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“C’est le propre de Sciences Po : on débat sur ce qui peut être amélioré.”

Dès lundi, le tome 2 de @FranceEcoSocial sera mis en vente ! Un projet porté par les étudiants de la spécialité Affaires publiques et gestion des biens communs de Sciences Po Lille dans le cadre du cours d’actualité et culture économique dispensé par Philippe Liger-Belair. La Manufacture est partie à la rencontre de trois étudiants ayant participé à la rédaction de cet ouvrage, afin de comprendre l’intérêt de cette aventure pédagogique et intellectuelle et ainsi susciter la curiosité des futurs lecteurs. 

@FranceEcoSocial revient donc pour une deuxième édition intitulée Vers une France réformée ? qui permet aux étudiant(e)s de Sciences Po Lille de prendre la parole sur les sujets les plus brulants de la société. Le livre se divise en sept articles d’une vingtaine de pages chacun ; un format très plaisant qui laisse libre cours aux envies du lecteur. 

Nous avons notamment pu nous entretenir avec Auriane Lemaire, Pierre Laloux, et Benjamin Plard, auteurs de l’article : “Quel avenir économique pour le monde du football ?”

Pouvez-vous nous parler du processus d’écriture de l’ouvrage qui parait assez original au vu du nombre d’étudiants impliqués dans le projet (82) ?

Benjamin Plard : Tout d’abord, il y a eu une phase assez longue et fastidieuse où nous devions constituer des revues de presse avec les principaux titres quotidiens et hebdomadaires français, afin d’en dégager des mots clés et d’en tirer les grands thèmes de l’actualité économique. Il en est ressorti une quinzaine de thèmes.

Auriane Lemaire : Une fois les grands thèmes trouvés nous nous sommes mis à écrire un article par groupe de trois ou quatre maximum. Pour chaque thème, des étudiants se portaient volontaire pour écrire à ce sujet. S’il y a avait trop de volontaires, ils étaient départagés grâce à une course de chaises roulantes (rires) ! Nous concernant, nous avons été chanceux car nous étions les seuls à vouloir traiter le thème du sport. Après cette étape, il fallait réduire le champ du sujet, nous nous sommes donc tournés vers nos revues de presse et deux possibilités s’offraient alors à nous : les Jeux Olympiques ou le football. Chaque groupe s’est ensuite appliqué à faire des recherches plus poussées et plus précises avec des lectures davantage spécialisées, voire scientifiques, afin de creuser leur sujet et étayer leur réflexion.

PL : Il a ensuite fallu sélectionner 7/8 articles sur les 20 écrits. Une pré-sélection a été réalisée par notre professeur M. Liger-Belair qui a noté les articles. Les moins bons ont été éjectés mais ils étaient peu nombreux. Ce sont enfin les étudiants qui ont voté pour les articles qui méritaient d’être publiés, ce qui a donné lieu à des présentations en amphi où chacun essayait de défendre et de justifier la place de son article dans le livre.

Quel a été le rôle de M. Liger-Belair dans la création de l’ouvrage ?

AL : Son rôle était déjà de porter le projet et de le défendre au niveau administratif puisque cette façon d’enseigner n’y est pas forcément appréciée. Il était également là pour nous aider dans nos recherches mais son rôle est devenu plus déterminant à partir de la phase de sélection des articles.

PL : Personnellement j’ai bien aimé la manière dont il se positionnait. Il écoutait, par exemple, notre ressenti pour pouvoir améliorer le projet. Mais encore une fois, son rôle le plus important était celui de la relecture des articles et de leur correction, car nous sommes des étudiants et non des économistes. Néanmoins, le plan de l’article et les idées qui y sont développées viennent de nous ; ce n’est pas lui qui nous a dicté quoi écrire dans les articles.

AL: Par exemple, nous avons refusé des reformulations qu’il nous avait proposées. Autre chose que je trouve appréciable de sa part, c’est d’avoir mis le nom des 82 étudiants même si tout le monde ne figure pas dans le livre.

