Ebdo, c’est le petit nouveau en kiosque, sorti pour la première fois le vendredi 12 janvier 2018 et fondé par les créateurs du trimestriel XXI, Patrick de Saint Exupéry et Laurent Beccaria. Le projet est ambitieux : revenir à la réflexion, redéfinir le contact avec les lecteurs, décentrer les sujets et préférer la prise de recul à l’excitation. L’hebdomadaire projette en effet de révolutionner le journalisme en étant complètement indépendant (“cent pages et sans publicité“) et en prenant le temps d’être clair et accessible à tous.
Au coeur du projet ebdo se place également l’espoir de ressusciter le papier dans une époque où la presse écrite connaît une sévère crise. Critiqué pour l’absence d’un support web, P. de Saint Exupéry explique : “Chaque univers a sa pertinence. Le papier a la sienne […] la modernité n’est pas de décliner sur internet mais d’utiliser internet pour la relation avec le lecteur”. Le journal opère donc un double rapprochement : celui du journaliste et de son lecteur, et celui du lecteur avec le papier.
EBDO : POURQUOI COURIR ?
Plutôt que de mettre au courant, préférer informer; plutôt que de courir après le scandale médiatique, prendre le temps de comprendre la situation : c’est le rêve de la rédaction qui compte vingt-cinq plumes, dont cinq en régions. Mais sans buzz, comment vendre ? Si le journal veut rester indépendant et “à haute valeur ajoutée” (selon son manifeste), il lui faut vendre et fidéliser. Le pari est audacieux : miser sur le désir des lecteurs d’avoir accès à de longs articles de qualité, originaux et analytiques plutôt qu’à des infos dans l’urgence que tous les médias relaient.
Dans ce magnifique songe journalistique, les abonnés s’emballent et leur nombre augmente : avant même de publier son premier numéro, le journal compte 8 000 pré-abonnés et parvient à lever 410 000 euros grâce aux lecteurs et investisseurs, ce qui représente la plus grosse levée de fonds en France pour un média. Ebdo attire en effet les curieux que la rédaction rencontre à l’occasion de son tour de France, notamment aux conférences organisées dans des universités comme Sciences Po Lille, l’ESJ et le Celsa. Aujourd’hui, le magazine compte un peu plus de 15 000 abonnés et espère voir le chiffre grimper d’ici la fin de l’année.
L’AFFAIRE HULOT : COMMENT DISTINGUER LA VOLONTÉ D’INFORMER DU DÉSIR DE BUZZER ?
Mais le 9 février, c’est le drame. Ebdo, qui se distinguait des médias traditionnels et s’éloignait du scoop, publie une enquête sur le témoignage d’une femme accusant le numéro trois du gouvernement de viol. En pleine période #Metoo, “L’affaire Hulot” fait la une : le journal rappelle le dépôt d’une plainte pour viol en juillet 2008 contre le ministre de la transition écologique et solidaire. Les faits étant prescrits, l’affaire avait été classée sans suite.
Outre les attaques de la classe politique suite à la publication de cette enquête – réalisée sur une période de quatre mois selon L. Beccaria – ce sont les lecteurs qui se voient les plus affectés de ce revirement. “Que diable allaient-ils faire dans cette galère ?” interroge des centaines de mails adressés à la rédaction. Twitter n’est pas en reste : après avoir salué avec enthousiasme les premiers numéros, le cinquième laisse une fausse note. Beaucoup de lecteurs se sentent trahis, dupés par un énième journal qui a fait comme les autres : remuer ciel et terre pour trouver le scoop de la semaine.
Ce scandale provoqué par le scandale dit beaucoup de ce que nous attendons du nouveau journalisme : qu’il aille voir ailleurs ce qu’il s’y passe. La concentration du regard médiatique sur la sphère politique parisienne lasse les lecteurs qui nourrissent un appétit pour l’information locale et plus originale. Mais c’est là que se niche le problème : quand un journaliste a une information vérifiée, il peut la publier, peu importe le lieu où se passe la situation, et peu importe ce que l’on attend de lui . “Publier est notre vocation” se défend ainsi le journal face à l’ampleur de la polémique.
Dans une réponse aux courriers des lecteurs, la rédaction d’ebdo précise sa décision : “Vous êtes nombreux à nous reprocher d’avoir voulu faire un “coup”, un “scoop” dans le but de faire parler et de vendre. […] Si, en revanche, faire un coup, c’est peser sur le débat public et publier des informations que personne n’avait révélées jusqu’à présent, alors oui, on peut parler de coup. Nous avions un choix journalistique à faire : garder cette information au chaud ou la publier“. L’indépendance du journal leur permettant de publier cette enquête, la rédaction a préféré assumer ces informations que de les ranger dans le tiroir.
TOUT EST PARDONNÉ
Dans le sixième numéro d’ebdo, la direction de la rédaction – Patrick Saint Exupéry et Constance Paniatowski – revient dans son édito sur la “campagne de communication de crise de grande ampleur” adressée au journal. Consacrant six pages aux réactions des lecteurs et prenant le temps d’y répondre, la rédaction prouve qu’ebdo n’est pas un magazine traditionnel et ne fait pas fi de ses lecteurs. Au contraire, les lecteurs sont le coeur d’ebdo : plus qu’un journal, c’est une communauté.
La fin de l’édito donne le ton pour l’avenir du magazine : “Ebdo continue son chemin”. Entendez : ce qui doit être publié le sera, quelle que soit la réaction provoquée, et quelles que soient les personnes visées.
Reconnaître dans le cinquième numéro une volonté d’informer plutôt que de se faire connaître est chose difficile quand le doute s’est installé dans la lecture. Mais ce doute n’empêche pas de reconnaître la qualité et l’originalité des articles qui encerclent ladite enquête, ni de renoncer entièrement au projet. Coup médiatique ou réel devoir journalistique ? Le nouveau journalisme anti-sensationnalisme a maintenant la lourde tâche de placer le mur entre les deux.
Anne-Lyvia Tollinchi