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“Catalexit” : tension palpable entre Madrid et Barcelone

Le bras de fer entre Madrid et Barcelone n’est pas fini et ne risque pas de s’achever de sitôt. «La Catalogne a gagné le droit de devenir un État indépendant, d’être écoutée et respectée» a, en effet, proclamé le Président de la Generalitat, Carles Puigdemont, mardi 10 octobre, lors du discours suivant le résultat du référendum d’autodétermination catalan. L’opposition avec l’État espagnol ne cesse donc de se creuser et les regards sont tous tournés vers Barcelone. Car, il ne s’agit pas d’un problème propre à la péninsule ibérique : à l’heure où s’accroissent les revendications nationalistes, le cas catalan met en lumière, quelques mois après le Brexit, les difficultés de l’Europe à atteindre son objectif d’intégration.

«La Catalogne sera un État indépendant sous la forme d’une République». Les mots du démocrate catalan Carles Puigdemont, raisonnent, aujourd’hui, dans tous les esprits et l’incertitude atteint son paroxysme. Zoom sur ce que certains appellent déjà le « Catalexit ».

Indépendance et Catalogne : une vieille histoire

Pour comprendre les enjeux actuels, il semble nécessaire de prendre du recul. L’histoire de la Catalogne n’est pas nouvelle et s’écrit depuis plusieurs siècles : l’identité régionale s’est, en fait, constituée dès la naissance du Royaume d’Aragon en 1132 ! Depuis ce jour, le drapeau « sang et or » n’a cessé de conquérir le cœur des catalans et de faire grandir l’espoir d’une existence étatique indépendante.

Resurgissant au XIXième siècle sous l’occupation napoléonienne puis pendant la Guerre Civile -Barcelone ayant été un bastion républicain- et lors de l’élaboration de la Constitution de 1978, le caractère catalan s’est indéniablement forgé au fil des siècles. La volonté autonomiste de la population a d’ailleurs été relativement satisfaite : de larges droits lui ont été octroyés. Mais les fervents défenseurs de la Nation catalane ne comptent pas s’arrêter là ; cette autonomisation croissante pousse les plus séparatistes à réclamer une indépendance totale alors même que « l’unité indissoluble de la nation espagnole » est inscrite dans la Constitution de 1978. Tout le problème actuel réside dans ces faits.

Référendum 2017 : « la Catalogne a gagné le droit de devenir indépendante » ?

Particulièrement bouleversée par les attentats de cet été, la Catalogne a fait face à une montée en puissance des revendications autonomistes. Suite au drame, les accusations contre la police catalane n’ont, effectivement, pas amélioré la situation. Face à ces tensions, les séparatistes ont désormais obtenu gain de cause. La loi sur l’organisation du scrutin, votée par la majorité indépendantiste au parlement catalan en septembre dernier, a bel et bien abouti ! Le référendum d’autodétermination, organisé -de manière illégale d’après ses détracteurs- le 1er octobre 2017 a consacré, à 90 %, la victoire de ces derniers. Alors que l’effervescence se fait sentir dans les milieux séparatistes, Madrid compte rester ferme. Ne souhaitant pas négocier avec les indépendantistes, Mariano Rajoy à déclaré qu’il n’y avait « pas eu de référendum » et qu’aucune médiation ne serait « possible entre la loi démocratique et la désobéissance, l’illégalité». Il n’exclut pas, d’ailleurs, l’utilisation de l’article 155 de la Constitution espagnole, susceptible de priver la Catalogne de son autonomie en cas de résistance des dirigeants indépendantistes.

Le dialogue semble cependant engagé car, face aux recommandations de Bruxelles -qui appelle à un respect de l’ordre constitutionnel-, Carles Puigdemont laisse la porte ouverte à la discussion. Il a énoncé, à ce propos, que « la Catalogne [avait] gagné le droit de devenir indépendante mais [que] les effets de ce référendum [allaient] être suspendus le temps du dialogue avec Madrid ». Dialogue qui semble compliqué au vu des tensions qui déchirent le pays.

Une escalade des tensions

« Nous, représentants démocratiques du peuple de Catalogne, dans le libre exercice du droit d’autodétermination, et d’accord avec le mandat reçu des citoyens de Catalogne, constituons la République catalane, comme État indépendant et souverain, de droit, démocratique et social » a solennellement déclaré le Président de la Generalitat, mardi 10 octobre, provoquant quantité de réactions.

Les premières se matérialisent au niveau économique. Face au risque de « Catalexit », certaines entreprises (Abertis, Gas natural…) et grandes banques catalanes prennent les devants, encouragées par Madrid. Ainsi, après l’annonce de Sabadell, c’est au tour de la troisième banque nationale CaixaBank d’envisager le transfert de son siège social hors de la région. Le FMI tire, dès lors, la sonnette d’alarme sur les dangers d’une sécession financière : les esprits s’échauffent…

Et ce n’est pas tout, les failles se creusent sur l’aspect juridique. Hostiles à ce scrutin, les autorités madrilènes avaient saisi, il y a plusieurs semaines, le tribunal constitutionnel qui a invalidé les textes adoptés par le parlement catalan pour la mise en œuvre de ce référendum. Quelle en est, dès lors, la légitimité ? A cette question, certains indépendantistes déclarent que les citoyens vont plus loin que la loi, et que, quand cette dernière ne va pas, il faut la changer. Mais à 43 % de participation au scrutin, de telles revendications sont-elles justifiées ? Ces interrogations sont soulevées au sein même du camp séparatiste : les divisions se creusent entre les tenants d’une ligne radicale et ceux d’une ligne négociée.

Quel avenir pour la Catalogne  ?

A l’heure de l’incertitude, l’indépendance soulève des problématiques toujours plus nombreuses. En tête d’affiche, les questions économiques et politiques : « l’Union européenne ne connaît qu’un État membre, qui est l’Espagne » a rappelé Pierre Moscovici, commissaire européen aux Affaires économiques et financières. Alors même qu’elle peine à se relever de la crise de 2008, comment la Catalogne gérera-t-elle sa sortie de la zone euro ?

Mais, au-delà de ces questionnements, le référendum d’autodétermination catalane soulève un problème plus profond : celui de l’incapacité de l’Europe à faire face à la montée des régionalismes. Faut il respecter le droit des peuples à disposer d’eux mêmes ou faire respecter le droit des États qui se sont lentement construits et affirmés depuis le XVIième siècle ?

«Les conséquences dépassent largement notre pays, et il ne s’agit pas d’une simple question locale, mais d’une affaire européenne» affirmait Carles Puigdemont le 1er octobre. Après le Brexit, l’indépendance de la Catalogne pourrait, en effet, raviver les vieux espoirs basques ou écossais, fragilisant un peu plus l’Union européenne.

Marie Catelain