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Violences sexuelles dans le porno : Le Sénat tire la sonnette d’alarme

C’est une première dans l’histoire du Parlement : un rapport d’information se penche sur l’industrie pornographique et ses dérives. Dans un contexte judiciaire propre aux plateformes de diffusion, il met en avant un constat effrayant et propose 23 recommandations.

L’industrie de la pornographie génère des violences systémiques envers les femmes. Tel est un des constats, tiré et dévoilé le 27 septembre dernier, par la délégation aux droits des femmes du Sénat. Six mois de travaux, des dizaines d’heures d’auditions et une analyse des principaux contenus pornographiques en ligne aujourd’hui, ont été nécessaires à quatre parlementaires de tous bords politiques – Annick Billon (UC), Alexandra Borchio Fontimp (LR), Laurence Cohen (CRCE) et Laurence Rossignol (CER) – , pour délivrer un rapport qui veut “provoquer un électrochoc”. Tout cela dans le but de mieux encadrer l’industrie pornographique après la révélation de plusieurs scandales.

Des conclusions accablantes

Ce système de violences, érigé aujourd’hui en norme par le secteur, a vu le jour il y a 20 ans. Une toile de chaînes gratuites (YouPorn, Pornhub), très accessibles, s’est tissée avec la révolution numérique. Puis les réseaux sociaux ont entraîné une massification des contenus et une accélération de la diffusion des vidéos pornographiques. D’autres plateformes suivent, comme OnlyFans ou MYMS, pour favoriser la consommation. Annick Billon (Union Centriste), présidente de la délégation sénatoriale et rapporteure du rapport, déclarait sur France Inter : « A partir du moment où la consommation se massifie et s’intensifie, il y a une demande, et les actrices l’ont dit, une demande qui s’adapte aux consommateurs. ».[1]

Le secteur du X est « plus une affaire d’argent qu’une affaire de sexe » : l’industrie reste managée par quelques multinationales propriétaires des « tubes », autre nom pour les plateformes. Ils ne peuvent s’en sortir sans les producteurs, qui leur fournissent des contenus à diffuser. Tout cette mécanique tend à renforcer la porosité entre le secteur dit “professionnel” et un secteur amateur en pleine expansion.

Avec une demande qui explose, notamment chez les jeunes (pour rappel, deux tiers des enfants de moins de 15 ans ont déjà eu accès à des images pornographiques), le rapport alerte sur des « producteurs qui ne craignent pas d’exploiter la vulnérabilité économique et psychologique des femmes jeunes, voire très jeunes, et de réaliser des tournages dans des conditions déplorables ». De ce constat, en est sorti des audiences à huit clos, des descriptions et récits insoutenables « de torture, de pédocriminalité, d’incitation à l’inceste ou de viols », pour reprendre Annick Billon.[2]

Ainsi, les membres de la délégation rappellent que les violences sexuelles, physiques ou verbales restent répandues dans le secteur et bien réelles. Un constat déjà signalé par le livre-enquête Judy, Lola, Sofia et moi  (Ed. Goutte d’Or, 2018), écrit par le journaliste Robin d’Angelo, dans lequel il raconte son infiltration dans l’industrie du porno amateur, et dénonce l’absence récurrente de consentement et le non-respect du droit du travail.

Une industrie sous contrôle judiciaire

Ce rapport sort dans un contexte où l’industrie pornographique est dans le viseur de la justice. La veille de sa sortie, trois acteurs et un réalisateur ont été interpellés dans l’affaire « French Bukkake », du nom de la plateforme de vidéos pornographiques. Celle-ci est visée par une instruction judiciaire depuis octobre 2020 et près de douze personnes, acteurs, producteurs et réalisateurs, sont poursuivis pour « traite d’êtres humains aggravée, viol en réunion ou proxénétisme aggravé ». Pour rappel, ce dossier compte au moins cinquante-trois plaignantes. Selon une source du Huffington Post, les interpellations de fin septembre seraient les dernières avant un procès aux assises.

