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Mort de Robert Badinter : Une vie au service de la dignité humaine

L’ancien ministre de la Justice Robert Badinter est mort à l’âge de 95 ans dans la nuit du 8 au 9 février 2024. Lors d’un hommage national organisé ce mercredi 14 février, Emmanuel Macron a annoncé la panthéonisation prochaine de celui qui permit d’abolir la peine de mort en France.

Peu d’hommes peuvent se prévaloir d’être passés à la postérité de leur vivant. De toute gloire, Robert Badinter ne s’enorgueillissait d’aucune. Celui qui, durant toute sa vie, œuvra à « rendre la justice française un peu plus humaine » est mort à l’âge de 95 ans. L’homme de l’abolition de la peine de mort en France, fervent militant contre l’antisémitisme et le racisme ayant traversé les époques et les périls, s’est éteint dans la nuit du 8 au 9 février 2024. Un hommage national lui été rendu ce mercredi 14 février devant le ministère de la Justice, où Emmanuel Macron a annoncé la panthéonisation prochaine de l’ancien avocat et ministre. De tous les temps, Robert Badinter aura été de tous les combats ; sa vie et son engagement sont autant de legs à une jeunesse à laquelle il avait tant à cœur de s’adresser. En voici quelques moments forts.

Une enfance marquée par la haine

« Ma longue vie m’a permis de constater que l’homme n’était pas bon », confiait-il lors de l’une de ses dernières apparitions télévisées, en novembre 2023. Cette prise avec la nature profonde, indicible et féroce de l’homme, Robert Badinter semblait l’avoir inscrite en lui avant sa naissance. Issu d’une famille juive de Bessarabie (région de l’Empire russe) fuyant les persécutions et arrivée en France en 1910, il nait le 30 mars 1928 à Paris, quelques semaines après la naturalisation de ses parents. Il grandit et est éduqué dans un attachement profond à la République, dont il déplorera toutefois l’antisémitisme diffus. La guerre de 39 et l’Occupation frappèrent la famille Badinter de ses nombreuses violences. Son père, son oncle et ses deux grands-mères furent arrêtés puis déportés. Le jeune Robert manqua lui-même de se faire arrêter à la recherche de son père à Lyon.
L’enfant de ces années « où l’on vivait dans la nuit » se retrouvait 40 ans plus tard, en 1983, Garde des Sceaux de François Mitterrand lorsqu’on lui apprit que Klaus Barbie, l’assassin de son père, avait été retrouvé en Bolivie. Lors de l’arrivée de l’ancien nazi en France, Badinter n’exprima qu’une seule demande ; celle qu’il fut incarcéré pour quelques nuits à la prison Montluc, où il tortura des dizaines de Juifs et de résistants, une « victoire morale sur les hommes de sang ».

Son engagement contre la peine de mort

Robert Badinter fut et demeurera surtout l’homme de l’Abolition. Ce combat, qu’il mena toute sa vie et qui le porta au perchoir de l’Assemblée, devait commencer dans la grisaille d’un matin de novembre. Ce jour-là, à l’aube du 28 novembre, Roger Bontems, associé du meurtrier Claude Buffet lors d’une prise d’otages, mais exempt de tout crime de sang, eut la tête tranchée sous les yeux de son avocat, Robert Badinter. Cet évènement, traumatique dans ses conséquences sur le futur Ministre de la Justice, fit passer en lui la cause de l’Abolition « de la conviction intellectuelle à la passion militante ». Badinter s’impliqua dans de nombreuses autres affaires par la suite. Le procès de Patrick Henry, jeune homme ayant séquestré et assassiné un jeune garçon de 7 ans, en 1976, fut l’affaire qui donna une notoriété nationale à l’avocat de 48 ans. Donné pour condamné par de nombreux journaux et une large partie de l’opinion publique, Badinter réussit, par une plaidoirie dont les observateurs sur place se souviendront longtemps, à faire éviter la guillotine à l’assassin. De ce procès, celui qui était maintenant connu comme « l’avocat des assassins » retint les cris de la foule devant le tribunal, hurlant aux juges de prononcer la mort de Patrick Henry.
D’autres affaires suivirent ; à chaque fois, le futur Garde des Sceaux éloigna des noms de l’épitaphe. Badinter sentait pourtant que sa tâche dans les tribunaux se faisait de plus en plus âpre, à mesure que les années s’écoulaient. Aussi décida-t-il, un jour de mai 1981, d’accepter la proposition du nouvellement élu François Mitterrand de le nommer ministre de la Justice. La voie était enfin ouverte vers l’abolition « pure, simple et définitive », d’après le mot de Hugo si cher à l’avocat. Le 9 octobre 1981, devant une chambre acquise mais une opinion publique hostile à l’abolition, Robert Badinter prononça un discours qui restera inscrit dans les mémoires de la République. Convoquant devant les députés les engagements et les paroles de Hugo, Camus, Gambetta, Clémenceau ou Jaurès, il opposa aux partisans de la sentence capitale l’humanité : celle de la justice, la rendant faillible, mais aussi celle des condamnés, et l’impossibilité, pour quiconque, d’être pleinement responsable de ses actes.
Dans les bancs de l’Assemblée, un silence prolongé, suivi d’un vote, eurent raison de la
peine de mort en France.

