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Conférence d’Andrei Kourkov: “Il faut sauver le mythe européen!”

A quelques mois des élections européennes, quoi de mieux que de se confronter à un autre regard sur notre continent pour en questionner les mythes et les valeurs ?

Andrei Kourkov nous en donne l’occasion ce mercredi après-midi au sein de l’amphithéâtre de l’ESJ. Russe d’origine, vivant à Kiev, marié avec une anglaise ce poète complet pose cette fois-ci  l’intrigue de son nouveau roman en Lituanie puis dans toute l’Europe. Il en ressort donc un mélange surprenant de différentes visions de  l’Europe et de ses idéaux qui apparaissent à la fois naïfs, tragiques ou rationnels.

Le fait même que l’auteur ait dû changer le nom de son livre en fonction du lieu de publication est significatif de l’existence de différents points de vue au sujet de l’Europe, parfois très opposés. Il explique en effet qu’en Ukraine le livre a été publié sous le nom d’ Une histoire de Schengen. En effet, l’Europe et  l’espace de libre circulation des hommes qui lui est associé, font là bas allusion à un certain romantisme. Alors qu’au contraire « Schengen » , en France, renvoie l’image d’une Europe technocratique, sérieuse,  dont beaucoup sont « allergiques » selon les propos de l’auteur. Ainsi, le roman a donc été rebaptisé Vilnius, Paris, Londres  pour ne pas effrayer les lecteurs francophones.

Le mythe européen en question

A travers ce roman, Andrei Kourkov questionne donc l’idée que chacun se fait de l’Europe. Il s’agit ainsi avant tout d’une histoire de voyage dans différentes parties de l’Europe pour observer cette unité supposée, pour vérifier si  l’idée européenne fait l’objet d’un mythe ou si elle est bien réelle.

Le cadre est ainsi posé en Lituanie, jeune pays au sein de l’Union Européenne mais qui a pourtant une grande histoire européenne selon les Lituaniens qu’Andrei Kourkov a sondé. Ce roman présente donc une certaine nouveauté dans le sens où il s’agit du premier roman de l’auteur Sans Ukraine et sans Ukrainien, lui qui vit à Kiev depuis que ses parents ont émigré de Russie sous Brejnev. C’est donc au moment de l’entrée de la Lituanie dans l’espace Schengen en 2007 que débute l’intrigue. Comme beaucoup de Lituaniens, deux couples décident d’en profiter pour partir tenter leur chance en Europe. L’un à Paris, l’autre à Londres, un troisième couple restant en Lituanie en espérant également profiter de ce nouveau vent de changement qui souffle sur le petit pays. Mais la condition d’étranger qu’ils se verront imposer dans leur pays d’accueil va vite doucher leurs espoirs européens.

Un vieux sage qui traverse l’Europe à pied et en autostop avec une jambe de bois le sait bien lui : « ces jeunes européens sont trop naïfs ». Ou encore « moins un homme possède d’extrémités, plus il utilise sa tête » est-il écrit, comme pour mettre en valeur ce sage qui connait l’histoire de ce continent divisé et qui déplore ainsi ces jeunes candides qui « adorent l’Europe mais ne savent pas comment elle fonctionne ». Toutefois ce roman lance également un message d’espoir à la jeunesse lituanienne puisque le récit montre que le couple resté au pays a finalement mieux réussi. Celui-ci a en effet crée une start-up pour colorer les animaux de compagnie. On y découvre alors le côté surréaliste des aventures du romancier ukrainien, qui en a fait sa marque de fabrique. Une auditrice russophone relève en effet que paradoxalement c’est ce côté « bizarre » qu’elle apprécie moins mais  que tous ses amis français adorent.


Kourkov-couverture

“Le nouveau rêve européen”

Cette « fantasy », Kourkov la justifie par le besoin de produire une littérature positive, décalée, sur l’Europe qui est, selon lui, essentiellement abordée chez nous, sous les traits de non-fiction, assez tristes dont il assure que « si elles étaient publiées en Ukraine, entraineraient la disparaître du mythe Européen ». Il faut donc « sauver le mythe européen » proclame-t-il.

En Ukraine, l’Europe est en effet synonyme de liberté et associée à un certain nombre de pratiques et valeurs qui font rêver. « Allez donc voir à Moscou pour vous rendre compte de vos libertés » conseille-t-il à l’assemblée. Et même contre les objections, l’auteur soutient que l’intégration dans l’UE a permis à de nombreux pays, dont la Lituanie, de s’enrichir et de devenir plus stable. Pour lui, les Lituaniens ont ainsi remplacé le « rêve américain » par un nouveau « rêve européen », qui est selon lui plus réaliste parce que plus proche.

Partir ou rester ?

Dans un pays qui a déjà perdu 30% de sa population, cette vision de l’Europe, est souvent reliée avec l’idée de l’immigration. Ainsi le romancier met en avant la nostalgie du pays et le « syndrome du travailleur immigré » qui envahissent assez vite les deux couples en exil. Il montre aussi qu’il y existe une certaine « hiérarchie » au sein même des migrants où les clichés sur chaque nationalité sont très présents. Le rêve de l’immigration semble donc être condamné à se briser sur la réalité. Avant d’émigrer il faut donc y être bien préparé.

La réalité rattrape la fiction

Cette réalité c’est également celle qui rattrape le poète dans son travail de tous les jours. Il indique notamment que pendant les évènements de Maiden en Ukraine, il a dû interrompre son travail d’écriture car « quand la réalité est trop agressive [ il ] ne peut plus écrire de fictions ».

Andrei Kourkov

Une petite histoire pour parler de la grande

C’est pourquoi ce qui importe pour lui aujourd’hui c’est le rapport à l’histoire.  C’est ce qu’incarne le vieillard qui traverse l’Europe à pied et sauve les idéalistes en ressentant la douleur de tous les Européens. Pour les « gens modernes », l’histoire ne serait plus importante. C’est un danger, selon le romancier, qui avertit que si on ne va pas aux racines de chaque problème on accepte alors tout sans se poser de questions. Ce phénomène entraîne alors une légèreté croissante de la littérature qui est dommageable pour lui.

Enfin dans le cadre de son invitation par le club de la presse, Andrei Kourkov est revenu sur le métier de journalisme qu’il effectue également parallèlement à son activité romanesque. Pour lui le journalisme en Ukraine risque de se retrouver à faire un « travail de police ». Il déplore en effet le fait que les journalistes choisissent des cibles pour combattre la corruption et qu’ils soient financés par des fondations soutenues par les Américains pour tendre vers ces objectifs.

L’action de l’Europe et de ses valeurs ne sont donc pas toute roses non plus. Ce roman est donc un appel à la réflexion et la mesure sur les sujets essentiels que sont l’Europe et l’immigration. Il faut selon le romancier sans cesse questionner les mythes pour ne pas devenir « naïf ». Pour cela le rapport à l’histoire est, selon lui,  le meilleur des outils.

 Alban Leduc

Un grand merci à Clémence Labasse (élève à l’ESJ) qui illustre l’article par son dessin d’Andrei Kourkov, qui le représente durant la conférence