Pour l’heure incarcérés, on retrouve les producteurs Pascal Ollitrault (alias Pascal OP) et Mathieu L. (alias Mat Hadix), respectivement acteur à la tête du site « French Bukkake » et associé de ce dernier. D’après Le Monde, ces derniers ont échangé des milliers de messages exposant ce qui ressemblerait à une filière de traite d’êtres humains, manipulant et déshumanisant les actrices. Sans oublier les conditions dégradantes de tournage des vidéos, diffusés ensuite sur Internet et visibles par le plus grand nombre, y compris des adolescents.

Dans le dossier, les deux géants français du secteur, Dorcel et Jacquie & Michel, sont cités comme d’autres plateformes de diffusion en VOD. Les deux entreprises se sont défendues, aux enquêteurs comme devant la commission sénatoriale, d’être seulement des diffuseurs sans connaissance des conditions de tournage, ni des producteurs notamment cités. Pourtant, les enquêteurs notent que « La société JM [Jacquie & Michel] n’a visiblement pas qu’un simple rôle de diffuseur mais intervient sur le choix des femmes avant même le tournage ».[3] En juin, quatre hommes – dont le fondateur du site, Michel Piron -, ont été mis en examen dans une information judiciaire ouverte, notamment pour proxénétisme aggravé. Aussi, la journaliste Tora Tarsissi de Complément d’enquête a retrouvé une vidéo promouvant les productions de Pascal OP. La société Dorcel continue de réfuter, dans un droit de réponse, publié dans Le Monde.

Des productions dont les dessous sont restés opaques pendant longtemps. D’après les éléments dévoilés par la presse, la plateforme « French Bukkake » (du nom d’une pratique sexuelle) aurait alimenté un système visant à faire payer des individus en échange de rapports sexuels organisés, ce qui lève des soupçons de proxénétisme. Il passerait par un abonnement favorisant la mise place de réservations pour des sessions sans préservatifs.

Pour préserver leur business, cela ne s’arrête point là… Le recrutement est minutieusement pensé, avec un mode opératoire défini : Julien D., 42 ans, s’est créé une fausse identité d’escort girl sur les réseaux sociaux, du nom d’Axelle Vercoutre. Il repère des jeunes filles et femmes en difficulté dans le but de gagner leur confiance et de les convaincre de se prostituer pour une nuit, afin de régler leurs soucis financiers, jouant lui-même le rôle du riche client.

La rémunération ne restait qu’au stade de promesse, « Axelle » les recontactait pour leur suggérer une nouvelle manière de se renflouer, via des vidéos pornos fortement rémunératrices destinées au Canada. Mais le film finissait par être accessible partout, notamment en France.

Vers une abolition ou une réforme du porno ?

Afin de sortir de cet engrenage, la délégation met sur le tapis près de 23 recommandations qui ouvrent la possibilité de réformer l’industrie. Parmi les principales, la lutte contre les violences pornographiques doit être au cœur du débat public. Tout cela dans un objectif de construire une politique publique prioritaire. Pour cela, le rapport appelle à ce que « les conditions dans lesquelles se déroulent la plupart des tournages pornographiques soient connues de toutes et tous », notamment des consommateurs, qui doivent être « informés des dessous de fabrication sordides de cette industrie prédatrice ». Les parents doivent être aussi « pleinement conscients » que leurs enfants « seront confrontés, au cours de leur minorité, volontairement ou non, de façon répétée, intensive ou épisodique, à du contenu pornographique violent ».[4]

Des enfants qui deviennent des consommateurs massifs de pornographie. Sur les 19,3 millions de visiteurs uniques qui se rendent chaque mois sur un site pornographique, 2,3 millions ont moins de 18 ans. Pourtant, la loi pénale prohibe toute diffusion de contenu pornographique susceptible d’être vu par un mineur. Reste à l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom, ex-CSA) d’assermenter ses agents pour qu’ils puissent constater eux-mêmes les infractions, et ainsi prononcer une sanction administrative dissuasive. Une autre solution serait la vérification de l’âge des internautes, même si aucune méthode n’est reconnue comme fiable.

