La Manufacture s’associe au magazine Insane, premier magazine en ligne entièrement dédié à la santé mentale et créé par Lucie van der Sande, récemment diplômée de Sciences Po Paris. Ce partenariat permet à Insane de gagner en visibilité et à la Manufacture d’évoquer le sujet des maladies mentales et psychologiques, peu traité dans nos colonnes. Nous repartageons les articles publiés initialement sur le site d’Insane. Cet article a été publié sur le site d’Insane, le 9 janvier 2020.
En juin dernier, la Haute Autorité de Santé (HAS) a publié une recommandation de bonnes pratiques pour le dépistage et le traitement de la boulimie et de l’hyperphagie boulimique, deux troubles du comportement alimentaire (TCA) caractérisés selon la HAS par “l’absorption d’une grande quantité de nourriture dans un temps restreint, associée à un sentiment de perte de contrôle“. Ils diffèrent cependant dans le sens où une personne souffrant de boulimie va adopter des effets compensatoires (vomissements, prise de laxatifs, exercice physique excessif, jeûne…) pour contre-balancer la prise de nourriture. Ce n’est pas le cas pour une personne souffrant d’hyperphagie boulimique, ce qui explique pourquoi ces dernières sont souvent en situation de surpoids ou d’obésité, alors que les personnes boulimiques peuvent avoir un indice de masse corporelle (IMC) tout à fait normal.
Quand on lit dans la note que la boulimie touche environ 1,5 % des 11–20 ans et que l’hyperphagie boulimique touche 3 à 5% de la population française totale (ce qui représente entre 2 et 3,3 millions de personnes…), on peut se dire qu’il y a effectivement un besoin. Cette dernière vient compléter les précédentes recommandations de la note “Anorexie mentale, prise en charge” parue en 2010, réalisée par la HAS en partenariat avec la Fédération Française Anorexie Boulimie (la FFAB, anciennement AFDAS-TCA, l’Association Française pour le Développement des Approches Spécialisées des Troubles du Comportement Alimentaire).
Le but de ces recommandations est “de proposer aux professionnels des [conseils] sur l’ensemble des troubles des conduites alimentaires (TCA) afin de définir des orientations pour améliorer l’organisation de leur diagnostic et de leur prise en charge” mais s’adresse aussi plus généralement aux familles et aux proches des personnes souffrant de ces troubles.
L’importance du dépistage
Malgré le fait que ces troubles touchent un grand nombre de personnes, ils restent, selon la HAS, encore insuffisamment repérés, surtout dans leur forme partielle. Or, le dépistage de ces troubles est crucial car “plus la prise en charge est précoce, meilleur est le pronostic“.
On découvre ainsi au fil du document que la boulimie et l’hyperphagie boulimique ont des effets sur différentes parties du corps, telles que la dentition, les os, le système digestif, le système cardio-vasculaire mais aussi hormonal. Ainsi, de nombreux corps de métiers médicaux sont à même de déceler l’apparition de symptômes, et ce assez tôt. C’est le cas pour les chirurgiens dentistes, qui peuvent remarquer des dégâts sur la dentition telles que des lésions ou des érosions dues aux attaques acides des vomissements ou encore la présence de polycaries, signe d’une alimentation déséquilibrée et riche en sucres. Comme le souligne la note, étant donné que la boulimie concerne 3 jeunes filles pour un garçon, les gynécologues ont aussi un rôle important dans le dépistage, notamment car ces troubles peuvent provoquer la diminution de la fréquence jusqu’à l’arrêt complet des règles. L’obésité qui peut survenir à cause d’une hyperphagie boulimique est aussi un facteur aggravant du “syndrome des ovaires polykystiques“, une maladie perturbant l’ovulation et qui constitue la première cause d’infertilité féminine.
Face aux multiples facettes de ces troubles, la HAS dresse une liste des professions les mieux placées pour déceler les symptômes. On trouve par exemple tou·tes les professionnel·les du secteur de l’éducation et du loisir (personnel scolaire, infirmier·es scolaires, personnel encadrant les activités sportives et de loisir, etc.) mais aussi les médecins traitants, les pédiatres, les endocrinologues (spécialistes des problèmes hormonaux), diabétologues (spécialistes du traitement du diabète) ou encore les psychologues. En bref, tou·tes les professionnel·les susceptibles d’être en contact régulier avec les adolescent·es ou pré-adolescent·es.
