Clément Rabu
Samedi, 8h47. La gestuelle est presque la même que trois heures avant, bras et mains qui se meuvent dans un sens ou dans l’autre, un peu n’importe comment. Dans l’état de fatigue que sont les participant.e.s, juste à l’heure, c’est d’abord un peu…déroutant. Pourtant, à la différence de cette soirée du MAD sucrée de son prof de danse Maxime Bonhomme (qui vient tout juste de finir son inflammation du dance floor), les différents signes mimés sitôt sont en fait une première initiation à la démocratie participative. Les participants, dans un soucis d’efficacité, utiliseront désormais le “chapeau pointu” plutôt que le traditionnel “CHUUUT” pour demander le silence, alors que les applaudissements se voient remplacés par un remix de la danse des marionnettes…
Certes l’essentiel n’est pas là. Si une soixantaine d’étudiant.e.s sont réuni.e.s dans l’amphi A de Sciences Po Lille un samedi, c’est qu’il y a tout de même une raison, un enjeu qui dépasse les seules frontières de l’IEP. D’abord, l’initiation aux règles de la démocratie participative proposée en lien avec l’association La Bascule, si elle a pu faire sourire certain.e.s au début, fut un cadre essentiel pour un week-end chargé. Chacun doit pouvoir être écouté afin que les propositions finales émanent d’un maximum de personnes et non “de deux ou trois leaders”. Puis, outre la forme, ces journées ont d’ambitieux objectifs : produire des plans d’actions concrets pour la lutte contre le réchauffement climatique à l’échelle locale, proposés aux candidat.e.s à la mairie de Lille et de la Métropole Européenne Lilloise (MEL) en fin de convention.
Dans un monde complexe, l’échelle locale est une opportunité pour faire les projets de transition
L’équipe d’Homoecolorictus avait donc du pain sur la planche et une certaine incertitude dans l’organisation d’un événement inédit à l’échelle nationale. Vendredi soir, la conférence inaugurale de Majdouline Sbai lançait d’ailleurs la convention avec un succès mitigé, la qualité de l’intervenante ne se substituant pas au public parsemé de l’amphithéâtre. Pourtant l’oratrice, ancienne de la maison et au curriculum (très) bien rempli grâce à sa vie militante et politique centrée sur l’écologie, inscrivait parfaitement son propos dans ce leitmotiv d’une réflexion à l’échelle territoriale. “Dans un monde complexe, l’échelle locale est une opportunité pour faire les projets de transition. Sinon cela dépasse notre entendement et on ne fait rien”. Elle assure que ces petits pas locaux sont la clé du changement : “C’est moins impressionnant qu’un homme en cravate de 60 ans qui promet 15 milliards c’est sûr, mais ça marchera mieux que des promesses !”.
Par ailleurs, la sociologue et ingénieure en environnement, mutualisant l’apport de ses différentes formations, s’est concentrée sur une production dont on ne connaît pas assez l’impact environnemental : la mode. L’industrie du textile est en effet extrêmement polluante. En cause, les émissions de gaz à effet de serre (1,8 milliard de tonnes donc davantage que le transport maritime et aérien), son importante consommation d’eau (la 3ème en irrigation dans le monde), et la pollution des milieux, notamment avec les pesticides (la filière textile utilise 25 % des pesticides du monde). A travers son livre Une mode éthique est-elle possible ? (Rue de l’Échiquier, 2018), Majdouline Sbai tente de politiser le sujet et de proposer de solutions grâce au circuit court. Le local s’il a un avantage écologique sur la mondialisation peut aussi être une réponse à la crise démocratique, pense-t-elle. Il suffit d’établir un constat : les premières victimes de cette mondialisation sont les ouvriers, familiers du chômage de masse, et souscrivent largement au vote Rassemblement National (RN)… Bref, l’adhérente des Verts tentait ce soir là d’amener un discours “non anxiogène”… mais en affirmant paradoxalement que “l’effondrement est déjà en cours”. Le cadre est posé pour les participant.e.s, pas de quoi altérer leur enthousiasme cependant.
Samedi, 10h12. La soixantaine d’étudiant.e.s, désormais mieux réveillé.e.s, se répartissent en cinq comités : Acheter, Vivre, Se Divertir, Manger, Habiter. Ils seront accompagnés de facilitateur.trice.s et d’expert.e.s pour les aider à construire des plans d’actions concrets et réalisables. Ces dernier.e.s, ingénieur.e, professeur.e ou même journaliste ont répondu bénévolement à l’invitation d’Homoecolorictus. Alice Le Roy, professeur à Sciences Po Paris et initiatrice des jardins partagés dans la capitale était l’une d’eux : “j’ai trouvé une jeunesse déterminée, curieuse et en train de s’organiser”. D’autant plus organisée qu’on divise les comités en sous-comités pour une efficacité encore un peu meilleure. Les groupes de travail sont ainsi réduits à cinq personnes maximum, optimisant la productivité. Les experts veillent et déconstruisent d’ailleurs certains préjugés. Barbara Nicoloso, ingénieure chez Virage Energie, épaule le groupe Numérique : “Si on lit un PDF plus de dix minutes, c’est plus écologique de l’imprimer”.
