Les 30 dernières années de luttes contre le réchauffement climatiques n’ont pas permis d’infléchir la courbe des émissions carbone. Comment croire alors que la COP24, présentée comme le rendez-vous de la dernière chance, inversera la tendance?
Que reste-t-il de l’accord de Paris ?
Il y a trois ans, Laurent Fabius ému aux larmes annonçait l’adoption d’un accord historique à Paris ratifié par 196 États. L’aura de la COP21 aurait pu laisser croire à un moment clé dans les réglementations climatiques, un point de non-retour après lequel les États commenceraient à réduire leurs émissions. Trois ans plus tard, l’espoir a laissé place au cynisme. La quasi totalité des pays dont les dirigeants se bousculaient pour être sur la photo des accords de Paris freinent des quatre fers pour prendre des mesures à la hauteur de l’enjeu. Non seulement les émissions de gaz a effet de serre n’ont pas diminué, mais un rapport de l’ONU du 27 novembre dernier a fait l’effet d’une douche froide en annonçant leur augmentation en 2017. Cette hausse peut s’expliquer en partie par l’augmentation de la consommation de charbon par de nombreux pays. En tête de liste la Chine, puis l’Inde qui vient de dépasser les Etats-Unis. Pour le secrétaire général des nations unies Antonio Guterres, le constat est simple « les engagements pris à Paris ne sont pas tenus ».
Comme un face à face sordide, l’absence de volonté politique se heurte à la multiplication de rapports scientifiques martelant l’urgence de la situation. Parmi lesquels, le rapport du GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) commandé par la COP21 pour servir de base scientifique au rassemblement de cette semaine. En évaluant différents scénarios d’évolutions des émissions de gaz à effet de serre, il montre l’importance de limiter le réchauffement climatique à 1,5° par rapport à l’ère pré-industrielle. Au-delà de ce seuil les conséquences du réchauffement climatiques seront démultipliées : vagues de chaleur, extinctions d’espèces, déstabilisation des calottes polaires, montée des océans. Pour y parvenir des transitions extrêmement rapides et ambitieuses dans les domaines de l’énergie, des transports, du bâtiment et de l’agriculture sont préconisés. A l’inverse, si les tendances actuelles se poursuivent, nous allons vers un réchauffement planétaire de 3,2°C d’ici à la fin du siècle.
La Pologne, pays hôte de l’évènement, reflète cette schizophrénie dangereuse entre promesses diplomatiques et inertie politique. Alors que le ministre polonais de l’environnement en charge de la COP24 n’hésite pas à décrire son pays comme un des leader de l’action climatique pour avoir accueilli trois conférences des parties, la Pologne reste complètement dépendante aux énergies fossiles. Deuxième pays européen émetteur de CO2, le gouvernement polonais ne semble pas disposé à abandonner sa politique pro-charbon, vecteur de son indépendance économique. Au comble de l’ironie, l’entreprise polonaise JSW, premier producteur de charbon en Europe, parraine la COP 24. Des militants de Greenpeace ont escaladé la cheminée de la centrale électrique de Belchatow le 27 novembre pour dénoncer l’incohérence de la politique de Varsovie.
Pourquoi cette inertie politique ?
Ce décalage flagrant entre les mots et les actes n’est pas propre au sujet climatique. C’est le lot de beaucoup de grandes conférences internationales d’adopter d’excellentes résolutions sur à peu près tous les sujets (santé, éducation, enfance, droits des femmes…) pour les oublier aussitôt les dirigeants rentrés dans leurs capitales. Pratiquer la politique de la chaise vide dans ces grands sommets planétaires est impossible. Le risque d’être montré du doigt par les opinions publiques, voire de subir des sanctions économiques est trop grand. Il faut donc faire bonne figure. Être présent sur la photo finale. Puis chacun chez soi.
La realpolitik préside toujours aux grands principes, et malheureusement le climat n’échappe pas à la règle. Le premier pays pollueur du monde, la Chine, a ratifié l’accord de Paris pour éviter d’être mis sur le banc de touche. Dans la réalité ses émissions de gaz à effet de serres ne cessent d’augmenter à mesure que sa consommation de charbon, de pétrole et de gaz s’accélère. Même si Pékin tente de s’ériger en champion de la transition écologique, allier son modèle de croissance économique avec la réduction des émissions est impossible. À la liste des gros pollueurs s’ajoutent des pays comme l’Inde ou encore la Pologne, totalement incapables de respecter l’accord de Paris. Vecteurs de leur indépendance économique, les gouvernements respectifs sont extrêmement réticents à diminuer leurs émissions carbones. Les États développés s’étaient engagés à verser 100 milliards de dollars aux États vulnérables pour les aider dans leur transition énergétique. Le « Fonds vert pour le climat » prévu à cet effet vient à peine de dépasser la barre de 10 milliards. En comparaison, au moment de la crise de 2008, les pays européens à eux seuls ont dépensé plus de 4000 milliards d’euros pour sauver les banques.
Le mauvais exemple vient aussi des grandes puissances. Le 1er juin 2017, Donald Trump annonçait le retrait des États Unis de l’accord de Paris même si, en réalité, une période de quatre ans est nécessaire à un retrait effectif. Et le nouveau président brésilien, Jair Bolsonaro, refuse l’organisation de la COP25 au Brésil. Quant à l’Union Européenne, appelée à montrer l’exemple, elle s’avère incapable de respecter ses engagements.
Dans un tel contexte d’impuissance, quel sera alors le rôle de la COP24?
L’objectif de la COP est clair : fixer les règles précises de l’application de l’accord de Paris avant l’ultime rendez-vous de 2020, date d’entrée de son entrée en vigueur. Si les deux COP précédentes n’ont pas beaucoup fait parler d’elles, le rendez-vous de Katowice est présenté comme le sommet de la dernière chance. Pourtant, aucun chef d’État n’a pour l’instant confirmé sa venue.
L’un des points que l’on suivra avec attention dans cette COP 24 concerne les financements de la transition écologique. Le « Groupe des pays les moins avancés » estime qu’ils sont largement insuffisants et tentera d’obtenir des engagements crédibles de la part des pays développés. Deux nouveautés au programme : le « Plan d’action de Katowice pour la transition juste » se concentrera sur l’accompagnement des travailleurs employés dans le secteur des énergies fossiles, et le « dialogue de Talanoa », une nouvelle méthode de discussion utilisée pour assouplir les positions nationales grâce au partage de récits personnels.
Alors que la situation est urgente, les chances de la COP24 de provoquer une réaction à la hauteur sont infimes. Mais espérer enrayer le changement climatique sans la participation des États est vain. De même qu’attendre patiemment l’épuisement des ressources fossiles pour espérer une réduction des émissions est dangereux. Seul le volontarisme politique, accompagné d’une insurrection des sociétés civiles peut nous permettre d’éviter le pire. Les COP restent des moments de mise à plat des données scientifiques, d’échanges d’informations sur les niveaux d’émissions et d’opportunités d’alliance entre les pays les plus vulnérables. C’est déjà ça.
Raphaëlle Thuleau