PL : Sans oublier que c’est aussi lui qui a géré tout le côté édition, les négociations avec l’éditeur, la mise en page et le format. C’est un travail que nous n’avons pas eu à faire car nous avons arrêté d’élaborer l’article à la fin du premier semestre. Il a donc fait un véritable exercice de lobbying auprès de son éditeur et un travail avec l’administration afin de promouvoir le livre. 

Quelles difficultés avez-vous pu rencontrées ?

AL : Le travail de groupe est un exercice qui peut s’avérer difficile. Il y a eu des tensions au sein de quelques groupes lorsque certains se donnaient à fond et d’autres étaient un peu moins impliqués. Les membres d’un même groupe peuvent également ne pas être d’accord sur la façon d’aborder l’article. Ce genre de conflits a pu influencer la disqualification de l’article. De plus, comme il s’agit de donner son opinion dans les articles, lorsque les avis divergent au sein même du groupe, la cohésion devient très délicate. Notre trio, lui, s’est plutôt bien entendu.

BP : Les étudiants se répartissant les parties de l’article à rédiger, s’ils ne sont pas d’accord entre eux, l’article est amené à se contredire. Il se retrouve divisé alors que le but premier est la continuité entre les idées.

AL : Le problème qu’on a personnellement rencontré est qu’aucun de nous n’avait le même style d’écriture. Il semblait alors que nous avions trois articles différents au lieu d’un !

Quel était l’objectif de votre ouvrage ? 

AL : À l’origine ce livre est un projet pédagogique. Le fait de le vendre et qu’il soit lu n’est pas le but principal. Ça reste important parce que c’est un exercice qui est nouveau, intéressant, participatif et qui a plein de qualités en soi, mais nous savons très bien que nous n’allons pas en vendre des milliers, d’ailleurs il n’a été tiré qu’à 500 exemplaires.

PL : Il y a toujours l’aspect pédagogique, que ce soit dans la conception des articles ou dans la promotion du livre, assurée par des étudiants du Master Communication de Sciences Po Lille qui se sont proposés.

AL : L’idée est une certaine transmission de promo en promo, le livre arrive quand les 5A commencent à partir donc nous avons participé à la vente des livres de l’année précédente. On a fait les journées portes ouvertes de Sciences Po avec un stand, pour le proposer aux jeunes et aux parents qui venaient. Le but du livre est aussi de discuter de sujets dont on parle régulièrement sans jamais forcément les approfondir.

PL : C’est vrai que ça peut aussi aider des élèves ; c’est intéressant pour passer le concours. Les gens recrachent toujours les mêmes auteurs, alors ressortir une référence économique d’un livre écrit par des étudiants en master, qui représente donc un certain niveau quand même, valorise beaucoup une copie. L’objectif est aussi de les éclairer sur des points économiques pour compléter leur réflexion.

Visez-vous un certain type de lecteur ? Lequel ?

BP : Les parents d’élèves (rires). Les pré-ventes ont surtout été faites auprès des parents d’élèves.

PL : C’est une bonne question mais c’est vrai qu’on y pense pas vraiment. Lorsqu’on arrive le premier jour du cours on a l’impression que ça va être un cours normal, tout ce qu’il y a de plus classique.

AL : Je me souviens que M. Liger-Belair avait précisé qu’il fallait que ce soit quelque chose de suffisamment intéressant pour que quelqu’un qui s’y connaisse trouve qu’il y a du fond, mais aussi que nos grands mères soient capables de le lire ! Il y donc plusieurs niveaux de lecture. On peut le lire d’un point de vue technique, il permet également de faciliter l’accès à la science économique pour certains lecteurs peu habitués à acheter un livre d’économie. Ça reste un livre d’actualité non pas vulgaire, mais qui se veut compréhensible avec des articles courts qui n’imposent pas une lecture dans un ordre particulier.

Le tome 2 est-il une simple continuité du tome 1 ? Y a t-il des évolutions au niveau du fond, de la forme ? 