La note souligne donc l’importance de former tous ces corps de métier à la détection des signes avant-coureurs et donne des conseils pour en parler avec les personnes présentant des troubles de l’alimentation.
D’après la HAS, ce travail de dépistage est d’autant plus important que “(l)a boulimie, l’hyperphagie boulimique, et leurs formes partielles ont un retentissement majeur sur la santé physique et psychique“ : les TCA (Troubles du Comportement Alimentaire) sont également associés à des troubles psychiatriques tels que la dépression, les troubles anxieux, les troubles addictifs et les troubles de personnalité. Les personnes touchées présentent donc des risques de surmortalité plus élevés, à cause des troubles métaboliques (c’est-à-dire les troubles du fonctionnement du corps causés par les comportements alimentaires des patient·es) mais également parce que le taux de suicide chez ces populations est plus élevé.
Le rôle des familles et des proches de patient.e.s
Mis à part l’importance de la vigilance du corps médical, la note met l’accent sur le rôle de la famille et des proches de la personne pour dépister ce genre de troubles du comportement et pour accompagner la prise en charge des troubles.
Tout comme le personnel médical et scolaire, les membres de la famille et les proches sont bien placé·es pour détecter les troubles alimentaires tels que les vomissements, les variations de poids soudaines, l’obsession de la perte de poids ou de l’apparence, les exercices physiques excessifs, les problèmes dentaires inexpliqués, la perturbation du cycle menstruel, les comportements addictifs ou encore les troubles et les douleurs gastriques fréquentes.
La HAS y explique en détail les types de traitement et d’accompagnement qui peuvent être envisagés. La personne pourra par exemple utiliser :
- des outils d’auto-support (la FFAB a d’ailleurs publié une liste de livres traitant de ces méthodes)
- des formes de psychothérapies adaptées à ces troubles telles que les Thérapies Cognitivo-Comportementales (TCC) ou encore des Thérapies Dialectiques Comportementales (branche spécifique des TCC) pour prévenir les risques de suicide
- les thérapies familiales sont également préconisées, avec notamment la méthode Maudsley (ou Family Based Treatment, FBT) qui est une approche visant spécifiquement les TCA
- des psychotropes peuvent être également envisagés, surtout si la personne présente d’autres troubles psychiatriques et un comportement suicidaire. Cependant, la note précise bien qu’ils ne peuvent être prescrits comme une solution à eux seuls : ils viennent toujours en complément de la prise en charge globale
- les approches complémentaires telles que l’art thérapie ou les thérapies basées sur la pleine conscience (mindfulness) ne sont pas contre-indiquées mais doivent être envisagées uniquement en parallèle de l’accompagnement multidisciplinaire recommandé
La recommandation de bonnes pratiques de la HAS donne également une liste des éléments à surveiller dans le cadre de comportements boulimiques. Ces éléments sont souvent liés aux vomissements. Par exemple, il est important de s’assurer ou d’informer la personne que, si elle prend des médicaments ou une contraception orale, elle ne se purge pas juste après. De même, les vomissements ayant des conséquences sur la dentition, la famille peut s’assurer que la personne applique certains conseils d’hygiène dentaire (ne pas se brosser les dents immédiatement après les vomissements, se rincer la bouche à l’eau plate après un épisode de vomissements, éviter les aliments acides, finir les repas par des aliments alcalins [lait ou fromage]) et qu’elle consulte un dentiste régulièrement.
Enfin, toute une partie est dédiée à “comment parler des troubles“, où l’on retrouve des conseils utiles pour tou·tes, à commencer par la personne souffrant elle-même de TCA. La Haute Autorité de Santé recommande que la personne en discute avec un·e professionnel·le de confiance ou un·e proche et précise qu’il n’est jamais trop tard pour consulter : “la guérison est toujours possible même après plusieurs années d’évolution des troubles“.
