Passer au contenu

La poésie est morte #3 – Douter

En ce début d’année, La Manufacture entreprend un projet des plus dantesque : vous faire aimer la poésie. Au programme des prochaines chroniques, quelques intarissables sources d’inspiration poétique. Aujourd’hui : le doute.

Je doute, partout, tout le temps.
Jamais sûr de rien.
Pourtant, du sang vibre dans mes tempes, je le sens
Déposé sur cette planète, je sais pas où ça me mènera
Mais essayons quand même

C’est ce essayons quand même qui motive chacun de mes pas
Après tout : S’il est acté d’avance que je franchirai la ligne d’arrivée du marathon, à quoi bon prendre le départ ?S’il est acté d’avance que nous vivrons heureux et que nous aurons beaucoup d’enfants, à quoi bon unir nos annulaires ?
S’il est acté d’avance que ma vie sera réussie, à quoi bon la vivre ?

Évidemment, moi aussi j’aimerai que les éclipses soient rares et passagères.
Évidemment, moi aussi j’aimerai que ce soit tes bras qui me serrent.
Mais c’est à cette vie là que j’ai eu droit, acharnée, incertaine.
À chaque instant je risque de la perdre, et c’est ça qui en fait une reine.

Alors peu importe la sécurité : faut tenter le coup.
Jeter toutes ses forces dans la bataille et l’espérer victorieuse.
Être imprudent, insolent s’il le faut.
N’en déplaise à Cioran, il faut honorer la vie de sa participation.

Et tant pis si j’échoue, ça ne fera qu’un espoir brisé de plus à ranger sur mon étagère.
Sans filet, je décide même de prendre de l’élan.
Après tout, je risque simplement d’avoir à réessayer.

C’est sûr, c’est pas simple et moi aussi, j’lai cherché longtemps le bouton « quitter la partie ».
Ce serait vous mentir de vous dire que quand chacun de mes espoirs semblaient avoir été consumés, je n’ai pas envisagé de noyer mon désespoir, de l’attraper à pleines mains, de l’immerger et m’en débarrasser à tout jamais.

Évidemment, moi aussi j’aimerai que les éclipses soient rares et passagères.
Évidemment, moi aussi j’aimerai que ce soit tes bras qui me serrent
Mais c’est à cette vie d’Sisyphe qu’on a droit, acharné, incertaine
À chaque instant on risque de la perdre, et c’est ça qui en fait une reine 

Entre celle que je crois aimer, celle que j’aime, celles que j’ai aimé, celles que j’aimerais aimer et celle que j’aimerai, c’est certain que je m’égarerai, mais essayons quand même.

Quelle prétention d’oser dire je sais.
Quelle prétention d’oser dire qu’un projet est sans failles.
Quelle prétention d’oser dire que le futur sera à coup sûr paisible et radieux.

Quoi de plus beau au contraire, que de dire : je crois. De dire je ne suis pas sûr mais je crois. Je crois que c’est elle. Je crois que c’est à cette fille qui n’a pas peur de mes erreurs, de mes errements, de mes maladresses.

À cette fille que je dirai les « trois mots »
Ces trois mots qui, à force de certitudes sont devenus vides de sens.
Dire « Je t’aime » c’est pourtant ouvrir l’univers.
Plonger nu dans l’inconnu
Dire Je t’aime c’est dire : je ne sais pas de quoi demain sera fait, mais ce demain et tous les lendemains suivants d’ailleurs,  je pense qu’ils seront plus brillants si je les passe à tes côtés.

Les éclipses sont rares et passagères.
Ce sont tes bras qui me serrent
Pousser son rocher comme Sisyphe.
À chaque instant, ça en vaut la peine

Je m’adresse alors toutes les personnes sûres d’elles, à toutes les personnes qui n’envisagent même pas l’idée que leurs « Je t’aime » restent sans réponse. Retenez de moi simplement une chose, il n’y a qu’un seul instant que je redoute, celui où un souffle glacé viendra éteindre mes doutes.

 

Matthieu Slisse