées que les experts et scientifiques pour saisir les tenants et aboutissants de cette épidémie, “sur tous ces groupes Snapchat, WhatsApp, les gens vont échanger des infos irréelles non confirmées qui alimentent une peur non raisonnable. C’est ça le mal“. A Codogno, comme dans une grande partie de l’Italie du nord, de nombreux rassemblements et festivités ont été interrompus ou annulés. “Même les messes ont été annulées” affirme-t-il. L’archevêque de Milan a en effet décidé de suspendre pour une durée indéterminée l’ensemble des offices dans la région de Milan : plus de 1000 paroisses sont concernées. Néanmoins, avant qu’elle ne soit mise en quarantaine, la ville a eu la chance d’organiser son traditionnel carnaval qui a rassemblé énormément de monde, une semaine auparavant. Comme pour Gabriel, Grégoire et Raphaël, Roberto doit s’adapter. Ses cours dispensés au lycée sont donc interrompus, mais il a eu l’idée de les dispenser à ses étudiants par internet. Il échange également avec eux, prend de leurs nouvelles, “il est inévitable que le lycée sera fermé au moins pendant 14 jours“.

Une rue déserte de la ville de Codogno

“On a mangé la pizza devant l’ordinateur par Skype”

Une situation qui donne parfois lieu à des scènes burlesques. Hier soir [dimanche 23 février] Roberto devait prendre un train pour Naples pour rendre visite à des amis et partager une pizza. “J’ai annulé mon voyage car le maire de Codogno nous a dit qu’il était préférable de ne pas sortir de la ville, désormais c’est interdit“. Résultat : “on a mangé la pizza devant l’ordinateur par Skype, tous ensemble mais chacun chez soi” raconte-t-il en riant. Le reste du temps il faut savoir s’occuper. “Ma mère et mon père profitent du temps dans le jardin, ils regardent nos poulets” affirme-t-il dans une nouvelle bouffée de rire. Tandis que sa mère s’occupe de la maison et téléphone à des ami(e)s, sont frère tue le temps en jouant aux jeux vidéos. Mais l’occupation est vite lassante et le confinement a finalement du bon : “avec la quarantaine, mon frère a commencé à lire et c’est un grand miracle, il ne lisait jamais avant” s’esclaffe-t-il une nouvelle fois. “Il n’y a rien à faire à part attendre” se résout finalement Roberto. Sa seule véritable crainte porte davantage sur le secteur économique qui risque de pâtir des conséquences de l’épidémie. De nombreux habitants de la ville de Codogno travaillent à Milan et ne peuvent pas s’y rendre. Les restaurateurs sont également préoccupés pour l’économie, mais il assure que le gouvernement n’envisage pas dans l’immédiat d’aller jusqu’à mettre en quarantaine la ville de Milan : “les conséquences économiques seraient trop importantes et cela risque de générer une peur inutile“. Le gouvernement a pris des mesures “précautionneuses” et Roberto est confiant pour la suite, “je suis positif, j’ai bon espoir que ça se termine surtout si les personnes arrivent à garder leur calme et la tête froide“.

La Manufacture ©

Rédaction : Baptiste Coulon

Photographies et vidéos : Roberto Cighetti

Mise en page : Baptiste Coulon

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée.

Aller à la barre d’outils