Aujourd’hui, un article plus particulier. Je vais m’appuyer sur la projection de courts-métrages qu’a organisé l’association Prix de court lundi 20 Janvier à Sciences Po Lille pour discuter de court métrage de façon plus globale. Aussi, je ne revendique aucune prétention dans cet article. Les courts-métrages ne sont pas mon domaine. Je me contenterais de proposer des pistes de réflexions (surtout à la fin) à travers mes observations.
Le court métrage dans l’univers étudiant
Prix de court est une association étudiante de l’EDHEC Business School qui a déjà 35 ans d’ancienneté. Elle organise chaque année, durant le mois de mars, le festival du cinéma européen de Lille, le 3ème festival de courts-métrages en France, le premier en Europe organisé par des étudiants, réunissant jusqu’à 6000 visiteurs par an. En plus de la préparation du festival, l’association organise plusieurs évènements pour promouvoir les courts métrages ; via des soirées à thèmes, ou des projections dans des hôpitaux.
Cette association permet de montrer le lien qui existe entre monde étudiant et court-métrage. Ce mode de production est plus accessible qu’un long métrage. D’une part les courts-métrages sont moins exigeants techniquement ; d’autre part ils sont bien plus simples à produire, puisqu’ils coûtent beaucoup moins chers. Ce format, donc, est plus propice à l’expérimentation et aux exercices de styles pures, puisqu’il permet de se forger un style artistique et de le tester sans forcément se préoccuper de l’histoire. Il fait presque figure « d’essai » avant de passer aux longs-métrages. En d’autres termes, l’exercice de style seul est plus simple dans un court-métrage, car un film qui dure longtemps doit aussi faire attention à l’histoire qu’il raconte. La durée est alors cruciale, car c’est cette dernière qui va définir le court-métrage et ses possibilités. C’est un terrain ou la prise de risque sur la forme est fortement valorisée, afin d’avoir un propos plus efficace.
Le court métrage est populaire au sein des associations étudiantes et dans les formations artistiques. Que ce soit des concours, des festivals ou des projets de fin d’études.
L’animation : une part importante de l’univers du court métrage
Lors de la projection de lundi, sur sept films, trois étaient des films d’animation. Ce format est très populaire pour le court métrage, car il n’offre aucune limite au niveau de la créativité, d’autant plus que les angles de caméra sont très libres. Celui qui a particulièrement attiré mon attention est Obon. Ce film réalisé par André Hörmann et Anna Samo est un documentaire d’animation, sorti en 2018. Il relate la vie d’Akiko Takakura, une survivante du bombardement d’Hiroshima.
Ce court-métrage est particulièrement intéressant sur sa forme. Il transforme la vie d’une femme en œuvre d’art. Le propos est de montrer comment une jeune personne va se remettre d’un évènement très traumatisant. Le thème sous-jacent est la vieillesse. Le film rempli cette ambition avec sa réalisation qui déborde d’idées sur le plan visuel. Plus haut, je dis que la prise de risque est valorisée pour rendre son propos efficace. Obon fait cela à merveille. Le film utilise très souvent des distorsions, à la limite de la métamorphose, pour appuyer certaines scènes. Par exemple, pour marquer la vieillesse sur le visage d’Akiko, les cernes vont être expressément exagérées. Le film s’amuse à expérimenter lors de la scène des bombardements, très impressionante. Les cadavres, difformes, s’accumulent et se perdent dans les flammes. L’abus de couleurs chaudes contrastées avec le gris et le noir ainsi que l’aspect très crayonné donne cette impression d’enfer sur terre. Il n’y a plus rien, tous les repères sont détruits. Cette scène se permet même une envolée fantastique avec la représentation d’oni (créatures démoniaques japonaises) renforçant l’aspect apocalyptique de la scène.
Un terrain d’expérimentation pour de jeunes talents
Comme j’insistais plus haut, le court-métrage est le lieu idéal pour expérimenter, puisque la durée permet de se consacrer à une technique particulière. Il n’est pas rare de voir des réalisateurs avec une grande renommée débuter avec ce format. David Lynch, avant son premier long-métrage (Eraserhead, 1977) a réalisé quatre courts métrages (Six Figures Getting Sick, 1967 ; The Alphabet, 1968 ; The Grandmother, 1970 ; The Amputee, 1973). D’ailleurs je vous recommande très fortement son dernier court-métrage, Qu’a fait Jack, disponible sur Netflix depuis mardi.
En parlant de technique, lors de la projection, j’ai pu voir Madre, un court métrage de Rodrigo Sorogoyen sorti en 2017. Il raconte l’histoire d’un appel entre une mère et son fils, parti en vacances en France, sauf que tout dérape…Très intéressant formellement, ce film de 17 minutes comporte 3 plans séquence, dont un de 15 minutes.
Le plan séquence, très prisé au cinéma, est une technique très difficile à maîtriser. Il pose deux difficultés : la pertinence de ce dernier avec le propos du film, le fait de durer sans tomber dans la lassitude ou le désintérêt. Madre remporte son pari. Il s’agit de plonger le spectateur au cœur d’un appartement, ou une femme, succombe à la panique. De par le cadre et l’évolution du personnage, le plan séquence est pertinent. Il permet de suivre au plus près possible l’action, ce qui renforce l’immersion. Cette démarche doit aussi être liée avec le fait que ce film joue la carte de la suggestion. Tout se passe avec le dialogue au bout du fil, rien n’est montré. La force de ce court-métrage est de montrer comment la jeune mère tombe dans l’hystérie. Porté par une belle prestation, ce film est une réussite.
Quelle visibilité pour les courts métrages ?
L’association Prix de court souhaite rendre le court métrage plus visible, c’est un format qui n’est pas populaire auprès du grand public. Je pense que le mode de distribution pourrait en partie expliquer cela. Les courts-métrages sont souvent diffusés dans le cadre des festivals, d’évènements associatifs, à la TV en heures creuses ou sur des chaines payantes, dans le pire des cas au cinéma (avant une séance ou pour une projection évènementielle avec plusieurs films). Tous ces espaces, accessibles à tous, sont ignorés du grand public et prisés par les initiés. A l’inverse, les films populaires sur heures pleines ou les séances des films avec beaucoup de marketing vont parler aux profanes. De ce fait, le court-métrage se développerait dans des sphères restreintes, la ou les longs métrages (pas tous bien entendus) se diffusent très facilement dans l’espace et toutes les sphères, puisque bien souvent, le budget facilite la circulation. Derrière ce sujet se trouve aussi celui de la culture. Tout le monde peut citer de grands films, la tâche est bien plus difficile avec les courts-métrages.
Pour autant, il ne faut pas penser que les courts-métrages ne sont qu’une affaire de minorités. Il y’en a de tous les styles, toutes les époques, tous les pays et tous les registres. Aujourd’hui, avec le gain de popularité de plateformes de streaming comme Netflix et le développement d’Internet, de nouvelles opportunités s’offrent pour les courts-métrages, en termes de production et de visibilité. Sans oublier l’action d’associations, comme Prix de court, qui réalise un travail passionné, le court-métrage se démocratise. Il a su trouver son public.
On se reverra en mars pour le festival !
Naroun Amir