Alors qu’un bébé phoque a été attaqué par un pêcheur le dimanche 15 septembre (et en est probablement mort), il est intéressant de comprendre le conflit qui oppose les phoques aux pêcheurs, symptomatique de l’attitude des sociétés humaines face à la nature.
Les bébés phoques ont un capital sympathie terriblement élevé, vous vous dites donc qu’aucun humain n’oserait blesser ces animaux, mais vous vous trompez. En effet, un bébé phoque a reçu des coups de pied en pleine tête d’un pêcheur sur la plage de Malo-les-bains (Dunkerque), le dimanche 15 septembre. Alors que du sang s’écoulait de sa mâchoire, la jeune femelle -prénommée Laetitia- fut prise en charge dans un centre de soin de la Ligue de Protection des Animaux du Calaisis (LPA). Malheureusement, le pinnipède est mort le 21 septembre malgré les soins prodigués. Si des doutes sur la cause de la mort de cette jeune femelle persistent (un virus s’apparentant à la rougeole sévit en ce moment, une autopsie va donc être réalisée), il est certain que ces actes sont intolérables. Une plainte a été déposée par Sea Shepherd (ONG pour la protection des milieux marins) et la LPA. Le pêcheur encoure 2 ans de prison et 30 000 € d’amende, il est actuellement recherché par la police. Ce n’est pas un cas isolé.
De nombreux exemples de violence contre les phoques peuvent être énumérés. Il y a ces deux phoques décapités découverts autour de Concarneau, en février et mars 2019. D’abord, une tête avait été retrouvée suspendue au bout de la digue du port, le corps était en état de décomposition sur une plage avoisinante. Puis, un autre corps décapité a été découvert dans la commune de Trégunc. C’est apparemment un couteau de pêche qui a servi à ces exactions barbares. Ces phoques gris ont commis la mortelle erreur de s’approcher des filets des pêcheurs. Un appel à témoin de Sea Shepherd (avec une promesse de récompense) a permis de retrouver les coupables. Ces derniers vont devoir faire face à deux plaintes, de la SPA et de Sea Shepherd. Le marin pêcheur (le coupable des exactions) et le patron pêcheur (son complice) devront répondre de leurs actes devant les tribunaux, le premier risque 2 ans d’emprisonnement et 150 000 € d’amende et le second 22 500 €, comme le précise Ouest-France.
Un faux problème
Mais peut-on justifier ces actes cruels ? Il n’en est pas question, en revanche il est possible de les expliquer. Dans la baie Somme, espace largement concerné par les phoques, on estime que 80% des stocks de poissons ont disparu. Ces eaux peu profondes ont subi le réchauffement climatique et la pêche intensive y a fait des ravages. Les poissons s’y font donc plus rares, alors les pêcheurs voient les phoques comme des concurrents dans l’exploitation de cette ressource. Un comité anti-phoques a même été créé, il dénonce une surprotection des pinnipèdes, ce collectif souhaite une régulation des populations de phoques (ne pas soigner les individus blessés et même autoriser la chasse pour limiter leur nombre). Alors, les phoques sont-ils un danger pour la baie de Somme ? Le phoque veau-marin est une espèce protégée puis 1972. L’espèce a été intensivement chassée au 19ème siècle et a failli disparaître de la région, son retour s’est progressivement fait dans les années 1980. Si les mammifères marins sont revenus, c’est qu’ils ont trouvé de la nourriture dans la baie de Somme : cela signifie que les stocks de poissons sont encore suffisants malgré la pêche. Aujourd’hui, les phoques poseraient un problème en pillant les stocks de poissons, pourtant on ne dénombrait que 351 veaux-marins et 105 phoques gris à l’été 2013 sur les plages de la baie de Somme (il est vrai que la population augmente d’année en année). Le 23 mai 2018, dans une réponse écrite au comité anti-phoques, Lamya Essemlali, Présidente de Sea Shepherd France, rappelle l’envergure de la pêche pour les phoques et les pêcheurs : « 1500 tonnes de poissons par an pour toute la population de phoques quand le seul port de Boulogne-sur-Mer en débarque 32 000 tonnes ». De plus, si on observe les zones d’activité des pêcheurs et des phoques, il est évident qu’ils ne pêchent tout simplement pas dans les mêmes zones maritimes, comme le montrent ces graphiques issus de l’étude « Eco-Phoques » (février 2018).
Reconsidérer la position de l’Homme face à la nature
Les phoques ne sont pas un problème sur les côtes françaises, le problème c’est l’humain. Il s’est accaparé les côtes et en a exploité goulûment les ressources, il ne s’est pas contenté de massacrer les phoques, il a aussi pratiqué une surpêche intensive. Les hommes ont détruit leur environnement et font face à leur désastre. Si le poisson n’est plus abondant, ce n’est pas la faute du phoque mais celle de l’Homme. Il est important de ne pas considérer les pêcheurs comme les seuls responsables de cette situation, parce que si le poisson est intensivement pêché c’est qu’il existe une demande, ainsi il n’est pas possible d’engager uniquement la responsabilité des pêcheurs, des consommateurs, ou encore celle du système économique : c’est bien l’Homme le responsable, c’est une responsabilité d’espèce. Il agit comme cela parce qu’il se pense supérieur aux autres habitants de la planète, ici les phoques. Il est donc normal que les pêcheurs, qui sont des êtres humains, s’opposent à la présence des pinnipèdes. Ces ressources nous appartiennent, et cela parce que nous avons conquis ces eaux.
Au moment de faire face aux dangers qui pèsent sur notre planète, il est temps de reconsidérer notre place sur Terre. Débarrasser de ce sentiment de supériorité, l’Homme prend conscience que chaque espèce a le droit de s’épanouir dans son milieu. Les phoques sont, sur les côtes françaises, dans leur milieu naturel. Les pêcheurs doivent partager les réserves de poissons, ces richesses ne nous appartiennent pas. Si la dureté de la loi est une solution pour façonner une harmonie entre les pêcheurs et les phoques, cela ne suffit pas. Parce que ce sont des croyances qui conduisent les pêcheurs à s’attaquer aux phoques, nous devons mettre en avant les connaissances. Parce qu’une cohabitation durable n’est possible que s’il existe une entente entre les protecteurs de la nature et ceux qui vivent d’elle, nous devons travailler avec les pêcheurs et non contre eux. Mais la véritable solution à ce problème (et de tant d’autres qui lui ressemblent) est que l’Homme comprenne qu’au contraire d’être supérieur à la nature, il n’en est qu’un des nombreux enfants.
Benjamin Magot