Quelles sont les conséquences de la défaite territoriale de l’Etat Islamique en Syrie ?
Ces dernières semaines, les forces rebelles syriennes du FDS ne comptent plus les redditions de djihadistes et de leurs proches. En effet, depuis plusieurs semaines c’est par milliers que des individus cherchent à quitter les dernières terres du califat. Ce phénomène est à comprendre dans la logique plus large de la défaite territoriale finale de l’Etat Islamique et de son califat qui ne tiennent plus que le petit village de Baghouz dans le nord de la Syrie. On assiste à l’aboutissement de plus de 4 ans de lutte acharnée contre l’obscurantisme par la fin du califat, annoncée depuis 2017. Quelles sont donc les conséquences de cette victoire pour la Syrie et les différents acteurs du conflit ?
La fin du califat marque-t-elle pour autant la fin de l’Etat Islamique ?
S’il serait trop long et complexe de résumer ici le conflit Syrien, il convient tout de même d’en rappeler les grandes lignes. Né d’une contestation du régime d’Al-Assad dans la mouvance globale des printemps arabes de 2011, le conflit oppose tout d’abor le pouvoir central Baasiste aux Forces de l’Armée Syrienne Libre (FASL) majoritairement composées d’anciens officiers de l’armée régulière.
Si dès le début de la guerre, on observe la présence de forces salafistes et djihadistes, c’est en avril 2013 qu’apparait le groupe Etat Islamique en Syrie. Puis en juin 2014, le califat est proclamé à Mossoul dans le nord de l’Irak. Il s’agit pour l’organisation terroriste de se doter d’une entité territoriale interétatique sur les ruines des interventions occidentales successives. On assiste alors à une augmentation des effectifs de combattants de l’organisation, passant de 5000 en 2014 à plus de 20 000 en 2015. Par ailleurs, cette année 2015 marque l’apogée du califat dans son étendue. L’Etat Islamique occupe alors la moitié de du territoire Syrien et une partie importante du nord de l’Irak, en appliquant dans les territoires conquis la charia comme seule loi.
Ces progrès importants de la « conquête au nom du saint Islam », entraîne finalement la réponse armée de l’occident principalement par le biais de la France et des Etats-Unis d’Amérique. Si les deux pays étaient déjà timidement présents sur le sol syrien (Formations d’officiers rebelles, forces spéciales, renseignement : DGSE…), c’est bien cette avancée impressionnante du califat qui marque le début de l’investissement militaire massif des puissances occidentales à des degrés divers. Le contingent américain va notamment atteindre 5000 hommes (chiffres du Pentagone). C’est également dans ce contexte que les puissances occidentales vont accentuer leur collaboration avec les forces d’opposition syriennes. L’aide principale sera fournie à la coalition arabo-kurde du FDS (Forces Démocratiques Syriennes) qui n’aura de cesse de lutter contre la barbarie que constitue l’Etat Islamique. Cette époque est également marquée par le support d’autres puissances dans la lutte contre le terrorisme comme l’opération « bouclier de l’Euphrate » menée par les forces turques et visant « officiellement » à chasser l’Etat Islamique de ses frontières. D’autres actions sont par contre fortement controversées comme celles de l’Arabie Saoudite. Les efforts colossaux de ces forces unies contre l’obscurantisme religieux et tout particulièrement contre le Jihad finissent par porter leurs fruits. Si en 2017, les forces de la coalition proclament déjà la défaite proche du califat, 4 ans de combats acharnés vont finalement permettre la fin des rêves territoriaux de l’organisation terroriste. Aujourd’hui, en mars 2019, le califat ne se résume plus qu’à un village tenu par une poignée de combattants.
Pourtant, la fin du califat ne marque pas pour autant la fin de Daech qui depuis quelques années déjà, prépare son retour à la clandestinité à l’image d’autres groupes terroristes comme Al-Qaïda. L’Etat Islamique a par exemple conservé de nombreux groupes de combattants mobiles dans le désert syrien. Il s’agit là d’un phénomène que l’on retrouve dans les autres anciens ancrages territoriaux de l’organisation comme au Sahel (cf : opération Serval). Mais c’est surtout le maintien des facteurs à l’origine du conflit qui permet la survie de l’Etat Islamique à savoir : Une violence omniprésente dans le pays, l’absence de consensus autour de l’Etat central, la division politique qui en résulte et l’ingérence étrangère.
Si la défaite territoriale et la fin du califat son indéniables, elles ne signifient pas pour autant la fin de l’organisation Etat Islamique qui demeure une menace importante.
La fin du califat signifie-t-elle alors la fin de la guerre en Syrie ?
On observe tout d’abord le maintien des facteurs de divisions à l’origine du conflit. En effet, l’exercice ultra autoritaire du pouvoir de Bachar ne permet pas de consensus autour du pouvoir central, ce qui entraîne une importante fragmentation politique du pays. A cela s’ajoute des divisions ethniques autour des populations majoritairement arabes mais comptant d’importantes minorités kurdes. Par ailleurs, la confiscation du pouvoir par la minorité chiite face à une population majoritairement sunnite est également à la base de nombreuses tensions religieuses.
