Entre les plans d’investissements 2030 d’Emmanuel Macron et les mobilisations virulentes de Greenpeace, le nucléaire civil fait entendre des points de vue radicalement différents, clamés lors de débats houleux. Pourquoi le nucléaire pose-t-il tant problème ? Qu’en penser ? Est-ce l’énergie de l’avenir, un mal nécessaire ou une impasse néfaste ?
Pourquoi le nucléaire tient-il une place si importante en France ?
L’indépendance énergétique du pays
Le développement du nucléaire en France s’est envolé après le choc pétrolier de 1973 qui a révélé la fragilité de la France en matière de dépendance énergétique. Le nucléaire s’est imposé comme une alternative viable, assurant à la fois l’indépendance énergétique et la grandeur de l’industrie française.
Aujourd’hui, la France compte 58 réacteurs produisant 72% de l’électricité française. Pendant longtemps le nucléaire a permis l’électrification efficace et à bas coût de la France, selon EDF. Dépendant entièrement de facteurs humains, une centrale nucléaire a l’avantage de pouvoir tourner toute l’année et peut être mise à l’arrêt ou redémarrée pour s’adapter aux demandes en électricité du pays. Les grandes capacités de production de chaque réacteur (entre 900 et 1500 mégawatt) ont permis de concentrer la quasi-totalité de la production d’électricité de tout le pays dans un nombre limité de réacteurs.
Bas carbone
Avec la montée des inquiétudes concernant le changement climatique à la fin du XXème siècle, le nucléaire civil a été désigné comme une solution : contrairement aux énergies fossiles, il ne rejette pas de CO2 en produisant de l’électricité. Effectivement, selon le GIEC, le nucléaire émet la même quantité de CO2 que l’éolien, et 68 fois moins de CO2 que le charbon, 40 fois moins que le gaz, 4 fois moins que le photovoltaïque.
Alors pourquoi tant de débats ?
Une énergie pas si bas carbone que ça
Les chiffres cités sur les émissions de CO2 d’une centrale sont certes corrects, mais, selon Greenpeace, réducteurs. Ils se focalisent sur les émissions directes d’une centrale, ce qui sort de ses cheminées. Mais une centrale est une structure construite en béton, matière très polluante (800kg de CO2 par tonne). Elle fonctionne grâce à de l’uranium miné en Afrique, souvent dans des conditions néfastes pour les populations locales. L’uranium est ensuite transporté en France pour y être raffiné avant d’être acheminé vers la centrale, puis vers un centre de retraitement une fois utilisé. Ces facteurs ne sont pas pris en compte dans le bilan carbone du nucléaire et sont donc difficiles à chiffrer avec précision.
Une technologie dangereuse ?
Fukushima et Tchernobyl nous l’ont bien montré, les dangers du nucléaire ne sont pas à prendre à la légère. Certes ce sont là des exceptions, mais de tels évènements ne sont pas improbables pour autant. Pour bien fonctionner, une centrale a besoin d’approvisionnements constants en eau et en électricité, d’une surveillance particulièrement assidue et de matériel pointu et en bon état. Mais ces conditions ne sont pas toutes remplies, et des accidents majeurs sont souvent évités de peu. A cela s’ajoute des dénonciations régulières de Greenpeace et d’autres ONG sur le manque de sécurité des centrales en France, jugées mal gardées et trop exposées à des attaques terroristes.
Des coûts d’entretien et de maintenance non négligeables
Construction, maintenance, mise aux normes, traitement des déchets, démantèlement : les centrales coûtent cher. Selon un rapport de la Cour des Comptes, le nucléaire a coûté au total 188 milliards d’euros à la France depuis les années 1950. Ce chiffre n’inclut pas le coût de démantèlement des vieilles centrales (au moins 18,4 milliards d’euros), le traitement de tous les déchets (environ 43 milliards d’euros), les travaux de mise aux normes de sécurité (10 milliards d’euros). Le total des dépenses du nucléaire devrait donc se chiffrer à au moins 227 milliards d’euros dans les prochaines années.
Le problème des déchets
En 2017, l’ANDRA (l’agence gouvernementale responsable de la gestion des déchets) a recensé 1,62 millions de m3 de déchets radioactifs, avec une production annuelle d’environ 50 000 tonnes. La majorité de ces déchets, dite « à vie courte » n’est dangereuse « que » pour une période de 300 ans. Pour 4% de ces déchets, cette période se chiffre en milliers, voire dizaines de milliers d’années. La seule solution : le stockage. Mais cela pose des problèmes inédits de coûts et de durabilité, d’autant plus que la majorité des sites existant sont presque à saturation.
Donc on fait quoi ?
Les énergies renouvelables pourront-elles remplacer le nucléaire ?
Éolien, hydraulique, photovoltaïque, ces sources d’énergie émettent certes peu de CO2 mais également peu d’énergie. Étant soumises aux conditions climatiques (vent, soleil, haut débit d’eau), leur rendement est donc moins intéressant que celui d’une centrale. Leur construction requiert également des métaux rares disponibles en quantités limitées. Mais elles ont le mérite d’être plus sûres, moins chères et adaptables à des milieux très variés. En termes de prix, le mégawatt/heure de l’éolien et du nucléaire est désormais égal selon le rapport de la Cour des Comptes. La différence étant que le prix des énergies renouvelables est voué à baisser, alors que celui du nucléaire va augmenter avec le temps.
La solution dans la modération.
Le nucléaire est donc difficilement remplaçable, surtout dans un pays où il tient une part si importante. De plus les alternatives ne présentent pas une solution efficace. Comment pouvons-nous donc avoir assez d’énergie, peu chère et respectueuse de l’environnement ?
Selon l’association Négawatt, parce que la meilleure énergie est celle que nous ne consommons pas, nous devons ici effectuer un travail bien plus en amont, et repenser notre consommation dans sa totalité. Cela se fait avec une meilleure isolation de nos logements mais également une consommation réduite à l’essentiel, dépourvue du superflu. La question du nucléaire s’inscrit dans le problème bien plus global de nos modes de vie excessifs que nous devons impérativement questionner pour préserver les bonnes conditions de vie de notre planète.
Louizanne Jeaffreson Villeglé
Sources :
DEMEUDE Hugues. Nucléaire danger immédiat : et ça se passera près de chez vous ! Paris: Flammarion, 2018.
SALOMON Thierry, HESSEL Stéphane, and LOVINS Amory Bloch. Manifeste Négawatt : en route pour la transition énergétique ! Nouvelle édition 2015. Arles: Babel, 2015
TOPÇU, Sezin La France nucléaire : l’art de gouverner une technologie contestée, édition du Seuil, 2013
WOESSNER, Géraldine Faut-il sortir du nucléaire ? First Edition (collection Ca fait débat), 2019
Greenpeace Nucléaire : un mal nécessaire pour le climat ? – YouTube