Si tu lis cet article, c’est que j’ai failli à ma première mission. Je voulais te convaincre d’atteindre les contrées germaniques pour les vacances mais tu n’as visiblement pas été convaincu(e). Mais je ne m’avouerai pas vaincue si vite, loin de là. Il en faut bien plus pour me déstabiliser et même si mes capacités de persuasion sont à revoir, je tente de nouveau ma chance dans ce deuxième article.
La destination que je défendrai aujourd’hui n’est pas des plus communes et pourrait même compter parmi les plus moquées. Ces conseils que je te soufflerai à l’oreille sur la ville en question seront donc une exclusivité et tu pourras, plus tard, quand ma destination sera mondialement reconnue, te targuer d’y avoir mis les pieds avant tout le monde, avant la folie touristique qui risque de s’en emparer dans quelques années. Quand mes parents m’ont annoncé que nous irions en Roumanie, j’ai été étonnée puis pas très enthousiaste, je l’avoue honteusement. Pas de Costa Rica ou autres îles Caraïbes pour moi, donc. J’avais déjà froid dans mon Nord natal alors je pouvais à peine me représenter le carnage que cela représenterait en Europe de l’Est. J’ai donc, un peu à contre-coeur et abandonnant tout espoir d’un jour fouler le sable chaud de Copacabana, plié mes pulls les plus chauds, mes cols roulés les plus hauts, mes écharpes les plus douces et mes gants les plus épais pour les mettre dans ma valise, direction l’aéroport.
La culture de l’accueil
Je fus d’abord frappée en entrant dans l’avion. La langue roumaine était plus belle que je ne l’imaginais : elle consistait, à mes oreilles inexpérimentées, en un mélange de slavo-russo-hongrois, mêlé à des r doucement roulés et des accentuations parfois violentes. Mais c’est surtout le caractère jovial des roumains qui m’a marquée. En entrant dans l’avion, on avait l’impression d’avoir intégré une immense famille. Cela changeait de certains parisiens, lillois, aixois, marseillais aigris que l’on peut croiser sur un vol Lille-Bordeaux… Les roumains sont extrêmement francophiles et ils ne cherchent pas du tout à le cacher. Il suffit qu’ils apprennent que vous êtes français pour qu’ils lancent des „bonjour” et „baguette” dans un accent certes bancal mais porté par une véhémence telle qu’il en deviendrait presque mélodieux. Je me souviens avoir pris le taxi de l’aéroport Otopeni à l’endroit où nous logions (6 leì le trajet soit environ un euro) avec un homme qui incarnait la joie de vivre. Son visage s’est illuminé dès qu’il nous a entendus parler français entre nous, et il s’est fendu d’un sourire rayonnant, nous donnant une vue privilégiée sur les quelques dents qui lui restaient. Il a alors tenté de nous entretenir sur divers sujets (en substance, il nous a parlé de Macron, de Macron, de baguettes et de Macron) tout en nous communiquant des bons plans pour notre semaine à Bucarest. Au cours de la semaine, je ne me souviens quasiment que de gens souriants, même ceux qui semblaient vivre dans la plus grande des misères. Les grand-mères qui allument les cierges des églises, les barmen et barmaids, les autodidactes tentant d’aligner deux notes justes dans la rue pour arrondir leurs fins de mois… Tous avaient le sourire aux lèvres. Les roumains sont des personnes très avenantes, qui n’hésitent pas à (tenter de) vous dire les choses en face. Bucarest est une ville qui est rendue vivante par ses près de 2 millions d’habitants. Vous ne rencontrerez pas plus ouverts d’esprit ou intrinsèquement gentils que les roumains.
Une ville impressionnante sur le plan architectural
Bucarest est une ville qui est réellement énorme. Sa population de 2 millions d’habitants paraît très faible au vu de l’étendue de la ville. Elle fait 22 800 hectares, soit environ 7 fois la taille de la capitale des Flandres. Il faudra donc vous préparer à faire des distances assez conséquentes si vous voulez visiter un maximum. Cependant, les réseaux de transport sont très développés et permettent de se mouvoir assez facilement dans la ville, ce qui est très important quand on a l’impression que nos jambes vont se dérober sous le poids de notre corps, après avoir marché 17 kilomètres dans le froid (true story). Le métro passe fréquemment dans des stations gigantesques, à l’image de la ville, et il n’est pas dangereux. Faites attention à vos affaires, bien sûr, et ce en toutes circonstances, mais comme vous le feriez à Lille ou à New York : aucun danger particulier ne plane sur Bucarest. Les bâtiments, donc, sont à l’image de la ville : ils sont impressionnants en termes de taille et de magnificence. Certains sont très sobres, d’autres pas du tout, loin de là. Les églises orthodoxes sont présentes en grand nombre en plein centre-ville. Il y a un centre-ville médiéval, dans lequel il est donc surprenant de croiser le chemin d’églises, qui plus est orthodoxes (car elles ont une architecture bien particulière qui fait que, normalement, elles se trouvent plutôt à la périphérie des villes et non en plein centre). Le centre-ville médiéval est étonnamment assez petit et il est composé de bâtiments resplendissants mais très hétéroclites : on peut y trouver par exemple le passage Macca-Villacrosse, évoquant un peu une version plus pittoresque des passages parisiens, à côté de l’église Stavropoleos, le tout avoisinant une pizzeria et un coiffeur.
