En décembre 2016, la bataille d’Alep touche à sa fin. Le monde occidental assiste incrédule à la chute de la ville dans les mains du régime de Bachar Al-Assad. Un père poste sur Twitter: « This is a call and might be the last call. Save Aleppo people. Save my daughter and other children ». Face à la tragédie d’Alep qu’Internet nous a fait vivre en direct, nous parlons, nous partageons, nous échangeons, nous essayons de comprendre aussi. Mais un terrible sentiment d’impuissance finit par reprendre le dessus. Après, vient, non pas l’oubli, mais l’impression que la situation s’est apaisée. Alors on y pense moins. Il n’en est rien pourtant. Si la bataille d’Alep a pris fin dans d’atroces circonstances, la guerre en Syrie, elle, continue. Alors pour ne pas oublier, ce qui est dans nos cordes c’est d’en parler, de comprendre.
Que se passe-t-il en Syrie ?
C’est au printemps 2011 que l’on peut dater le début de la guerre civile syrienne, qui s’inscrit dans le cadre plus général des Printemps arabes. Des opposants au régime de Bachar Al-Assad, au pouvoir depuis 2000, réclament un régime plus démocratique. Ce sont les « rebelles ». La guerre est d’abord essentiellement syrienne. Six ans plus tard, les acteurs ne sont plus seulement locaux mais également régionaux et internationaux. La situation se complexifie de jour en jour, au fur et à mesure que les acteurs et que les intérêts s’enchevêtrent.
Une guerre civile opposant quatre camps
Il y a tout d’abord le régime de Bachar Al-Assad, déterminé à garder le pouvoir et dont les forces rebelles sont l’ennemi « numéro un ». Sous ce terme générique de « rebelles », on trouve un ensemble complexe de forces parmi lesquelles l’armée syrienne libre. Face à l’armée du régime de Bachar Al-Assad et aux forces rebelles, s’ajoutent deux autres acteurs qui ont profité du conflit syrien pour imposer leurs revendications. Les Kurdes d’abord. Ils sont dispersés sur plusieurs pays de la région et revendiquent un Etat propre : le Kurdistan. Ils combattent les rebelles mais leur ennemi principal reste l’Etat Islamique, le quatrième acteur du conflit syrien. Fondée en Irak, l’organisation islamique s’est propagée en Syrie, profitant de la déstabilisation du pays.
A l’échelle régionale, un conflit religieux
La Turquie et l’Arabie Saoudite sont deux pays sunnites, religion qu’ils ont en commun avec les insurgés syriens. Ils les soutiennent donc, par intérêt religieux, à travers l’envoi d’armes et d’argent. De son côté, le président syrien Bachar Al-Assad appartient à une minorité alaouite et compte sur le soutien des forces chiites de la région. Parmi ces dernières, l’Iran, le gouvernement de Bagdad en Irak et le Hezbollah libanais. La chute du régime syrien aurait pour effet de couper l’axe qui permet à Téhéran de ravitailler le Hezbollah en missiles. C’est donc un conflit plus large entre l’Islam sunnite et l’Islam chiite qui se tient en Syrie.
Source: La Croix, 2012.
Le prisme des alliances internationales
Le régime syrien bénéficie du soutien de la Russie. Si la raison officielle du soutien de Moscou à Bachar Al-Assad est la lutte contre l’Etat Islamique, dans les faits, les frappes russes visent essentiellement les rebelles syriens. Par ce soutien à Damas, Vladimir Poutine cherche notamment à maintenir Assad au pouvoir, seul allié dans une région stratégique marquée par l’influence américaine. De leur côté, rebelles et Kurdes sont épaulés par les Etats Unis et la coalition internationale associée. Ce soutien n’est pas comparable à celui qu’apporte la Russie à Bachar Al-Assad. Les frappes de la coalition visent les positions de l’Etat Islamique et cherchent principalement à obtenir une transition politique en Syrie sans Bachar Al-Assad, ainsi que l’éradication de l’Etat Islamique. En pratique, les Kurdes devraient être les alliés de la coalition. Mais les choses ne sont pas si simples. La Turquie, membre de la coalition, craint de voir l’avènement d’un grand Kurdistan autonome. Ankara bombarde ainsi les bases arrières kurdes en Irak et les positions des milices kurdes syriennes. Ces attaques sont condamnées par la coalition internationale mais la position diplomatique est difficile à tenir puisque la Turquie bombarde également l’Etat Islamique, depuis les premiers attentats djihadistes sur son sol, à l’été 2015. En outre, la position géographique de la Turquie en fait un acteur essentiel de la crise syrienne. D’une part car elle accueille plus de deux millions de réfugiés syriens et d’autre part, parce que c’est par elle que transitent les nouvelles recrues de l’Etat Islamique. La frontière entre les camps n’est donc pas si évidente à l’échelle du monde, ce qui complexifie un peu plus ce confit multidimensionnel.
Et maintenant ?
Après Alep, un silence médiatique s’est à nouveau abattu sur l’Occident. On reparlera de la prochaine tragédie syrienne, quand il sera trop tard et que nous y assisterons, démunis, depuis notre écran d’ordinateur. Pour tenter d’agir, des artistes, parmi lesquels Olivier Py ou Denis Podalydès, ont signé un texte dans Le Monde appelant à une rencontre publique, le 15 mars, à l’Institut du monde arabe. On y lit: « Les Syriens ont tant souffert. Comme tous les peuples du monde, ils méritent de vivre en démocratie, libres et égaux. Leur sort ne saurait nous indifférer, car il engage la notion même d’humanité ». Alors pensons aussi à notre rôle de citoyen. Nous avons une carte à jouer en mai 2017. En fonction de notre choix, la France accueillera peut-être des réfugiés syriens dans des conditions acceptables. Rappelons-nous qu’ils ne viennent pas profiter du « système », comme se plaisent à le croire certains. L’accueil des réfugiés nécessitera une véritable coopération européenne, dont l’Europe sortira grandie. Si elle ne fait pas cet effort, c’est la fin annoncée du rêve des « Etats-Unis d’Europe », mais c’est par dessus tout un manque d’humanité. Car accueillir les réfugiés syriens est un devoir, d’êtres humains envers d’autres êtres humains.
Elise Dejean