AL :  Non, pas vraiment. Même si tout part de l’année précédente, notamment le concept, cela reste de l’actualité économique, les sujets sont forcément différents. Évidemment, il y a des thèmes qui sont plus récurrents, comme la crise du logement. Je pense qu’il y a moyen de refaire un article sur le même thème, c’est juste que l’approche sera différente. Il n’y a pas vraiment de continuité entre les deux tomes. Ils peuvent être lus de façon indépendante, tout comme les articles. Mais on ne va pas se répéter d’une année sur l’autre, ce serait dommage.

PL : Ce qui est sûr, c’est que c’est la même démarche dans la construction des articles, en sachant qu’on a quand même des libertés.

AL : Il y a aussi une évolution dans le sens où il y a une adaptation aux étudiants. L’an dernier, M. Liger-Belair avait mis en place un système de notation plus qu’un système de vote, donc peut-être qu’il jouait un plus grand rôle. Mais cette année, il essayait de nous intégrer dans le choix. L’ouvrage semble alors représenter davantage les élèves de notre promo.

La lecture de la préface rend compte de la volonté première de l’ouvrage : faire s’exprimer des étudiants qui aspirent à changer le monde, à faire entendre leurs idées; avez-vous eu ce ressenti en travaillant sur ce projet ? 

BP : Pour parler au nom de notre article encore une fois, j’ai trouvé que la volonté première était plutôt de donner du sérieux au sujet footballistique.  

PL : Le problème est que nous avons bossé tous les trois sur le même article qui ne prête pas forcément à cela, dans le sens où il ne parle pas d’un sujet de société très clivant. En revanche, si nous avions eu un sujet moins léger, peut être qu’on aurait eu cette revendication. Mais dire qu’on veut changer le monde c’est peut être un peu fort. 

BP : L’article sur le modèle social franco-allemand est plus intéressant à ce niveau là ! Il a davantage cet objectif de bousculer les idées et d’apporter des comparaisons nouvelles.

AL : D’un certain point de vue, c’est vrai que c’est quand même une occasion pour nous de nous exprimer et d’être pris au sérieux. Parce que là on peut dire qu’on a été publiés ! Nous qui sommes en master, nous commençons à être pris au sérieux mais malgré tout ce n’est pas toujours le cas. Cependant, je ne pense pas qu’on change le monde avec un petit bouquin comme ça. Cependant, je suis assez d’accord pour dire qu’à Sciences Po les gens pensent qu’il y a des choses à faire, à changer et qu’on peut les faire évoluer ! C’est le propre de Sciences Po : on débat sur ce qui peut être améliorer.

Vous analysez les problèmes, mais proposez-vous des solutions à mettre en œuvre ?

AL : Oui, l’idée est quand même de dire notre manière d’analyser et ce qui pourrait être plus efficace. Dans notre groupe on a essayé de faire des propositions en analysant comment ça se passe à l’étranger. On a dit qu’il fallait réguler, qu’on était pas sûrs que ça marcherait mais qu’on pensait que ce serait une solution viable, données scientifiques à l’appui. Parce que si on écrit un article sur un sujet c’est aussi pour dire ce qu’on pense. On ne va pas se contenter d’écrire un article pour relever les problèmes, ce serait trop facile. Parce que notre objectif est de donner des clefs de lecture à des gens qui n’auront pas forcément réfléchi à la question.

Votre ouvrage est-il politiquement neutre ?

AL : Beaucoup de groupes n’arrivaient pas à se mettre d’accord sur la direction de l’article parce qu’ils avaient des avis divergents. Même si c’est neutre on a quand même le droit d’avoir des opinions. C’est une opinion élaborée et soutenue par des sources académiques fiables mais ça reste une opinion. Les articles donnent un éclairage scientifique mais aussi notre avis personnel.

PL : Après ce n’est pas de l’opinion pure parce qu’à chaque fois qu’on écrivait quelque chose dans l’article qui n’était pas sourcé, M. Liger-Belair le soulignait et nous disait : « ça sort d’où ça, c’est un postulat, qu’est-ce que ça vaut ? ».

