La journée est plus froide que prévue, et quelques gouttes glacées tombent du ciel. Ce temps morne me rappelle une atmosphère bleue sombre. Le thème de « la lettre à Elise » de Beethoven, aussi cliché soit-il, colle parfaitement à cette ambiance et ses notes ne manquent pas de me rappeler l’un des films m’ayant le plus marqué de ma vie. Ce film, vous l’aurez deviné au nom de l’article, est Elephant, de Gus Van Sant.
Je pense qu’un thème que j’affectionne particulièrement dans le cinéma est celui de l’adolescence et du passage à l’âge adulte. Tant de choses se passent en ces quelques courtes années que le réservoir d’inspiration y est infini, et ce, jusque dans des extrêmes pouvant devenir sombres… et bien trop réels. C’est ainsi à travers ce film que nous vivons une journée à priori banale dans un lycée américain, en suivant différents élèves, la différence étant que ces élèves ne savent pas qu’il s’agit en réalité de leur dernière journée.
Côté scénario :
On suit donc une journée banale dans un lycée américain typique. Terrain de football, cantine, grands couloirs parsemés de casiers, parc. Le cadre est classique. Mais dès le début, quelque chose cloche dans l’ambiance générale du film. On devine vite, malgré l’univers de l’adolescence, que ce film est sombre; on est loin, très loin, des « teen movies » présentant la vie au lycée comme un éternel high school musical. Le réalisme de la vie dans ce lycée est d’une banalité presque triste. On suit, au fil du film, le parcours de différent.e.s lycéen.e.s au cours d’une même journée, une journée que nous avons tou.te.s vécu.e.s un millier de fois au lycée. Michelle finit avec difficulté un cours de sport puis cours se réfugier à la bibliothèque; Nathan, joueur de l’équipe de foot, rejoins sa petite amie; Elias prend des photos des autres lycéens pour son portfolio; John arrive encore une fois en retard en cours, etc. Chacun.e a sa vie, et leur seul point commun est ce lycée qu’ils fréquentent.
Quel concept alors pour ce film ? Pourquoi cette journée banale pourrait-elle bien être la « dernière » pour ces lycéen.e.s ?
En réalité, j’ai omis de mentionner deux autres lycéens dont on va suivre la journée. Ces deux lycéens sont Alex et Eric, et ils prévoient de faire une fusillade dans le lycée. Alex est un apprenti pianiste introverti et frustré, s’entêtant à jouer en boucle cette fameuse « lettre à Elise » de Beethoven. Eric est un cancre et l’ami le plus proche d’Alex. À deux, ils partagent une passion pour le morbide et décident d’acheter une arme en ligne, avec une facilité déconcertante. Armés jusqu’aux dents, ils prennent la voiture d’Alex et se dirigent vers le lycée, dans lequel les étudiant.e.s sont encore en plein milieu d’une journée de cours. Le reste est à découvrir en regardant le film.
Côté réalisation :
Un élément essentiel faisant toute l’originalité du film, et qui vous marquera vous aussi, est la manière non-linéaire dont est contée l’histoire. En effet, l’objectif du film est de suivre le parcours de plusieurs lycéen.e.s au cours de la même journée. Or, ces mêmes lycéen.e.s vont logiquement se croiser plusieurs fois au cours de cette journée. Gus Van Sant a donc choisi de suivre chaque personnage, y compris lors de scènes où ces derniers se croisent. On se retrouve ainsi parfois à voir une même scène plusieurs fois dans le film, mais du point de vue d’un personnage différent à chaque fois. Cela donne inévitablement lieu à des retours en arrière, des changements de point de vue. Les chemins se croisent, les parcours s’emmêlent, et lorsque les tueurs arrivent à l’intérieur du lycée pour commencer leur inévitable carnage, on ne peut que prier pour que le parcours des autres personnages ne croise pas le leur. Le résultat est hypnotisant et morbidement addictif, on ne veut pas quitter le film avant d’avoir vu la dernière image de la dernière scène.
Côté global :
1h20, c’est la durée de ce film et le temps qu’il lui a fallu pour me convaincre de la puissance des émotions que le cinéma peut transmettre. Elephant est un film qui parle peu, qui montre beaucoup, et qui nous convainc par la force de son esthétique, de son jeu d’acteur, de son thème, et de la manière dont tout cela est apporté.
En lisant cet article et en apprenant plus sur le concept du film et son scénario, un mot vous est peut-être venu en tête : « Columbine ». Le lien entre cette tuerie, survenue à peine 4 ans avant la sortie du film, et le sujet de l’oeuvre est évident, et ce film tire en grande partie son inspiration de cet évènement.
Enfin, au-delà de ça, il est utile de mentionner que Elephant fait en réalité partie d’une trilogie de films réalisés par Gus Van Sant, baptisée la « death trilogy ». Le point commun de ces films est le thème de la mort, le fait qu’un ou plusieurs des personnages principaux finissent toujours par mourir au cours du film. Ces trois films n’ont pas de lien scénaristique entre eux et sont chacun inspirés de faits réels différents. Le premier de cette trilogie est Gerry (2002), retraçant l’histoire d’un duo de randonneurs perdus dans la nature, le deuxième étant Elephant (2003) et le dernier étant Last days (2005), inspiré de la mort de Kurt Cobain.
Rayane Hocini