Il y a quelques jours, l’académie des Nobels remettait son prix de Chimie à trois chercheurs dont une femme : Frances Arnold. Elle a été récompensée pour avoir développé des enzymes plus efficaces en faisant muter les bactéries qui les produisent. La veille, Donna Strickland recevait le prix Nobel de Physique, 55 ans après la précédente lauréate. Donna partage ce prix avec son professeur, Gérard Mourou, pour avoir mis au point une méthode d’amplification des ondes lasers qui est aujourd’hui largement utilisée dans les chirurgies correctrices de la myopie. Leurs réussites dans un domaine scientifique est déjà remarquable, mais la reconnaissance de cette réussite l’est encore plus. La question qui se pose est : pourquoi?
Remontons quelques 122 ans en arrière : Alfred Nobel, un inventeur suédois à l’origine notamment de la dynamite, décède. Il laisse derrière lui un testament dans lequel il indique que les intérêts provenant de son capital devraient être distribués, à part égale, chaque année, à des personnes ayant participé soit à des découvertes en physique, en chimie, en médecine soit à la production d’œuvre littéraire d’exception ou ayant donné leur meilleur à la promotion de la paix dans le monde. C’est de cette manière que les Prix Nobels ont vu le jour en 1901.
Depuis, seules 51 femmes ont reçu ce prix (dont 3 cette année), ce qui représente un peu plus de 5% des prix remis au total. La majorité des prix Nobel sont remis à des femmes dans les domaines de la littérature et de la Paix démontrant encore une fois les problèmes sexistes auxquels sont confrontées les femmes en sciences. L’une des raisons évoquées par Anne L’Huillier, physicienne qui siégea au comité Nobel en 2010, est celle d’une faible représentation des femmes dans les laboratoires.
En France comme dans la plupart des pays du globe, la recherche et les grandes découvertes dans les domaines scientifiques (physique, chimie, biologie, mathématique, etc.) se font dans les laboratoires universitaires et les grands centres de recherche nationaux . En effet “la recherche scientifique et technologique, la diffusion et la valorisation de ses résultats au service de la société (innovation, appui pour répondre aux défis sociétaux, aux besoins sociaux, économiques et de développement durable, etc.)” fait partie des missions des EPSCP (établissements publics à caractère scientifique, culturel et professionnel) tandis que parmi ses objectifs, on note “la contribution à la lutte contre les discriminations, à la réduction des inégalités sociales ou culturelles, à l’égalité homme-femme et à la construction d’une société inclusive”. Même si le milieu académique est l’un des milieux les plus égalitaires, on note tout de même aujourd’hui des différences notables entre homme et femme dans ces laboratoires comme par exemple le nombre de professorats détenus par des femmes (22,5%) (ref).
Pour tenter de l’expliquer, je me suis penchée sur le rapport 2017 sur les choix des filles et des garçons de l’école à l’enseignement supérieur. Si jusqu’au collège la parité est globalement respectée, que les filles réussissent aussi bien, voir un peu mieux que les garçons, les différences se creusent à partir du lycée. Même si les filles s’orientent davantage vers les filières générales et technologiques (par rapport aux filières professionnelles), elles sont plus nombreuses que les garçons dans les sections littéraires et sociale, mais la moitié d’entre elles choisissent tout de même des enseignements scientifiques (contre 75% des garçons). Bizarrement, après cette observation j’aurai plus tendance à penser que ce sont les garçons qui ne se sentent pas légitimes dans des formations jugées plus féminines (santé, arts, etc.) mais le constat reste le même : la présence des filles dans les classes scientifiques est noyée par le nombre de garçons qui les intègrent également (en terminale scientifique elles sont 41,6%). Résultat : après le bac, seuls 30% de femmes rejoignent des filières scientifiques (UFR Science ou CPGE). Pour autant, si on regarde les chiffres de leur réussite, en moyenne 10% de plus de femmes par rapport aux garçons réussissent à obtenir le diplôme visé et 46% des doctorats, plus haut diplôme universitaire, ont été obtenus par des femmes en 2014. Aujourd’hui, 40% des docteurs en science sont des femmes. Ces chiffres montrent que malgré tout un grand nombre de femme ont suivi de hautes études dans des domaines scientifiques et les ont très bien réussies ; mais restent-elles dans le milieu académique et la recherche?
Stephen J. Ceci et coll. ont cherché les causes de la faible présence de femme dans les domaines des sciences, technologies, ingénierie et mathématiques (STEM en anglais) ref. Même si leur conclusion générale est que les études sur le sujet manquent, ils évoquent des raisons comme les différences de capacité d’orientation dans l’espace entre fille et garçon à un très jeune âge, ou la pression des stéréotypes sur les filles qui les rend moins performantes que leurs homologues garçons ou bien encore le choix pour les femmes possédant le niveau d’étude requis pour devenir enseignante-chercheuse de se retirer du milieu académique par besoin/envie d’une flexibilité de temps de travail que n’offrent pas les postes en recherche.
Pour celles qui choisissent de continuer leur carrière à l’Université, elles doivent se plier au jeu du “m’as-tu vu?” sur la scène internationale. En effet, pour être reconnu dans l’univers des sciences, il faut publier des articles dans les revues scientifiques, que ces articles deviennent des références (c’est-à-dire soient cités par d’autres scientifiques dans leur publications) et il faut être invité sur les congrès. Et à ce jeu les femmes sont souvent perdantes. En effet malgré la participation accrue des femmes dans la rédaction d’articles, leur position dans la liste des auteurs n’est que rarement celle de premier ou dernier auteur (ref) ; de même que les papiers rédigés par des femmes reçoivent moins de citations. Sue Rosser juge que cela est dû au fait que les hommes touchent en général plus de subventions, ont de plus grands laboratoires avec des équipes plus importantes et donc plus de résultats à publier (ref).
Tous ces éléments, que ce soit la faible proportion de femmes choisissant des études scientifiques (30%), leur choix d’une carrière hors de la recherche ou leurs difficultés à se construire une visibilité dans la communauté scientifique, font que l’obtention d’un prix Nobel par l’une d’entre elles est remarquable et mérite donc qu’on s’y attarde. N’en déplaise à certains.
Cécile Soulignac, Docteur en Chimie