Passer au contenu

Demi-loi climat : il est encore temps d’agir

Décryptage du tricotage de la Convention Citoyenne

Ce 10 février 2021, la loi “Climat et résilience” a été présentée en Conseil des ministres. Celle qui aurait dû devenir une loi structurante en matière de lutte contre le réchauffement climatique incarne finalement le mépris d’un gouvernement qui vit décidément… sur une autre planète. Un mépris double puisque ni les mesures environnementales sur lesquelles le président de la République s’était engagé en Juin 2020, ni le processus démocratique censé émaner de la Convention Citoyenne pour le Climat n’ont été respectés. Sur le fond comme sur la forme, ce gouvernement n’est donc pas à la hauteur. En attendant le vote en première lecture à l’Assemblée Nationale fin Mars 2021, il est urgent de s’engager. Décryptage du voilement progressif d’un projet ambitieux qui s’est transformé en Demi-Loi Climat.

  1. De la crise des gilets jaunes naît la convention citoyenne pour le climat

Retour en Octobre 2018. Après la décision prise par le gouvernement d’augmenter la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE), un mouvement social spontané et relayé via les réseaux sociaux naît pour lutter contre la hausse des prix des carburants. Très vite, la contestation s’organise  : les manifestations ont lieu tous les samedis, les routes et les rond-points sont bloqués par des personnes portant un gilet jaune. Ces-dernier.es, principalement des travailleur.ses précaires issu.es des zones rurales et périurbaines, élargissent peu à peu les revendications aux domaines sociaux et politiques. Le mouvement permet notamment de réaffirmer la maxime suivante : pas de justice environnementale sans justice sociale.

Très vite, un collectif se saisit de ce double objectif – préserver une planète et des corps souffrants – les gilets citoyens. 125 acteur.ices réunissant des gilets jaunes, représentant.es de mouvements écologistes, expert.es de la démocratie participative et acteur.ices de la société civile adressent une lettre ouverte au Président de la République Emmanuel Macron. Cette lettre, relayée par les médias, appelle notamment à la création d’une Assemblée citoyenne tirée au sort respectant les principes de démocratie délibérative pour sortir de la crise et réussir le Grand Débat National. En Février 2019, Cyril Dion et Marion Cotillard appuient la demande lors de leur rencontre avec E. Macron. Après quelques mois de négociation, le président de la République annonce le 25 Avril 2019 la mise en place de la convention citoyenne pour le climat et s’engage à faire passer ces propositions dans le droit français “sans filtre”. 

  1. Un processus démocratique innovant et des propositions écologiques ambitieuses

Avec une enveloppe de 5 millions d’euros, le discret conseil économique, social et environnemental est chargé d’organiser cette première convention citoyenne en France. 150 femmes et hommes âgés de 16 à 80 ans, de toutes origines et professions sont ainsi tiré.es au sort pour répondre à la question suivante : comment réduire les émissions de gaz à effet de serre d’au moins 40% d’ici 2030 par rapport à 1990 (afin de se maintenir sous la barre des 2°C de réchauffement climatique) dans un esprit de justice sociale ? Durant six week-ends, les citoyen.nes auditionnent des économistes, des expert.es sur le climat, des associations et autres acteur.ices économiques. Iels sont également accompagné.es par un comité de gouvernance animé par le CESE, le ministère de la Transition écologique et solidaire et quelques personnalités qualifiées (Jean Jouzel ou Mathilde Imer) qui élabore le programme des travaux. De facto, les réflexions s’articulent autour des thématiques de la vie quotidienne : consommer, produire, travailler, se déplacer, se loger et se nourrir. Enfin, un collège des garants (Cyril Dion, Anne Frago et Michel Kadi) est également chargé de veiller au respect d’indépendance et de déontologie : pas de place pour les lobbies.

La Convention Citoyenne pour le Climat s’est achevée le 21 Juin 2020 après neuf mois de travail. Les 150 ont ainsi remis leur rapport de 600 pages à l’exécutif. Si les trois mesures phares que sont la réduction de la vitesse sur autoroute à 110 km/h, la taxation des dividendes des entreprises et la réécriture du préambule de la Constitution sont immédiatement abandonnées (“les trois jokers”), le président de la République s’engage sur les 146 autres propositions. On peut par exemple retenir la création d’une obligation de rénovation globale pour les bâtiments, la fixation dès 2025 d’une interdiction de vente des véhicules les plus polluants avec un seuil ambitieux, la fin des niches fiscales défavorables à l’environnement, la régulation de la publicité sur les produits les plus polluants sur le climat et sur les produits alimentaires mauvais pour la santé, la création des chèques alimentaires pour l’alimentation saine des plus démunis, l’instauration d’une redevance sur les engrais azoté….