Entrecoupé de parties de ping-pong endiablées et de pauses repas 100% bio succulentes, le travail des étudiant.e.s en est venu à son terme juste à temps dimanche midi. Désormais, les rôles s’inversent, les candidat.e.s s’installent pour écouter les plans d’action, 10 au total, créés de toute pièce ce week-end. Les vieux écoutent les jeunes. Interdire les nouveaux panneaux publicitaires, faire respecter l’interdiction d’éclairage des vitrines de magasin la nuit, élargir la loi anti-gaspillage aux supermarchés de moins de 400m² très présents en centre-ville : des projets concrets applicables dès le début du mandat municipal se sont ainsi enchaînés sous l’oreille attentive des femmes et hommes politiques. Davantage à moyen-terme mais non moins réalisable, l’objectif de cantines bio et locales, le “slow-tourism” et le projet de “Braderie Verte” faisaient réagir dans l’assemblée. Thomas Ladonne, étudiant à Sciences Po Lille en première année précise le projet partagé avec ses trois collègues de faire de la Braderie le point de lancement d’une transition climatique ambitieuse : “la Braderie est par excellence le lieu de l’économie circulaire, nous voulons en faire l’événement modèle pour sensibiliser et agir face au changement climatique. (…) A terme, l’objectif c’est de créer un collectif de braderies vertes pour étendre ce projet à l’échelle de la MEL.” Dans le détail, le plan d’action s’étend sur divers points, d’un objectif “zéro déchet” à la création d’une Rue du Troc, proposition particulièrement appréciée par Valérie Petit, député de la 9ème circonscription du Nord et formant le trio de la liste Tous pour les Lillois emmené par Marc-Philippe Daubresse (LR).
En effet, le droit de réponse des candidat.e.s qui s’en ait suivi faisait rentrer les choses dans l’ordre : les jeunes écoutent les vieux. Plus à l’aise en tant qu’orateur.trice.s, ces dernier.e.s ont pour autant moins répondu concrètement aux propositions des étudiant.e.s qu’exposer leur programme sur l’écologie à Lille, à une semaine des élections… Tout de même, chacun.e a souligné que cette expérience de démocratie participative avait rendu des projets pertinents qui, évidemment, étaient totalement en adéquation avec leur programme ! Cependant, dans leur rôle de commentateur.trice.s, ils soulignent ce qui leur a moins plu. Stéphane Baly (Lille Verte 2020, EELV) réitère un reproche qu’il avait déjà fait à ses concurrents lors du débat télévisé : “Certes, vous proposez une accentuation des transports doux et en commun mais vous ne remettez jamais en cause la place de la voiture dans Lille !”. Le partisan d’un “nouveau contrat social de mobilité” insiste :”Les Hollandais.es ne sont pas né.e.s avec des rayons et un guidon dans les mains, nous devons changer notre perception sur la façon de se déplacer”. Audrey Linkenheld, représentante de la liste de Martine Aubry, a quant à elle regretté que le logement ne fasse pas l’objet d’un traitement plus conséquent. Elle réagissait aussi sur le projet “d’un parc Saint-Sauvage” opposé au projet de la mairie actuelle de construire une piscine sur la friche Saint-Sauveur. Ce fut objectivement le projet étudiant le plus ambitieux de l’après-midi, qualifié d’utopiste par la socialiste : ” Sur 23 ha, 80% du sol est bétonné sous la terre donc non ce n’est pas un espace naturel mais artificiel. Nous voulons une désartificialisation mais pour environ 50% du site.” Pourtant, les deux derniers candidats présents militent dans le sens de la proposition étudiante. Julien Poix (Décidez pour Lille, LFI) affirme être le seul à promouvoir le zéro construction sur le site de l’ancienne gare lorsque Claude Lenglet qui représentait Violette Spillebout (Faire Respirer Lille, LREM) dit vouloir préserver “ce poumon vert”.