BP : On avait aussi beaucoup de notes de bas de page, c’était assez formateur pour le mémoire : avoir la rigueur de toujours citer ses sources quand on dit quelque chose.

PL : Alors ça ne se voit pas sur l’ouvrage final parce que les notes de bas de page ont été écrémées pour que ce soit lisible. Si nous avions gardé le même nombre de références, ça aurait pris plus de la moitié de chaque page. Tout est référencé, on ne va pas juste balancer des slogans, ça n’a pas d’intérêt ; il y a une démarche scientifique.

BP : C’était aussi un sujet moins clivant comparé à ceux qui ont écrit sur l’Europe, la crise du logement ou sur le revenu universel… dans ce genre d’articles il y a eu des positions politiques affirmées. Pareil sur la transition énergétique.

Pourquoi cette volonté de reverser les droits d’auteurs à l’association Wintegreat qui lutte contre le déclassement des réfugiés en France ?

BP : Ça ne nous intéresse absolument pas de toucher cet argent car c’est avant tout un projet pédagogique.

PL : En réalité, tout part de l’année dernière puisque qu’ils avaient déjà reversé les sous à l’association Les Morts de la rue qui proposait une sépulture aux gens décédés dans la rue. Cette année Wintegreat a émergé. 

BP : Pour résumer, c’est une association qui accompagne 20 réfugiés pendant un semestre avec des cours en lien avec l’administration mais aussi des cours de français, de vie française et d’anglais. Les participants suivent 20 heures de cours par semaine. 

PL : De plus, on a trouvé d’autant plus sympathique de reverser les gains à une association de Sciences Po Lille. Mais nous ne pouvons pas promettre qu’elle récupère un million d’euros (rires).

Pourquoi avoir choisi le format papier pour votre projet ? 

AL : M. Liger-Belair nous avait parlé l’an dernier de lancer un blog pour mettre les articles, y compris ceux qui n’ont pas été sélectionnés. Mais je pense que l’idée de publier en format papier en fait un véritable ouvrage, cela concrétise le projet et fera qu’on pourra nous-mêmes être cités plus tard.

PL : Et puis sans se mentir, ça a de l’allure quand même d’avoir un livre entre les mains plutôt que de lire sur internet.

AL : Peut-être aussi que ça va attirer d’autres gens parce que pour trouver quelque chose sur un blog économique, il faut le chercher, alors qu’un livre comme ça on peut le voir dans une librairie et se dire « Tiens, pourquoi pas, c’est intéressant. ». C’est un peu cette idée d’aller toucher d’autres types d’ouvrages, parce qu’un article comme ça sur internet ça ne donne pas forcément envie de le lire.

BP : Oui, un livre on a envie de le finir, si c’était juste quinze pages sur internet ce serait beaucoup plus rébarbatif. Personnellement, j’aime beaucoup les livres en général, c’est plus agréable. Ça instaure un autre rapport à l’article, ce n’est pas seulement quelque chose qu’on passe sur internet.

Est-ce que ça vous a plu de réaliser ce projet ?

BP : Bien sûr ! C’est tellement plus intéressant qu’un cours classique. En plus ça se suit bien avec les cours de 1A très théoriques, les cours de 2A très centrés sur les politiques publiques et les cours de 4A basés un sujet d’actualité : c’est de plus en plus spécifique. C’était très formateur, cela mobilise de nouvelles compétences et c’était plus stimulant que d’autres cours.

AL : Je trouve que c’est bien de nous faire travailler en groupe, c’est mieux qu’un exposé classique où chacun traite juste sa partie et où finalement on ne travaille pas réellement ensemble. Sincèrement publié ou pas, j’aurais quand même trouvé ça très bien, là on a juste cette petite fierté en plus. On nous a laissés faire comme des grands, choisir nos sujets, même avec un accompagnement derrière ; c’était une super expérience !

Propos recueillis par Sophie Bonnet et Julie Raynaud.