« Pas de message, normal rien à dire » telles sont les paroles de la fameuse chanson de Salut c’est cool qui met la techno sur le devant de la scène. Pourtant, en dépit de cette idée d’une musique simplement sauvage qui n’a rien à exprimer, la techno se révèle pourtant bien politique. La disparition de Steve, cet été, nous l’a rappelé de façon tragique. Et aujourd’hui les mesures envers les « fêtards », à Lille comme au niveau national, semblent se multiplier, comme s’il fallait légiférer ce milieu alternatif qui pourrait devenir un modèle politique concurrent.
La techno comme contre culture pour discours queers
Née aux Etats-Unis dans les années 1980, l’organisation de soirées techno, à la suite de la disco, permettait d’échapper à la répression qui s’abattait sur les homosexuels. Comme l’a présenté Guillaume Robin lors de la conférence organisée par BCBG le 21 octobre, ce nouveau style se révèle alors comme un vecteur de revendication identitaire pour les opprimés, que ce soit les gays ou les noirs américains. Sur le plan musical, il s’agit d’un savant mélange qui emprunte aussi bien au groove et au disco qu’à la musique synthétique d’origine européenne. Constituée de samples que l’on mixe à l’infini et dans des rythmes différents, la techno casse les codes. C’est cette grande émulation musicale qui s’exportera de Détroit pour conquérir le monde, et accompagnera le mouvement mondial d’émancipation des minorités queers. Des fameuses boîtes de Berlin jusqu’au Summer Love de Manchester, la techno a donc toujours agi comme une résistance aux injonctions normatives, et au pouvoir.
« Les seules soirées où les filles peuvent enlever leur t-shirt en sécurité »
Si ce genre musical demeure une contre-culture pour les discours queers, elle revêt également aujourd’hui d’autres formes de contestation. Hors des milieux mainstreams et consommée que par des initiés, elle se détourne des canaux de diffusion traditionnelle. Et peut être considérée en cela comme une alternative au capitalisme, où la logique commerciale ne fait plus loi. La liberté est donc au cœur de ce milieu musical qui prône un respect mutuel pour garantir une émancipation culturelle, physique et psychologique. Un amateur de techno lillois déclare qu’il s’agit des « seules soirées où les filles peuvent enlever leur t-shirt en sécurité ».
Une simple fête d’anniversaire pourrait être interdite
« Il faut tout de même une organisation, pour éviter que ça finisse mal » nous avoue un organisateur de rave-partie pour qui le plus difficile est de courir après ceux qui peuvent faire n’importe quoi. Souvent, les rencontres musicales se font effectivement dans l’illégalité, dans des lieux désaffectés ou sur des terrains privés, expérimentant alors une certaine forme d’ « auto-gestion ». C’est ce caractère illégal et potentiellement dangereux qui pousse les pouvoirs publics à réguler ces rassemblements. Face aux risques de « destruction de la biodiversité » sur les sites investis ainsi que le trouble à l’ordre public, le sénat propose de punir de 3 750 euros d’amende et d’une peine de travail d’intérêt général, les organisateurs de rassemblements festifs qui n’auraient pas obtenu d’autorisation préalable du maire. Si une loi de 2001 encadrait déjà les rassemblements musicaux de plus de 500 personnes, cette proposition de la chambre haute imposerait une déclaration en mairie de toute fête en dessous de ce seuil de participants. Les associations dénoncent ainsi un énoncé de sanctions très précis face à un ciblage très large. Une simple fête d’anniversaire sans déclaration pourrait alors être en principe sanctionnée. Ce texte représenterait donc une menace à la liberté de réunion, par ailleurs constitutionalisée. Sans aller jusque là, le représentant du gouvernement Laurent Nuñez a exprimé «les plus grandes réserves» sur ce texte qui n’a donc que peu de chance d’être adopté par l’Assemblée nationale.
Les rassemblements festifs dans une impasse
Pourtant, dans le même temps, les moyens légaux pour faire la fête semblent également se réduire. « On nous incite à rester chez nous passivement à regarder la TV ! », enrage Tintin qui a créé il y a un an un collectif pour organiser des soirées techno en sécurité. Car depuis la fermeture de deux boites qui accueillaient ces évènements, son activité est menacée. Le Resto So et le Circus ont effectivement provoqué des plaintes du voisinage pour nuisances sonores. Les deux établissements considérés comme « discothèques » car exploitant une piste de danse, semblait également ne pas respecter les limites d’ouverture imposées.
Ainsi par arrêté préfectoral les deux endroits ont dû fermer en août dernier. « Pour sortir, il n’y a donc plus que les boîtes commerciales avec physionomistes à l’entrée» regrette alors Tintin, pour qui la techno est avant tout une richesse culturelle et musicale qui se doit d’avoir ses lieux d’expression. Comme nous l’indique un étudiant, membre de l’association musicale de son école, « nous sommes maintenant amenés à seulement organiser des soirées du genre « afterwork » dans des bars, où l’objectif est que les participants consomment ».
« Pour sortir, il n’y a plus que les boîtes commerciales avec physionomistes à l’entrée»
Ainsi, entre la répression de plus en plus importante de l’organisation de ces évènements lorsqu’ils sont illégaux et les fermetures des lieux qui proposaient ces évènements de façon légale, les amateurs de techno semblent se trouver dans une impasse. Tintin se dit prêt à travailler avec les services municipaux et la police afin de trouver des lieux sécurisants et responsables des riverains afin que cette diversité musicale puisse continuer à s’exprimer. L’appel est lancé pour les candidats à l’élection municipale.
Alban Leduc