Alors que le gouvernement traine à voter un budget qui puisse faire face à la dette de l’État français, on entend beaucoup parler de la “taxe Zucman”. Né à Paris en 1986 Gabriel Zucman a enseigné à l’université américaine de Berkeley et enseigne aujourd’hui à l’ENS. C’est dans un amphithéâtre plein que le vendredi 21 novembre il s’est exprimé sur son livre Les milliardaires ne paient pas d’impôt sur le revenu et nous allons y mettre fin à l’occasion d’une conférence organisée par l’Arène l’intitulé “Quelle politique fiscale pour plus de justice sociale ?”. Le livre fait en effet suite à constat frappant: les milliardaires ne paient pas d’impôt sur le revenu.
Concrètement ça veut dire quoi ?
En fait, le français moyen paie selon lui 51 % de prélèvements obligatoires. Ce taux est obtenu grâce à une division de l’ensemble des prélèvements obligatoires en France par l’ensemble des revenus touchés par les Français.es. L’Insee révèle que les classes populaires paient à peu près 45% de prélèvement obligatoire (TVA et CSG, cotisations sociales), les classes moyennes 50% (TVA, CSG, impôts sur le revenu et souvent taxe foncière) et les plus aisés vers 52 à 53% ( les taxes mentionnée avant et impôt sur les sociétés). Le chercheur défend qu’il faudrait plutôt s’en réjouir car c’est la contrepartie d’un modèle social, éducatif, de santé et d’infrastructures publiques stables et de qualité au cœur de la croissance économique et de la démocratie. Mais il est vrai qu’en général tous les français payent en moyenne 50% d’impôts.
Tous sauf, les milliardaires. L’institut des politiques publiques à l’école économique de Paris démontre dans un travail que les milliardaires ne paient que 25 % de prélèvements obligatoires, seulement 2% d’impôt personnel sur les revenus, la fortune immobilière, les impôts acquittés par les entreprises dont ils sont actionnaires. Cet impôt sur les sociétés est payé à moitié en France, le reste dans un pays tiers où leur entreprise est localisée. Concrètement si les milliardaires s’installent aux îles caïmans le revenu de la France ne baisserait que de 0,03%.
Mais alors, comment cela se fait-il que la France soit un paradis fiscal pour milliardaires ?
L’impôt progressif sur le revenu est une grande invention démocratique républicaine du XIX-XXe siècle, mais les milliardaires n’y sont pas encore rentrés. En France, ils ont recours de façon systématique aux sociétés holding faisant écran à l’impôt.
Dans les faits, leur richesse principale, les actions, ne sont pas détenues directement par les milliardaires eux-mêmes mais par les sociétés holding, dont les dividendes sont considérés par l’État comme non taxables. Là est le cœur de l’échec collectif à imposer convenablement les grands patrimoines.
La solution: taxer les riches, oui, mais surtout les taxer bien
Au regarde de ce que les etats unis font de mieux où les ultra riches payent 9% d’impôts sur le revenu on remarque que l’optimisation via les holding y est impossible depuis que le New York Times avait révélé qu’entre 1931 et 1932 JP Morgan, grand milliardaire de l’époque, n’avait pas payé d’impôt sur le revenu. Un scandale qui a donné lieu à des réformes qui ont fait disparaître les sociétés holding de l’autre côté de l’atlantique. Mais quant aux mesures à appliquer en France on comprend que ce n’est pas suffisant, la taxation des milliardaires aux états unis est toujours très faible.
Vient ensuite une proposition : le principe de l’impôt plancher. Celui-ci s‘attaque à toutes les formes d’optimisation fiscale quelle qu’elle soit car elle établit un minimum. Le minimum ne peut être calculé en fonction d’un pourcentage du revenu – comme proposé par Barnier l’année dernière – comme il n’est pas représentatif de leur richesse mais plutôt en fonction du patrimoine. La proposition penche vers 2% de taxation, un taux qui permettrait de s’assurer que les milliardaires paient autant que les autres catégories sociales, c’est-à-dire 30% du revenu comme le rendement sur le patrimoine est à peu près équivalent à 6 % et 2% de 6% donne un tiers. Si l’on ajoute à cela les impôts sur les sociétés déjà payés on obtient à peu près à 50 % comme toutes les autres catégories sociales. La taxe concernerait les foyers fiscaux avec un patrimoine de 100 millions d’euros et plus parce que c’est ce seuil où le recours aux sociétés holding devient quasi systématique et l’impôt sur le revenu s’évapore. En fait, l’impôt plancher part de ce que les foyers paient déjà, si c’est égale à 2 % ou plus de votre patrimoine rien ne sera ajouté. Ce seuil est selon lui abaissable seulement si le taux d’imposition finirait par rejoindre la moyenne déjà établie.