Le style néo-gothique rencontre le baroque à un coin de rue, entre deux magasins vintage. Mais s’il y a un endroit que je vous conseille à tout prix d’aller voir dès que vous arrivez à Bucarest, c’est bien le Boulevard Unirii. Ce boulevard („boulevard de l’Union” en français) devait être appelé „Boulevard de la victoire du communisme” lorsque Ceaucescu était encore au pouvoir en Roumanie. Ce boulevard peut se targuer d’être le plus long d’Europe, et comment vous dire que lorsque j’ai fait les 3,5km qui le constituent, il était 10h du matin et j’avais déjà l’impression d’avoir marché toute une journée… D’un côté du boulevard : la Piata Unirii, place colossale avec des bâtiments inspirant l’occupation soviétique qui a duré en Roumanie jusqu’au déclin de Ceaucescu. C’est en quelque sorte la place centrale de Bucarest, le must-see de la ville. Quand le soleil décline sur cette place, des rais bleutés apparaissent dans le ciel, accompagnés de fins filets violets, créant des nuances magiques dans le ciel froid d’hiver. Les contours des bâtiments se dessinent sur ce fond bleu-violet, donnant un ensemble magique.
Parfois, des oiseaux prennent leur envol depuis le haut des bâtiments, créant des nuées indescriptibles de beauté. Le marasme économique roumain est alors oublié. De l’autre côté du boulevard Unirii, se dresse le Palais de feu-Ceausescu, un palais si immense que les mots pour le décrire autrement ne me viennent pas. Chaque pièce de ce palais doit faire la taille de l’Élysée. Le palais compte quelque 1100 pièces réparties sur 12 étages, il fait 350000 km2.
En plus d’être impressionnant sur le plan architectural, il l’est d’autant plus quand on connaît un tant soit peu l’histoire qu’il a abritée… Il fut le toit d’un des plus grands tyrans d’Europe, qui n’hésitait pas à exécuter certains membres de son propre peuple pour obtenir la reconnaissance soviétique en plein contexte de guerre froide. Ceaucescu fut abattu en 1989, après avoir tenté de s’échapper avec sa femme, en hélicoptère, de son palais monumental. Sur les images, l’hélicoptère paraît minuscule face au palais…
Un pays encore peu convoité
La Roumanie est loin d’être la première destination à laquelle on pense lorsqu’on évoque des vacances, en famille ou entre amis. Pour y avoir passé une semaine, je peux t’assurer, jeune palien qui doute encore de les propos, que Bucarest vaut le détour. La ville respire l’histoire et, si tu t’intéresses au déroulement de la guerre froide, c’est la destination qu’il te faut. On ne parle pas souvent de la Roumanie lorsqu’on évoque les relations internationales post-guerre mondiale. Pourtant, ce qu’il s’est passé là-bas est représentatif de ce qui a eu lieu dans pléthore de pays d’Europe de l’Est, et aller sur place permet de se rendre compte de l’ampleur des choses, à travers la folie des grandeurs de Ceaucescu par exemple. Cependant, comme Ceaucescu n’a été décimé qu’à la toute fin des années 1980, le pays se remet encore de ses blessures et tente, tant bien que mal, de s’intégrer dans une Europe peut-être trop riche pour elle et qui ne la prend pas en compte. Bucarest est clairement encore et toujours en train de tenter tant bien que mal de se remettre de ses stigmates, qui l’ont profondément touchée et à jamais changée. Il s’agit maintenant de se développer dans un contexte européen avancé et peut-être pas très propice au développement des puissances encore peu développées. Mais c’est tout ce marasme interne de la Roumanie qui lui donne son charme et qui, en même temps, en fait un pays très peu convoité par les touristes, qui préfèrent se ruer à Berlin ou à Prague, entre autres. Profite donc, jeune moule, de cet intervalle dont jouit la Roumanie, où le tourisme est encore bas, où les prix pour y aller sont plus qu’abordables. De plus, la Roumanie est le carrefour de l’Europe de l’Est… Non loin de la Serbie, la Hongrie, la Macédoine, la Grèce ou la Croatie, elle pourrait être une étape sur ton prochain voyage en auto-stop en Europe de l’Est.
J’espère encore une fois t’avoir donné envie d’aller découvrir ce pays incroyable qu’est la Roumanie. L’ambiance si singulière qui y règne, la gentillesse des gens mais surtout l’empreinte que l’histoire a eu dans la capitale sont des facteurs que tu ne devrais pas négliger. En plus, les prix pour y aller sont totalement abordables, et ce pour tout le monde, en tout temps. Crois-moi, Bucarest te fera vibrer comme jamais… Je guette avec impatience ton Instagram où devraient commencer à apparaître des photos du Palais du Parlement et du Boulevard Unirii…
Mona Sabot