E.Macron fait donc un premier pas en arrière en invoquant des “jokers” qui n’existaient pas jusqu’alors dans le processus mais le rapport est ambitieux et apporte –pour une fois– un peu d’espoir à des citoyen.ne.s fatigué.e.s par la politique des « petits pas » et par une démocratie représentative inaudible. Les 146 propositions doivent alors être soumises sans filtre, au vote du parlement, à un référendum ou bien appliquées par mesures réglementaires. La réalité est bien plus sombre.

  1. Le retour à l’écologie des “petit pas” et la médisance à l’égard des 150

Récemment encore, la ministre de la Transition écologique Barbara Pompili se vantait du bilan de la CCC : “20 % des propositions sont incluses dans le budget 2021, 10 % doivent être adoptées par décret, 5 % font l’objet de négociations internationales, 40 % doivent être incluses dans le “projet de loi sur le climat” et le reste selon “d’autres modalités”.

Pourtant, la dernière version du projet de loi dévoilée le 8 janvier montre que toutes les mesures phares sont revues à la baisse, voire inexistantes. Le Conseil économique, social et environnemental et le Haut Conseil pour le Climat jugent effectivement la loi telle qu’elle est présentée comme trop peu ambitieuse et surtout inapte à réduire de 40% les émissions de gaz à effet de serre de la France d’ici 2030 par rapport à 1990. On peut ainsi résumer la vision environnementale du gouvernement en une focalisation sur les écogestes, l’information des consommateurs et l’engagement volontaire des entreprises. Rien de plus. Voici, globalement, les mesures qui ont été amoindries voire supprimées :

Incapable de tenir ses objectifs en interne, la France s’en fixe de nouveaux à l’échelle européenne. Rappelons ainsi que, début Décembre 2020, Emmanuel Macron clame avec vigueur l’importance de réduire de 55% les émissions de CO2 d’ici 2030 au Conseil Européen. Lors du cinquième anniversaire de l’Accord de Paris, en plus de vanter le Green New Deal, le président se félicite d’une “nouvelle loi sur le climat issue des travaux de la Convention Citoyenne sur le Climat : 150 citoyens qui nous ont aidé à réfléchir … qui ont proposé des solutions très concrètes pour la transition de notre économie, que nous allons mettre en œuvre”. E. Macron présente donc la Loi Climat comme le signe d’un monde qui change alors que le projet de loi ne reflète que la vision dominante depuis 1970 : celle d’une croissance verte. De plus, le fait qu’il qualifie les 150 de “personnes l’ayant aidé à réfléchir” témoigne bien de son mépris des 150 et de l’expérience démocratique que devait être la CCC.

La médisance atteint son paroxysme. En plus de perdre sa capacité à stopper le réchauffement climatique, la demi-loi climat sape le processus démocratique de la convention citoyenne. Les 150 citoyen.ne.s sont malmené.es. Début Décembre, Emmanuel Macron rappelle en ces termes sur Brut : “Je ne vais pas dire que juste parce que les 150 citoyens ont écrit quelque chose, c’est la Bible ou le Coran“. Peu après, les député.e.s et les citoyen.nes apprennent que le texte de loi et ses 80 articles ont été rédigés à plus de 95% en Conseil des ministres, sans consultation. Il faut savoir qu’une fois les propositions sorties en juin 2020, leur application dans un projet de loi devait être un travail de groupe entre les député.es, les 150, la société civile et le gouvernement à partir de septembre. Il s’agit donc de quatre mois de réunions factices pour cacher le fait que tout le travail se faisait sans elleux.   

Seules quelques réunions symboliques, impulsées par le député Matthieu Orphelin, sont organisées deux jours avant l’envoi du texte au Conseil d’Etat le jeudi 10 Décembre. Certains citoyen.nes appellent au boycott. Le Président rencontre alors le 14 Décembre les 150 pour apaiser les tensions et décide de revenir sur l’un de ses jokers: il accepte d’organiser un référendum sur la modification du préambule de la Constitution. La fourberie est triple. D’abord, le président sait bel et bien que ce référendum n’est pas assuré car il dépend du vote de l’Assemblée et du Sénat en termes identiques (article 89 de la Constitution). Ensuite, le crime d’écocide est remplacé par un délit d’écocide bien moins impactant juridiquement. Enfin, il prétend encore que ses notions de “joker” ont du sens alors que pendant qu’il médiatisait sur ses trois exceptions, le conseil des ministres en faisait des dizaines. 