Pour la famille et l’entourage, la HAS explique qu’un dialogue constructif se base sur “une attitude bienveillante, non jugeante, incluant une écoute accueillante de la souffrance de la personne dans sa globalité. ” Si la personne souffrant de TCA ne souhaite pas de prise en charge ou souhaite l’arrêter, la lecture de la partie sur “les obstacles à l’accès aux soins et à la guérison” est une ressource importante pour mieux comprendre pourquoi, et venir en aide à la personne. Ces obstacles peuvent être par exemple la honte, la peur, le déni, la perte d’espoir de guérir, ou encore la recherche de solutions immédiates, qui va amener la personne a arrêter la prise en charge car elle ne voit pas d’effet immédiat.
L’isolement social engendré par ces troubles aggravant tous ces éléments, le soutien de la famille en est d’autant plus essentiel. La note insiste notamment sur le fait de ne pas hésiter à parler de la boulimie d’un·e proche à son propre médecin traitant.
Des fiches-outils détaillées
Dans sa forme, la recommandation de bonnes pratiques est également pensée pour être la plus accessible possible. Les termes, même techniques, sont clairs ; les explications sont concises, et les auteur·es ont ajouté à la fin des annexes appelées “fiches outils”, et c’est selon moi LA ressource de ce document.
Ces 8 fiches reprennent la majorité des recommandations de façon synthétique, en présentant les différentes sections de la note sous forme de listes. Parmi ces fiches, certaines s’adressent plutôt aux professionnel·les de santé (les 4 dernières notamment) et d’autres constituent une ressource accessible pour l’entourage. C’est le cas par exemple de la fiche outil 1, intitulée “Repérage”, qui récapitule tous les comportements à risque et les signes avant-coureurs de la maladie ; de la fiche 2 qui récapitule comment en parler ; et de la fiche 4, qui reprend les complications somatiques qu’il peut être utile d’avoir en tête pour accompagner au mieux un·e proche.
Un plaidoyer pour une prise en charge holistique
Comme évoqué plus haut pour le dépistage, la boulimie et l’hyperphagie boulimique sont des troubles complexes avec des aspects à la fois physiques et psychologiques, et la note insiste sur une prise en charge des patient·es dans leur globalité : “(l)a prise en charge doit être d’emblée pluridisciplinaire (somatique, psychologique, nutritionnelle, sociale et familiale), coordonnée entre les différents intervenants, adaptée à l’âge du patient et à l’intensité de ses troubles. “
Une partie des méthodes de prise en charge est d’ailleurs dédiée à une prise en charge dite “sociale”, où la reprise / la continuité du travail ou d’une scolarité normale est un objectif majeur. Chaque aspect du trouble doit être pris en considération, et c’est pourquoi la HAS recommande à toutes les personnes concernées par la prise en charge d’une personne souffrant de TCA de “(p)rendre en considération la souffrance de la personne dans sa globalité (aspects psychologiques, somatiques et sociaux).”
Les environnements scolaires et familiaux jouent donc aussi un rôle crucial dans la prise en charge de la personne, d’où la nécessité pour les proches et le personnel scolaire de s’informer sur ces troubles… via le document de la HAS !
Aller plus loin
- L’article d’Insane sur le monde de l’artiste “SNG” qui a connu des troubles du comportement alimentaire
- Pour en parler : la ligne Anorexie-Boulimie (Tel 0810 037 037) ou fna-tca.org
- Le site de la Fédération Française Anorexie Boulimie pour trouver un organisme vers chez soi
- L’Union des Associations Solidarité Anorexie Boulimie (qui ne traite pas que d’anorexie malgré le nom de son site web)
- L’AFTCC (Association Française des Thérapies Cognitives et Comportementales) pour trouver un·e psychologue
Camille.F
Image à la une : Julie.K.
La Manufacture s’associe au magazine Insane, premier magazine en ligne entièrement dédié à la santé mentale et créé par Lucie van der Sande, récemment diplômée de Sciences Po Paris. Ce partenariat permet à Insane de gagner en visibilité et à la Manufacture d’évoquer le sujet des maladies mentales et psychologiques, peu traité dans nos colonnes. Nous repartageons les articles publiés initialement sur le site d’Insane. Pour plus d’informations, rendez-vous sur le site internet d’Insane ! 🙂