L’échelle de la municipalité n’est toutefois pas suffisante. Il faut nécessairement élargir les frontières vers la Métropole Européenne de Lille (MEL) qui dispose des réels leviers politiques pour entamer la transition. Voilà pourquoi, de nombreux.ses candidat.e.s à la MEL ont pris la parole dans cette dernière partie de la convention. Qu’ils soient de Mons-en-Baroeul, Loos, Tourcoing, Roubaix, les prétendant.e.s, souvent de listes revendiquées de gauche (EELV, LFI,…) ont vanté une mise en commun des décisions. A différents niveaux d’engagement, ils ont signé le Pacte pour la Transition de la Métropole de Lille, déclinaison du pacte national, qui a pour objectif d’engager les candidat.e.s sur 34 mesures concrètes pour lutter contre le réchauffement climatique. Sur les 142 principales listes de 48 communes de la MEL, 49 listes ont souhaité s’engager, soit plus du tiers des listes (il faut retenir au moins 10 mesures sur les 34 proposées). Parmi les bons élèves, on retrouve Stéphane Baly engagé à 99% au même titre que Simon Jamelin candidat à Hellemmes, qui distancent de peu Julien Poix (97%). Plus modeste, Martine Aubry obtient un niveau d’engagement de 61%, le plus mauvais score des cinq candidats à Lille représentés ce week-end (absence du RN).
On va tout faire pour que ces projets soient entendus, et certains appliqués
La convention s’achève sur une déclusion, néologisme plus connu dans le dictionnaire par le nom de “bilan”. Les étudiant.e.s sont “fatigué.e.s” mais soulignent à l’unisson “une très bonne expérience”. Yanis relativise de ses grasses matinées perdues : “Moi qui ne suis pas forcément trop engagé dans la cause, ça m’a un peu ouvert la conscience notamment sur les alternatives possibles à l’échelle municipale”. La soixantaine de participant.e.s a d’abord fait dire à Robin Perera, étudiant et membre de l’équipe organisatrice, qu’il tirait “un bilan mitigé” du week-end là où l’on attendait plus de monde. Il nuance pourtant : “Les petits groupes ont finalement permis une bonne efficacité”, lui qui se dit surpris de la grande qualité des travaux rendus. Son collègue Matthieu Vigour, à l’origine de l’idée de cette convention avec Romain Cauliez et Nicolas Dejean, vantait dans la même lignée cette “expertise de l’usager” qui a permis selon lui la proposition de solutions directement applicables. “On va tout faire pour que ces projets soient entendus, et certains appliqués” affirme Lila Vancrayenest, elle aussi sociétaire de l’association d’Homoecolorictus.
Evidemment et heureusement, il reste des points à améliorer. La complexité du processus de prise de décision et le pouvoir politique de la MEL restent encore flous pour la plupart des étudiant.e.s qui n’ont pas eu une formation sur le sujet. Puis, malgré la présence notable de quelques lycéen.ne.s, attirer davantage d’étudiant.e.s hors Sciences Po reste aussi un objectif… pour un éventuel renouvellement l’année prochaine ? Certain.e.s sont déjà motivé.e.s et à l’égard des élections régionales de 2021 il y a un réel enjeu pour une transition écologique de plus en plus pressante. “La région dispose de beaucoup de pouvoirs dans l’aménagement du territoire, c’est une grande opportunité” souligne une experte.
On pourra tout de même s’affecter d’un dernier bémol à la conclusion de cette convention : le manque de médiatisation. Je finirai à la première personne pour toutefois n’engager que moi. Fidèle, La Manufacture était évidemment là… Mais même s’il nous coûte de rester modestes, il faut avouer qu’un seul média, aussi talentueux soit-il, ne sera pas suffisant à alerter le plus grand nombre. Alors, certes, il y a eu ce journaliste de la Voix du Nord… Resté top chrono moins d’une heure après une photo en poche, il titrait lundi une des proposition étudiante -d’ailleurs celle retenue comme marquante par la deuxième de la liste de Martine Aubry, Audrey Linkenheld- : “Un casque et une cape de pluie pour un abonnement V’Lille”. Infantilisant, aberrant, décourageant, ce n’est pas la proposition en elle-même que je discute ici- je m’excuse par avance envers les étudiant.e.s l’ayant formulé- mais bien le traitement de celle-ci. Comme un symbole, une génération en retard, enfermée dans, moins qu’un pragmatisme, une véritable paresse, je reste sans voix face au presque déni de la crise climatique qui, non, ne sera pas sauvée par des accessoires vélo mais par du courage dont ont fait preuve d’autres propositions. Alors quitte à sacrifier un stage chez nos cher.e.s journalistes nordistes, je préfère le dire : vous n’avez rien compris. La critique facile et l’ironie condescendante auront peut-être raison de ma jeunesse mais cette dernière n’apparaît que bien seule face à l’énorme défi qui nous attend.
Rendez-vous l’année prochaine.
Rédaction & mise en page : Clément Rabu
Crédits photo : Homoecolorictus & Wambrechies écolo et citoyenne