Dernier scandale en date : pour répondre au constat unanime selon lequel la demi-loi climat est incapable de maintenir le réchauffement en-dessous des 2°C d’ici 2030, E.Macron a décidé de faire évaluer l’impact de toutes les politiques environnementales mises en place depuis le début de son quinquennat sur le réchauffement climatique. Seulement, il n’a pas mandaté le Haut Conseil pour le Climat -organisme indépendant créé par le Président lui-même- mais le Boston Consulting Group (BCG) -un cabinet de conseil dont 60% de ses clients sont des entreprises du CAC40-. Ce cabinet de conseil a travaillé par exemple avec le Medef, le monde publicitaire et classait en 2019 la firme de pesticides BASF comme « l’une des 50 entreprises les plus innovantes du monde ». Calculer l’impact de la Loi Climat en y ajoutant celui de toutes les politiques antérieures est déjà amusant mais demander au BCG de le faire montre que le Président ne fait même plus semblant de croire que sa loi ait quelconque impact.

Conclusion

La demi-loi climat va probablement passer en première lecture à l’Assemblée Nationale puis au Sénat. Le tournant vert n’aura donc pas lieu. Et cela en pleine pandémie du coronavirus dont les causes sont en partie liées à la destruction des habitats naturels. La crise que nous vivons actuellement en annonce d’autres : économiques, sociales, migratoires. Le système actuel implose, et les politiques ne sont pas au rendez-vous. Les gilets jaunes ont tenté de leur rappeler l’importance d’une justice sociale et environnementale. En vain, le gouvernement communique. Les citoyen.nes de la convention citoyenne pour le climat ont proposé un plan ambitieux. En vain, les lobbies rappliquent.

L’expérience de la Convention aura au moins permis de déconstruire certaines idées reçues. L’opinion publique est prête à soutenir des politiques environnementales radicales. Des climatosceptiques ont été tiré.es au sort parmi les 150 et, une fois informé.es sont prêt.es à se rallier au mouvement. Rappelons au gouvernement que l’Etat français vient d’être condamné pour “inaction climatique” par le Conseil d’Etat et qu’il dispose de trois mois pour prouver le respect de son engagement dans les accords de Paris. Martelons avec véhémence la nécessité de réduire le réchauffement climatique et de préserver la biodiversité. Pour que notre génération et les générations suivantes puissent vivre décemment. Pour que notre planète respire à nouveau. Pour réinventer un récit plus éthique. Soyons résilient.es et engageons-nous.  

Comment faire ? 

En rejoignant le mouvement créé spécialement pour proposant de l’activisme en ligne : #Maintenantoujamais. Pour participer à toutes leurs actions, vous pouvez rentrer dans un des groupes WhatsApp en remplissant ce formulaire d’inscription : http://rebrand.ly/MaintenantOuJamais_Action. La semaine à venir est décisive car il n’y a plus que les amendements déposés par les député.es -dont la date butoir est fixée au 3 mars– qui pourront sauver la Loi Climat. L’enjeu étant de faire pression sur les député.es de la majorité qui ont le pouvoir de faire passer les amendements les plus ambitieux et qui ne semblent pas prêt.es à le faire. Pour ce faire, l’association Green Lobby a créé un site permettant l’émergence d’un lobby citoyen : à chaque signature pour une vraie Loi Climat, le député de votre circonscription reçoit un mail le notifiant de votre avis sur les amendements -vous avez effectivement le choix de vous prononcer ou non sur différent.es points clés de la Loi-. 


Les équipes d’Homoecolorictus

Homoecolorictus est une association étudiante créée à Sciences Po Lille dans l’objectif d’organiser des Conventions Etudiantes pour le Climat à divers échelles, à l’image de la Convention Citoyenne pour le Climat. A travers les mesures qui ressortent de ces conventions mais plus largement à l’aide de son action de lobbying, elle a pour ambition de peser sur la mise en place de politiques publiques dans le sens d’une transition écologique et de promouvoir la démocratie participative. Le site internet : www.homoecolorictus.org

 

Sources : 

Suivi de la Convention citoyenne pour le climat

https://reporterre.net/Climat-18

[1]https://www.banquedesterritoires.fr/convention-citoyenne-sur-le-climat-barbara-pompili-defend-le-projet-de-loi-avant-une-serie-de

[2]https://www.facebook.com/journalbasta/posts/10158482530574892?__tn__=-UK*F