Mardi 17 octobre, les étudiants de Sciences Po Lille ont eu la chance de voir 120 battements par minute et de rencontrer Philippe Mangeot, co-scénariste du film et président de l’association Act Up-Paris de 1997 à 1999.
Début des années 90. Alors que le sida tue depuis près de dix ans, les militants d’Act Up-Paris multiplient les actions pour lutter contre l’indifférence générale.
Nouveau venu dans le groupe, Nathan va être bouleversé par la radicalité de Sean.
Voilà l’histoire de 120 battements par minute. Après 2h30 dans l’obscurité, les noms commencent à défiler. Les lumières se rallument. Ce fût une claque certaine, les murmures dans la salle en témoignent.
Après quelques mots du directeur Benoît Lengaigne, Philippe Mangeot prend un micro pendant que l’autre circule dans la salle. S’en suit un échange riche en informations, tant sur le film lui-même que sur la lutte réelle qu’il met en scène.
Un souci du réalisme
Une étudiante ne comprend pas le manque de représentativité des particularités des femmes et des étrangers dans le film alors qu’il se veut défenseur des minorités. M. Mangeot rétorque : Sean est chilien et deux femmes sont des personnages centraux du film, l’une distribue la parole lors des réunions hebdomadaires, l’autre est chef de l’action publique. Deux rôles importants dans l’association donc, même si le co-scénariste avoue que l’histoire développe surtout les personnages masculins de Nathan et de Sean. Il explique également que Robin Campillo et lui-même ont voulu se rapprocher le plus possible de la réalité : Act Up est une association de malades du sida, ils ont lutté “en première personne depuis leur propre maladie” et étaient majoritairement des hommes homosexuels blancs. Les scénaristes ne voulaient donc pas trahir cette réalité par un souci de représentation de toute la population touchée par cette maladie.
Questionné par un autre étudiant, Philippe Mangeot a éclairé le lien entre réalité et fiction dans ce film. Cela peut se résumer en une phrase : “Tout est réel mais rien ne correspond à aucune personne qui ait véritablement existé”. Seuls les personnages de Marco et d’Hélène, sa mère, ont réellement existé et ont donné l’autorisation d’être présents complètement dans le film. Chacun des autres personnages est une somme de caractères inspirés de personnes réelles. Se cachent derrière ce choix plusieurs raisons que nous expose le co-scénariste. D’abord, la fiction est vue comme une voie d’accès à la vérité car il est impossible d’être absolument fidèle aux véritables personnes. Mais c’est surtout un souci de réception du film qui explique le choix de la fiction plutôt qu’un film sur le mode du biopic : en plus de faire un film au présent en n’enfermant pas les acteurs dans un mimétisme des années 1990, il fallait permettre à chaque membre d’Act Up de cette époque de voir le film et “de retrouver ses fantômes sans se les prendre en pleine face”.
Le bilan d’une lutte ?
Si le film n’est pas non plus forcément proche de la réalité au niveau de la fin car la lutte associative contre le sida a porté ses fruits, ce n’est pas pour autant que le co-scénariste considère la reconnaissance de leur action n’est pas complète dans le cas français. En effet, si les associations en elles-mêmes sont relativement reconnues, les membres ne le sont pas par la société et surtout par le monde du travail qui préfère les voies plus officielles des études. L’auto-institution n’est pas de règle en France : certains des membres, qui avaient abandonné leurs études pour s’engager dans l’association, ont dû les reprendre pour entrer sur le marché du travail. Pour Philippe Mangeot, un problème est aussi présent dans la prévention des pouvoirs publics : étant donné que la majorité des malades traités ne sont plus contaminants, il faudrait inciter massivement au dépistage pour éviter la contamination. Malheureusement, les associations se trouvent aujourd’hui dans un certain attentisme face aux pouvoirs publics car elles n’ont plus les moyens humains et financiers d’agir pour faire bouger les choses.
C’est avant tout pour passer la main aux nouvelles générations que ce film a été réalisé. Certes, Philippe Mangeot et Robin Campillo voulaient raconter l’histoire pour la terminer par ceux qui l’ont vécu, pour ne pas laisser le poids final à ceux qui veulent l’oublier. Mais le film veut surtout créer un désir de s’engager, une énergie politique chez les nouvelles générations : il transmet l’idée qu’il faut partir d’une revendication personnelle, “de quelque chose qui ne va pas chez soi-même”, avant de s’attaquer aux gros problèmes présents dans la société.
120 battements par minute est donc une invitation à se mobiliser pour que les choses bougent : un film fortement conseillé !
Fantine Dufour