Une question de justice, « du bon sens »
Selon Zucman, sa proposition est consensuelle, tout le monde serait d’accord avec l’idée que les milliardaires devraient payer autant d’impôt que les autres français et françaises. Il n’y a pas de droit à payer zéro quel que soit le mérite ou la nature de la richesse. D’ailleurs, il appuie la possibilité d’une progressivité de l’impôt. Mais pour le moment, cette proposition semble réellement ce que le chercheur appelle « Du bon sens » et surtout une question de justice.
En effet, le principe d’égalité devant la loi dans la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen, l’article 13 dispose du principe d’égalité devant les charges publiques dont l’interprétation minimaliste faite par le Conseil Constitutionnel a été que l’impôt ne devrait pas être régressif. Pourtant le constat fait est que les lois françaises actuelles bafouent ce principe. La mesure proposée serait donc une mise en conformité des lois fiscales françaises dans leur acception minimaliste.
La mesure présentée n’est donc pour lui qu’un strict minimum mais dont l’acceptabilité dans le débat public et à l’assemblée nationale et au sénat est encore en jeu et c’est la raison de sa venue. C’est aussi la raison pour laquelle il a répondu dans une seconde partie de la conférence à de nombreuses questions qui cherchaient à déceler les potentielles failles de cette mesure.
L’argument selon lequel l’argent les holding ne serait pas vraiment propriété des ultra riches est simplement faux, il suffit de regarder comment il est utilisé: acheter plus d’action, de l’immobilité des médias, toutes ces acquisitions et investissements dont jouissent directement de la propriété des holding. Quand ils veulent consommer, en principe cette sortie d’argent est fiscalisée mais elle n’a en réalité jamais lieu car leur consommation est très faible par rapport à leur revenu et même quand ils consomment ils peuvent faire usage de prêts bancaires ou bien consommer de façon illégale par la confusion entre propriété personnelle et celle de l’entreprise. Mais dans tous les cas, les personnes qui possèdent les holding contrôlent les investissement de la boîte, l’argent est donc bel et bien à eux.
Vis à vis de l’exode fiscal, il faut relativiser.
Zucman explique que ce n’est pas une fatalité mais un choix de politique publique: aux Etats-Unis la politique est de payer d’impôts aux États Unis où que l’on vive. En France, si l’on s’exile immédiatement, on n’est pas taxé en France. Le chercheur défend que l’impôt plancher devrait continuer à appliquer pendant quelques années au moins 5 ans voire 10 à 15 ans. Il imagine même que l’impôt s’efface au cours du temps par fraction. Pour lui, c’est intolérable que si l’on devient milliardaires en France et par conséquent, qu’on a bénéficié des infrastructures publiques payées par les contribuables, il y ait un droit à ne pas contribuer après. Pourquoi les pays ne taxent pas encore ? Parce qu’ils se disaient que ce serait trop compliqué de le mettre en pratique. Zucman explique que c’était vrai jusqu’à 2018 avant que le secret bancaire ait été réformé et qu’il soit devenu plus facile d’évoluer vers ce système.
Une entrave à l’innovation en France ?
Une question met aussi en avant le fait que Philippe Aghion, prix Nobel d’économie 2025, soit contre la taxe: un de ses arguments principaux est qu’elle entraverait à l’innovation en France. En réponse à cette critique, Zucman argumente que la taxe ne provoquent que très peu d’incitation. 1800 foyers fiscaux seraient touchés or l’innovation n’est pas faite par 1800 personnes en France, quant à ceux qui pourraient devenir riche dans le futur il est peu plausible que cela les dissuade de se lancer pour autant. D’ailleurs, Zucman retourne cet argument. Ce qui compte pour les créateurs d’entreprises, ce ne sont pas les taxes mais la qualification des collaborateurs et donc la qualité de l’enseignement supérieur, des infrastructures publiques (de transport, de communication et d’énergie), un accès à un marché et éventuellement les impôts de l’entreprise mais pas leurs impôts personnels.
L’effet désincitatif est limité alors que les effets positifs seraient loin d’être nuls: cet argent gagné devrait selon lui être dépensé dans l’université et la recherche moteurs de l’innovation, de la productivité et de la croissance qui ont été largement négligées – la dépense publique pour l’enseignement supérieur et la recherche par étudiant à baissé de 22% entre 2012 et 2025. L’urgence numéro un pour Gabriel Zucman est d’ investir dans les universités et notre recherche.
Et si les milliardaires n’ont pas assez d’argent ?