La dernière alternative reste éducative : « si les enfants souhaitent accéder à des contenus pornographiques, c’est d’abord parce qu’ils se posent des questions sur la sexualité », a observé devant la délégation Olivier Gérard, de l’Union nationale des associations familiales (Unaf). Les sénatrices requièrent que les enfants et adolescents aient accès à l’école à des sujets relatifs « à la marchandisation des corps et à la pornographie » par un volet santé et sensibilisation, ce qui nécessite le recrutement d’infirmières.

De plus, la priorité demeure la protection des victimes et actrices du secteur. L’attention doit se porter sur la création et le renforcement d’un arsenal juridique. D’abord, les instructions judiciaires doivent favoriser l’émergence d’un #MeToo dans la profession et de plaintes des victimes de violences commises dans un contexte de pornographie. La délégation recommande la formation des forces de l’ordre au recueil de plaintes de ces victimes spécifiques et la mise en place d’un contact unique pour suivre chaque dossier. Reste un point fondamental : le « droit à l’oubli ». Le rapport recommande d’ « imposer aux diffuseurs, plateformes comme réseaux sociaux, des amendes face à toute diffusion de contenu illicite ».

De cette monographie de l’industrie pornographique française, en ressort une « porosité entre proxénétisme, prostitution et pornographie », ce qui incite les autrices du rapport à s’interroger sur une interdiction. La voie abolitionniste n’est pas privilégiée, au vu de l’internationalisation du marché, tout comme le parti pris du « porno éthique », qui est reste, selon la délégation, une part relativement dérisoire de la consommation. Annick Billon ajoute que les chartes éthiques et la création du coordinateur d’intimité apparaitraient comme du « maquillage »[5].

A l’heure où la lutte contre les violences sexistes et sexuelles est à l’agenda public, Fragan Valentin-Léméni, adjointe à la santé à la mairie de Brest[6] s’était interrogé : « Est-ce que la pornographie ne contribue pas à l’augmentation des violences sexuelles en France ? »

                                                                                                                      Jade SAUVANET

POUR ALLER PLUS LOIN

 Sénat, Délégation du droit des femmes, « Porno : l’enfer du décor », Rapport, 27 septembre 2022

CHAPUIS Nicolas, DE FOUCHER Lorraine et al., « L’enquête tentaculaire qui fait trembler le porno français », Le Monde, décembre 2021 (Abonnés) 

CHAPUIS Nicolas, DE FOUCHER Lorraine et al., « Violences sexuelles dans le porno : « French Bukkake », une filière de traite des femmes », Le Monde, 28 septembre 2022 (Abonnés)

D’ANGELO Robin, Judy, Lola, Sofia et moi, Éditions Gouttes d’or, octobre 2018

TARSISSI Rola et al., « Porno : une industrie hors de contrôle ? », Complément d’enquête, 29 septembre 2022 (Disponible entre 22h30 et 5h00)

[1] France Inter, « Annick Billon : “Les viols, les agressions sexuelles ne sont pas simulés dans le porno, c’est la réalité », L’invité de 6h20, 28 septembre 2022, Podcast

[2] Ibid

[3] CHAPUIS Nicolas, DE FOUCHER Lorraine et al., « Violences sexuelles dans le porno : « French Bukkake », une filière de traite des femmes », Le Monde, 28 septembre 2022

[4] Fournier Catherine, « Pornographie : ce que propose un rapport explosif du Sénat pour mieux encadrer une industrie « prédatrice » », France Info, 27 septembre 2022

[5] France Inter, 28 septembre 2022

[6] GUILMO Laurence, “Santé. Les ados et le porno, une vision de la sexualité déformée”, Ouest-France, 20 avril 2022

Crédits photo : Romain Longerias / Hans Lucas/ AFP