Au-delà du maintien de ces facteurs, on assiste également aujourd’hui à l’importante débâcle de l’opposition politique au régime Baasiste d’Al-Assad. Les deux autorités principales d’opposition à savoir le CNS (Conseil National Syrien) puis le CNFOR (Conseil National des Forces d’Opposition et de la Révolution) n’existent plus qu’en exil parmi les 6 millions de réfugiés syriens. Les courageux militants ayant choisis de rester se trouvent probablement dans les prisons politiques du régime qui auraient vu disparaitre 70 000 personnes selon les estimations les plus basses de l’ONU.
A cet effacement de l’opposition purement politique s’ajoute le recul impressionnant de l’opposition armée. Les deux principaux groupes rebelles à savoir l’Armée Syrienne Libre et la coalition arabo-kurde des Forces Démocratiques Syriennes ne détiennent plus aujourd’hui qu’une zone réduite au nord du pays.
Bachar-Al Assad a aujourd’hui repris le contrôle de plus de 60% du territoire de son pays grâce à l’appui militaire et diplomatique de puissances étrangères. Parmi elles, on compte un contingent Iranien qui s’ajoute aux milices chiites mobilisées par la république Islamique (comme le Hezbollah libanais). Le rôle ambigu de la Turquie qui dans sa lutte contre les kurdes renforce le pouvoir central, est également une donnée importante pour comprendre le retour en force du pouvoir Baasiste. Mais c’est aussi et surtout la forte intervention Russe qui a permis depuis 2015 la restauration du pouvoir central. Pourtant si Bachar reprend pied peu à peu, le groupes rebelles ne semblent pas prêts à rendre les armes ce qui promet la poursuite du bain de sang malgré un léger statut quo.
De plus, la reconstruction du pays est toujours au point mort. Le rétablissement de la prospérité économique et donc de la paix ne semblent donc pas être au rendez-vous. D’autant qu’il apparait difficile de voir la Russie et l’Iran assumer seuls le relèvement de la Syrie, ce qui implique que les puissances occidentales en particulier l’Union Européenne et les USA de trouver une place dans le règlement du conflit ce qui promet des négociations difficiles.
Quelles sont les conséquences de la fin du califat pour les autres acteurs ?
Il est nécessaire de rappeler que dans les premiers temps du conflit, l’intervention étrangère et tout particulièrement occidentale est tout particulièrement occidentale est relativement timide. On doit notamment citer la déclarant du président Hollande cherchant à ouvrir la voie à une intervention armée à l’encontre du régime Al-Assad. En effet, en 2013 le chef Syrien dépasse la ligne rouge fixée par les occidentaux en utilisant des armes chimiques sur les populations civiles.
Si les Etats-Unis soutiennent au départ cette idée d’une intervention armée, mais quelques mois plus tard le président Obama va faire machine arrière, ce qui force également le président français à y renoncer. Ce renoncement constitue un échec diplomatique pour les deux pays. Cette non-intervention ajoutée aux condamnations inefficaces d’autres organisations comme l’Union Européenne, montre tragiquement le manque d’action de l’occident et ouvre la voie à la Russie.
Ce constat de la réalité des rapports de force en Syrie nous amène à nous interroger sur une thèse notamment soutenue par certains experts de la région comme Gilles Kepel : Poutine est-il le grand gagnant de la guerre en Syrie ? Car en effet, si les puissances occidentales sont finalement contraintes d’intervenir à la suite de la progression de l’Etat Islamique, elles n’ingèrent pas réellement dans la contestation du gouvernement central. D’autant qu’avec la chute annoncée du califat, on assiste au départ de progressif des forces occidentales, laissant encore une fois la place aux puissances alliées du régime Baasiste d’Al-Assad avec la Russie en tête.
Le maitre du Kremlin a donc réussi le pari de faire revenir son pays au rang des grandes puissances. Néanmoins la partie ne semble pas terminée. Avec la fin du califat et le retrait des forces occidentales, la Russie est désormais presque seule pour maintenir le régime en place et jouer un rôle d’arbitre face aux intérêts divergents de ses alliés. Si le gouvernement syrien montre une volonté d’un début de négociation, les Iraniens sont eux favorables à la poursuite du conflit jusqu’à une victoire militaire totale. De plus le souvenir du bourbier afghan de l’époque soviétique est encore bien présent dans les consciences.
On peut également voir la fin du califat comme une victoire Iranienne dans la guerre qui l’oppose à l’Arabie Saoudite pour la domination de la région. En effet, le royaume de la péninsule est gravement mis en difficultés par la longévité du conflit Yéménite, les scandales intérieurs et les lourds soupçons liés au financement de groupes salafistes rebelles.
On voit donc très clairement que la fin du califat mène à des conséquences dépassant de très loin de dépasser la simple guerre contre le terrorisme. Le retour à une situation presque similaire à celle de 2011 promet la continuité de l’instabilité d’un pays, et la poursuite d’un conflit dont le bilan s’élève déjà à 470 000 morts (Observatoire syrien des droits de l’Homme).
Mehdi Cattez