Le mercredi 24 janvier, La Manufacture a accueilli Cécile Prieur, directrice de la rédaction de l’Obs, « le magazine au défi du monde contemporain », en conférence, entre les murs de Sciences Po Lille.
Diplômée de l’Institut d’Études Politiques de Rennes et de l’IEJ de Strasbourg, Cécile Prieur exerce ce « métier-passion » depuis 1996. Ancienne pigiste et rédactrice au Monde, elle a été confrontée à de multiples grandes étapes du passage du XXème au XIXème siècle, notamment l’arrivée d’internet et le bousculement que cela a été pour le journalisme contemporain : « Quand le mail est arrivé, j’ai eu l’impression que le monde s’ouvrait devant moi ». De nouveaux codes, de nouvelles conditions d’exercice de ce métier qui « subit et joue de l’actualité », ce dont Cécile Prieur a su s’imprégner : « J’ai réappris mon métier, d’une autre façon ».
La directrice de la rédaction évoque l’identité de plus en plus confirmée de l’Obs, magazine qui affirme ses valeurs historiques, une manière spécifique de parler de l’actualité en mettant ses idées au premier plan, l’actualité culturelle, les points de vue de grands écrivains…Le magazine traite de tous les sujets, sans « exclus ». Mais selon Cécile Prieur, la lecture hebdomadaire de magazines se fait de plus en plus rare. C’est générationnel : internet a transformé durablement la circulation de l’information, désormais accessible en un clic. Cette mutation de l’industrie de l’information a dû susciter un travail éditorial important, l’Obs – comme moult autres médias – s’est adapté, malgré une brève perte de popularité liée à une chute des adhérents à la « social-démocratie ». En dépit de ce travail éditorial, l’Obs fait face à de multiples défis. En effet, les lecteurs et lectrices ne veulent plus payer pour accéder à l’information, ce qui dans le cas de grands « médias de flux », quotidiens, tels que Le Monde ou Les Échos, ne pose pas autant problème qu’à un média comme l’Obs au lectorat moyen. D’autant plus que les algorithmes des réseaux sociaux souvent mal compris ou mal contrôlés ont déjà contribué à diviser par trois le lectorat de l’Obs. Ces mêmes lecteurs sont ceux qui peinent à accepter que même si l’information semble disponible partout gratuitement, elle a un coût, mais elle perd de sa valeur, comme la presse écrite qui est pourtant reconnue comme source première de l’information. Les réseaux sociaux, Instagram, notamment, offrent de nouvelles opportunités de communication, mais ils sont rarement rémunérateurs.
Une stratégie possible serait d’attirer les lecteurs sur la version numérique du magazine pour ensuite les rediriger vers la version papier. Il s’agit aussi de chercher à se démarquer, tout simplement « en étant nous-mêmes », en assumant les valeurs progressistes de l’Obs, ce même magazine qui a publié le manifeste des 343 en 1971. Cécile Prieur nous confie aussi un projet qui devrait voir le jour dans les mois à venir, une « révolution interne » en créant un nouveau site qui mettra en avant l’identité et les points forts de l’Obs.
En réponse à un étudiant, Cécile Prieur démystifie également le système d’aide à la presse mis en place par l’État qui serait un « faux sujet », puisque cette aide ne contribuerait qu’à 3 voire 4% du chiffre d’affaires du médias, ce qui suffit à compenser les difficultés de distribution mais demeure insuffisant, alors que la diffusion d’une presse vivante est « gage de démocratie » et que le prix du papier a doublé en 2023. En effet, cette même année, ce sont 30 millions d’euros débloqués par l’État que les médias français doivent se partager, alors qu’ils « créent les conditions du débat », et qu’il ne s’agit pas d’un « métier commun ». D’autant plus que les médias physiques coûtent plus chers du fait de leurs frais de distribution, et que seulement 10% des français acceptent de s’abonner à un média, et donc de payer. Ceci pose un problème démocratique important : si l’on ne paye pas les médias, ceux-ci n’ont pas d’audience, et l’ensemble de la population ne dispose pas d’une information de qualité. « La structure du marché de l’information est un enjeu démocratique majeur ».
C’est non sans questions que nous sortons tous de cette conférence : Le journalisme est-il en crise ? La presse écrite périclite-t-elle définitivement ? Dans quelle mesure l’intelligence artificielle va-t’elle transformer le métier ? Et qu’en est-il du risque pour la démocratie de tous ces changements liés à Internet, l’IA, la diffusion massive d’informations (fiables ou non) ?
Lina Melhem