Non ceci n’est pas un poisson d’avril, Charlie Brooker et Annabel Jones étaient à Lille pour une rencontre exceptionnelle dans le cadre du Festival de Séries Mania qui s’est terminé samedi dernier. Si vous ne savez pas qui sont Annabel Jones et Charlie Brooker, shame on you. Ces deux génies sont les créateurs et producteurs de la série britannique à succès : Black Mirror. Phénomène mondial depuis sa reprise par Netflix, Black Mirror est une série originale dans le fait qu’aucun de ses épisodes n’est relié à un tout. Chacun commence et termine seul, dressant un monde dystopique, œuvre de technologies qui termine quasiment toujours mal, pour ne pas dire toujours.
Black Mirror : qu’est-ce que ça raconte ? d’où ça sort ?
Il est impossible de vous montrer un synopsis ou une bande annonce pour vous donner une idée, ce qui montre à quel point chaque scénario est unique en son genre. Il vous suffit de regarder le miroir noir pour voir qu’en fin de compte, ces histoires sont inspirées de notre société et de nous-mêmes. Bien évidemment c’est exagéré et très imaginé mais dans leur processus d’invention, ils l’expliquent, ils échangent sur ce qui les entourent, ils débattent, enfermés dans une pièce sur tout et n’importe quoi. Pour Charlie Brooker, lorsqu’il écrit c’est simplement la description d’un film qu’il se fait dans sa tête. Il n’y a pas d’équipe de recherches, pas d’auteurs•trices avec eux.
Ils aiment la technologie, et ils sont au fond très fatalistes – surtout Charlie, souligne Annabel – ce qui fait que tous leurs scénarios n’ont que peu d’espoir de bien se finir. Même s’il n’y a aucun objectif politique dans le fond, leurs œuvres produisent une critique acerbe des sociétés contemporaines et de ce qu’elles pourraient devenir. Ils ne pensent pas Black Mirror comme une série politique, dans l’exemple du premier épisode qui met en scène un Premier Ministre britannique victime de chantage pour la libération d’une princesse kidnappée, l’objectif n’était pas de montrer un Premier Ministre britannique mais un personnage de pouvoir. Leur ambition est de faire ressentir quelque chose aux gens, dans un autre épisode qui parle de deuil, la force de l’histoire réside dans la manière dont la femme vit la mort de son conjoint. C’est d’une certaine manière simple comme mise en scène, il n’y a pas de choses choquantes ou provocantes, mais cela tourne toujours autour de la technologie et de son utilisation. (je ne vous spoilerai pas non non : regardez “Be right back”, épisode 1 de la saison 2)
Netflix – Un nouvel âge pour Black Mirror ?
L’arrivée de Black Mirror dans la production Netflix a donné plus de libertés aux réalisateurs. Notamment dans leur possibilité d’imagination, de création. Les saisons sont plus longues, les épisodes ont pris une importance telle que Charlie et Annabel doivent à présent se discipliner eux-mêmes dans leur production. En effet, ils doivent se mettre des limites car leur seul objectif et problématique est qu’il faut captiver le/la spectateur•trice, car l’avantage et l’inconvénient de Netflix est qu’iel peut partir faire autre chose que regarder une série. Iel a une possibilité de mettre pause et de ne pas tout regarder.
Charlie Brooker et Annabel Jones se sont mis à travailler avec d’autres auteurs/autrices, d’autres réalisateur•trice•s. C’était plus compliqué à leur début à cause de la vitesse de production mais à présent, ils font appel à certain•e•s afin de voir d’autres interprétations des scénarios. Mais rarement pour plusieurs épisodes, au même titre que les acteur•trice•s. Chaque personnage appelle à un•e acteur•trice spécifique.
“Bandersnatch” – l’avant-gardisme de la technologie
Oui ce sont eux aussi. Le 28 décembre dernier, le premier « film » interactif sur une plateforme de streaming en ligne est sorti : et c’est un épisode de Black Mirror. Impossible d’être passé•e à côté – à moins de ne pas avoir Netflix – cet épisode a été un phénomène pendant des semaines. Accrochez-vous : ça aurait pu ne jamais avoir lieu. Annabel Jones et Charlie Brooker avaient d’abord refusé la proposition de Netflix d’utiliser cette nouvelle technologie afin de créer un film interactif, mais après mûre réflexion et une idée idéale pour l’utiliser, ils se sont lancés dans l’aventure. Si la première semaine de conception fut facile, les suivantes furent plus éprouvantes : il leur a fallu changer leurs habitudes d’écriture, apprendre certaines notions de codage. Ils avaient comme impératif que cela ressemble à un film, quelque chose de familier, que l’histoire ne s’arrête pas à chaque besoin de choix du/de la spectateur•trice. Ce/cette dernier•ère devait être sous pression, accroché à l’écran, iel devait être capté•e par le film. Pour un projet avant-gardiste, le résultat est plutôt satisfaisant, même plus, étant donné que leur création fait partie des nominations du BAFTA 2019 pour le Meilleur drame unique ainsi que pour les effets spéciaux, graphiques ou visuels.
En résumé, ce fut une rencontre légère, ponctuée d’humour et de complicité entre les réalisateurs qui n’accentue qu’encore plus l’attente de la saison 5 qui devrait sortir au cours de cette année…