La vidéo d’un rassemblement de militants néofascistes dans une rue de Rome le 7 janvier a attisé les critiques envers le gouvernement de Giorgia Meloni, accusé de ne pas se positionner clairement par rapport aux organisations néofascistes.
Alignés manu militari, vêtus de noir et bras tendus : voilà une scène que l’on pouvait observer dans une rue du sud-est de Rome, via Acca Larenzia, dimanche 7 janvier 2024 dans la soirée. Dans une vidéo massivement relayée sur les réseaux sociaux, plusieurs centaines de militants néofascistes, effectuant le salut romain caractéristique du régime fasciste italien, scandent « Présents ! » (« Presente »), en réponse à l’hommage rendu « Pour tous les camarades tombés » (« Per tutti i camerati caduti »). La troupe, rassemblée devant les anciens locaux du MSI (Mouvement social italien) à la suite d’une traditionnelle manifestation sous protection policière, commémore le décès de trois militants du parti d’inspiration fasciste, dissous dans les années 90. Au cœur de la violence politique des « années de plomb » italiennes, deux jeunes militants avaient alors été tués devant les locaux de leur parti le 7 janvier 1978, présumément par l’extrême-gauche, puis un troisième le même jour, abattu par un policier lors d’affrontements avec les forces de l’ordre consécutives à cet assassinat.
Dans la journée du dimanche 7 janvier 2024, un hommage bipartisan avait été rendu par le président de centre-droit de la région du Latium Francesco Rocca, soutenu par la Présidente du Conseil Giorgia Meloni, et Miguel Gotor, le conseiller à la culture de centre-gauche de la ville de Rome. Les deux hommes avaient alors déposé une couronne de lauriers près de la plaque commémorative, sur la via Acca Larenzia.
« Une honte d’état »
Si le rassemblement néofasciste n’est pas une nouveauté dans la capitale, celui de 2023 étant passé relativement inaperçu, les évènements de cette année se démarquent par les plus vives réactions à la fois sur les réseaux sociaux et de la classe politique italienne. « Une honte d’état », pour le journaliste du quotidien de centre-gauche La Repubblica Paolo Berizzi, qui sur son compte X relaie la vidéo du rassemblement, avec en légende « Rome, Italie, 2024. ». Le caractère consécutif de la commémoration officielle plus tôt dans la journée et des défilés néofascistes dans l’après-midi soulèvent également un nombre important de réactions du côté de l’opposition. Pour Emanuela Droghei, conseillère régionale et organisatrice du
secrétariat du Parti Démocrate (PD) de centre-gauche de la ville de Rome, « commémorer les morts est une chose, donner une couverture institutionnelle à un rassemblement fasciste en est une autre. ». Sur les réseaux sociaux, les images du rassemblement ont fait le tour du monde et comptabilisent plusieurs centaines de milliers de vues.
Si l’évènement du 7 janvier a fait grand bruit dans la sphère politico-médiatique italienne, le
gouvernement tarde lui à réagir à la suite du rassemblement, renvoyant pour certains l’image d’une complaisance diffuse du pouvoir envers ces groupuscules. Pour la leader nationale du PD Elly Schlein, c’est notamment le silence de la Présidente du Conseil Giorgia Meloni qui pose question. Lors d’une séance au Parlement, la députée dénonce la filiation partisane et idéologique de la résidente du Palais Chigi avec les groupuscules néofascistes de la via d’Acca Larenzia : « Elle reste otage de son passé, duquel elle ne veut pas se distancier ». Même constat pour le site d’information en ligne Linkiesta : « Puisqu’elle vient de ce monde, elle aurait dû couper le cordon, mais elle, comme ceux de son parti, n’arrive pas à le faire. Ces personnes sont convaincues d’avoir une belle histoire, et que leur passé ‘communautaire’ est le cocon d’où est sortie la chrysalide qui gouverne actuellement l’Italie ». Le média en ligne évoque ici les origines partisanes de Giorgia Meloni, ayant fait ses armes politiques au MSI avant sa dissolution, elle qui allait même jusqu’à qualifier à la télévision française le Duce de « bon politicien ».
Une filiation toutefois à nuancer pour certains, au regard notamment de la politique mise en œuvre par Giorgia Meloni et son gouvernement depuis son arrivée au pouvoir, constate le quotidien Il Foglio. Pour le journal de centre-droit, « En Italie, le fascisme existe, et les militants d’Acca Larenzia en sont la preuve, mais c’est une bêtise de penser qu’une alerte fasciste existe aujourd’hui à cause de ce gouvernement ». Il a notamment appelé à relativiser la position de l’exécutif, mettant en avant sa complaisance avec Bruxelles et son alignement sur les Etats-Unis concernant la guerre en Ukraine ou la situation en Israël, positions davantage modérées s’il en est que les harangues des protagonistes de la coalition
gouvernementale en campagne.
Cinq individus déférés devant la justice
Interpellé par de nombreux députés de l’opposition, dont Elly Schlein, le ministre de l’Intérieur italien d’extrême-droite Matteo Piantedosi a fini par s’exprimer trois jours plus tard sur le rassemblement romain, désignant celui-ci comme « contraires à notre culture démocratique ». Il a évoqué, après la demande des formations d’opposition de dissoudre ces groupuscules, « la complexité particulière des conditions prévues par la loi » concernant « la dissolution d’organisations à caractère subversif ». Il a également annoncé que cinq membres d’un groupuscule néofasciste ayant participé à la manifestation avaient été déférés devant la justice pour apologie du fascisme. Une justice qui, par sa décision du 18 janvier de ne pas considérer comme répréhensible le salut romain dans le cadre de commémorations, ne semble pas lever le voile d’ambiguïté qui plane sur la politique italienne, depuis maintenant plus de 80 ans.
Robin Fernez-Michel