Nouvelle chronique de la série ciné de La Manufacture ! Prenez place sur votre fauteuil, le film va commencer… Au programme cette semaine : un drame judiciaire insolvable (La fille au bracelet, Stéphane Demoustier) et un avocat face à un géant de l’industrie chimique (Dark Waters, Todd Haynes).
La fille au bracelet : un procès sans artifices qui interroge le spectateur
Lise est une jeune fille de 16 ans, elle vit heureuse avec sa famille. Un jour, lorsqu’elle s’amuse sur la plage, deux gendarmes viennent l’arrêtée. Elle est accusée d’avoir tué sa meilleure amie….
Tel est le point de départ de ce film, où, le spectateur, va suivre le procès de la jeune fille, deux ans après son arrestation. L’action va se concentrer majoritairement sur son jugement, les témoins vont s’alterner à tour de rôle, les révélations s’enchainent.
Ce film a un aspect très troublant, voire dérangeant. Le regard que le spectateur porte sur Lise ne cesse de changer tout le long. Coupable ? Le spectateur devient un juré ou chaque élément est à son interprétation. Est-ce que tous les éléments à charge ne sont que des coïncidences ? Est-ce que l’histoire de ce témoin donne un mobile à Lise ? Le film a ce point fort de ne jamais se reposer sur ses lauriers, l’histoire de Lise ne cesse d’évoluer, l’opinion du spectateur aussi. Ce n’est pas tant un film policier où il faut trouver qui est le coupable, c’est avant tout l’histoire d’une adolescente, complexe, qui a ses secrets et son monde intérieur.
La réalisation va donc permettre d’appuyer ce que je viens de dire sur deux axes : le fait de vivre le procès et de confronter l’histoire de Lise a un monde qui n’est pas le sien. D’abord, la réalisation cherche à être le plus réaliste possible. Aucuns effets spéciaux, aucune recherche esthétique, aucun effet de style. Toute la mise en scène cherche à se rapprocher le plus possible d’un vrai procès, dans le décor comme toutes les procédures présentées. Tout est filmé à base de plans fixes qui insistent sur les visages des personnages ; la caméra n’hésite pas aussi à reculer pour observer toute la cour, fixée sur Lise. Parlons-en d’ailleurs, durant tout le procès, elle est derrière une baie vitrée. Sa position renforce son air perdu et la dualité avec le monde des adultes. Elle est perdue, son attitude déroutante fait qu’elle ne se plie pas totalement aux règles de la cour. Symboliquement cette vitre marque la distance entre un monde, qui l’observe de loin, sans la comprendre ; et elle, seule, incomprise.
Je finirais sur une phrase du réalisateur qui résume bien le propos du film : « En fait, le spectateur vit le procès comme s’il était lui-même juré, il n’a accès qu’à la vérité qui est exposée face à la Cour. Il n’y a pas de rebondissement qui ferait surgir la vérité. Chacun a la liberté d’investir cette histoire comme il l’entend, moi, je n’impose rien, je ne voulais surtout pas être omniscient. »
Dark Waters : une enquête prenante pour une issue révoltante
Robert Bilott est un avocat qui fait une brillante carrière dans la défense des industries chimiques. Un jour, un paysan le contacte au sujet de ses eaux polluées. Robert découvre que la compagnie Dupont, l’industrie la plus puissante de la région, rejette des composants mortels dans l’eau. Il décide de s’emparer de cette affaire, qui se révèle bien plus dense qu’il ne le pensait.
Dark Waters est avant tout un film politique qui cherche à dénoncer les vices des grandes entreprises américaines pétrochimiques et tous les mécanismes qu’elles emploient pour agir dans la discrétion et la sûreté. Le film est particulièrement réussi sur cet aspect car il montre que toutes ces protections sont « totales » : sur le niveau juridique, par la corruption ou des contrats intouchables, sur la puissance économique par le profit et la généralisation de ses produits, la proximité avec le pouvoir…Cet aspect global impressionne et montre la surpuissance de l’entreprise.
Cette influence de la compagnie Dupont donne un résultat vertigineux, puisque le film est centré sur son personnage principal. Il est alors très satisfaisant de voir, comment cet avocat entêté dans la défense des grands industriels, va être lui-même confronté à la réalité du terrain. Il observe avec effroi tout ce qu’il a normalement l’habitude de voir derrière sur des papiers à son bureau. Le long métrage s’attarde sur la façon dont l’affaire travaille le protagoniste. Alors qu’il menait une vie tranquille avec sa famille, il va sombrer dans le travail. C’est un personnage épuisé, mais qui va changer et trouver une raison de se battre, mais plus encore, il va dévouer sa vie pour les autres.
Sur le plan cinématographique, le film joue la carte de la sobriété contrairement à ce qu’on pourrait penser a priori. Ici, pas de sensationnalisme, de musique qui force, d’artifices à tout va. La caméra est calme, la photographie joue sur le gris et ses nuances pour rendre l’image la plus sobre possible. Quant à la performance de Mark Ruffalo, elle est assez remarquable. Il épouse son personnage pour ne faire qu’un avec son rôle, puisque ce dernier est différent par rapport à ses habitudes. Ce film d’enquête reste donc sage, mais fait froid dans le dos. C’est une qualité rare et à souligner pour un film du genre. Il demeure néanmoins un côté assez académique et lisse.
En clair, Dark Waters réussit son pari militant, celui d’alerter sur les substances chimiques cancérigène, souvent si invisibilisées et méconnus du grand public. Pour rappel, c’est un film inspiré de faits réels. Robert Bilott, aujourd’hui encore, se bat pour que les victimes du C8 soient dédommagées.
Amir Naroun