Une crainte des propriétaires est d’être dépossédés de leurs entreprises s’ils n’ont pas les liquidités. Mais Zucman explique que les gens visés auraient largement de quoi s’acquitter de la taxe avec leurs revenus propres, comme on ne taxerait que 2% sur les 6% de rendement par an. Bien trop souvent, les milliardaires organisent leur propre illiquidité pour échapper à l’impôt sur le revenu. Quand bien même il y a une véritable illiquidité, de façon similaire à l’impôt sur les successions, on pourrait permettre d’étaler les paiements dans le temps ou de payer en nature – avec des actions des entreprises. Cela ne forcerait pas pour autant la vente des entreprises françaises à l’etranger car la puissance publique deviendrait propriétaire d’actions, simplement, au fur et à mesure l’entreprise de la personne fera du profit et le propriétaire n’aura plus besoin de donner des actions à l’état. Et puis, ce n’est pas crucial pour les créateurs d’être propriétaire de leur l’entreprise, par exemple, Sam Altam, fondateur de Open AI possède 0 pourcent et développe tout de même l’entreprise. Les actions possédées par l’État pourraient en revanche devenir un fond dont bénéficierait l’ensemble de la collectivité nationale. Elles pourraient être aussi revendues en priorité aux salariés de l’entreprise en question, susceptible de renforcer la performance. Ces achats représentaient donc un léger transfert vers l’état mais ne feraient que prendre part à la vie naturelle d’une start up, de la dilution de la part de possession.
Les propositions de l’Assemblée nationale: jamais efficaces
Taxe zucman allégé, le retour de l’isf, et taxe sur la patrimoine financier ( non professionnel) sont des propositions de l’Assemblée Nationale mais ne sont pour lui pas pertinente. l’isf était un grand échec: les plus grandes fortunes en étaient exonérées depuis le départ car si l’on possède 25% des actions d’une entreprise (la définition ‘etre tres riche) c’était jugé “outil de travail” donc exonéré d’impôt sur la fortune. Autrement dit, les milliardaires n’ont jamais payé l’isf.
La taxe Zucman “light” s’y apparente aussi, elle entendrait d’exonérer à partir de la possession de 50% des actions d’une entreprise, c’est comme un impôt régressif au final. Zucman appuie que dans tous les cas, dès qu’on crée des exonérations une machine d’optimisation fiscale se lance.
De même, l’impôt sur la fortune immobilier proposé, créer une taxe de 2% sur les holding a l’exception en fait de tous les patrimoine des holdings, nommément les actions, il ne resterait quasiment, qu’un impôt sur les liquidités dormantes qui lui aussi a fini par être enlevé à l’Assemblée.
Une taxe “très conservatrice”
Ce commentaire de Joseph Stiglitz est jugé pertinent par Zucman. Il pense qu’il faut aller nettement au-delà de 2%,que c’est un taux nécessaire mais pas suffisant. Les plus grandes fortunes de France ont augmenté de 10% en moyenne par an depuis 30 ans, quand le patrimoine des Français moyens n’a augmenté que de 4% par an. Avec la taxe à 2 %, elle augmenterait encore 2 fois plus que le français moyen. Selon le magazine Challenge, les 500 plus grandes fortunes de France en 1996 possédait 6% du PIB, 12% en 2010 et en 2024, 42% du PIB. Les ultra riches en France sont dans une situation d’ultra privilège, de concentration excessive des capitaux. Pour les stabiliser, il faudrait 6 % de taxe pour les réduire, au-delà. 2% serait quand même une petite révolution dans l’organisation de la solidarité nationale, ça voudrait dire que la démocratie s’étendrait enfin à tous ses membres.
Les critiques preuve de l’importance de la réforme
Zucman a été le sujet de plusieurs tentatives de discrédit: Bernard Arnaud le traite de “militant d’extrême gauche “, Marine Le Pen déclare que la taxe est “stupide et nocive”. Pour le chercheur, ces attaques sont juste une preuve que ce qu’il propose touche juste, ce ne sont pas des attaques de fond car ils n’ont pas d’argument substantiels forts. Face à ces critiques, on trouve aussi un soutien majoritaire considérable, l’IFOP trouve 86% de français en soutien à la taxe dans moyennement toutes les sensibilités politiques.
En fait la taxe Zucman permettrait de limiter l’accroissement du pouvoir des milliardaires en fait c’est pour qu’elle ne les réjouit pas. Il s’agit de véritablement remettre en question le principe de ne pas contraindre l’accumulation des richesses sans contribuer à la collectivité. La fortune pour les milliardaires c’est leur pouvoir, les rachats influent sur l’idéologie, les politiques publiques et les marchés.
Et puis, personne n’est en dehors des lois, faire passer des lois qui vont dans ce sens donnera de l’espoir en le pouvoir de la puissance publique. La déconnexion entre volonté populaire et proposition institutionnelles ne durera pas longtemps, mais dans la situation budgétaire, politique et géopolitique actuelle on ne peut pas se permettre d’attendre longtemps pour autant.