La défense de la « dignité de la personne humaine »

« Les morts étaient sa conscience », déclarait Emmanuel Macron lors de l’hommage national rendu à celui qui fit disparaitre celle-ci du droit français, en évoquant la trace profonde laissée par l’arrestation puis la déportation de plusieurs membres de sa famille parce que juifs par la Gestapo. De cette douleur, indicible, presque jamais évoquée dans sa longue vie, Robert Badinter fit naître un engagement profond pour le respect de la personne humaine contre toutes les formes de discriminations et de violences. En 2019, déjà, face à la montée des actes d’antisémitisme en France, l’ancien avocat exprimait son sentiment « d’indignation », évoquant son enfance et la récurrence des représentations antisémites dans le temps. Président du Conseil constitutionnel de 1986 à 1995, Robert Badinter participa à l’introduction dans le droit français du principe de « dignité de la personne humaine » comme principe à valeur constitutionnelle. Il joua également un rôle majeur, aux côtés de Gisèle Halimi, dans la dépénalisation de l’homosexualité, notamment par le biais de la loi du 4 aout 1982, qui abrogea des dispositions discriminatoires héritées du régime de Vichy.
Cet engagement s’est aussi traduit, dans la vie de Robert Badinter, par une implication fondamentale dans les questions de droits humains au niveau international. Quelques jours avant l’abolition de la peine de mort, Badinter participa, fait moins connu, à une avancée
majeure en termes de protection des droits de l’Homme : par la loi du 2 octobre 1981, il permit l’introduction dans le droit français du recours individuel devant la Cour européenne des droits de l’Homme, permettant entre autres à tout citoyen français de saisir la Cour en cas d’épuisement des voies de recours nationales, actant de ce fait la pleine intégration de la France dans la Convention. Dans les années 1990, à la suite des guerres de Yougoslavie, Robert Badinter présida la Commission d’arbitrage de la Conférence de paix sur la Yougoslavie, institution ayant pour but de conseiller la Commission européenne dans la gestion de la situation politique et juridique à l’issue du conflit. La « Commission Badinter » proposa notamment une définition de l’Etat encore utilisée aujourd’hui dans les universités.

Un hommage national rendu le 14 février

Cette vie, dévouée à la défense de l’Etre humain dans le sens noble du terme, devait s’achever à Paris le 9 février 2024, jour de l’arrestation de son père par la Gestapo. Faisant figure de Sage de la République, rare voix encore unanimement écoutée et respectée dans le champ politique, un hommage était rendu à Robert Badinter ce mercredi 14 février, devant le ministère de la Justice qu’il occupa de 1981 à 1986, place Vendôme. Devant un parterre d’invités et plusieurs centaines de spectateurs, le cercueil est installé, drapé d’un drapeau tricolore, devant un immense portrait de l’homme d’état. Sous une fine pluie, le Président de la République Emmanuel Macron a prononcé un discours, marqué par deux termes : « vie » et « mort ». La mort, celle qui, omniprésente lorsqu’il était enfant, le forçait lui et sa famille à vivre la nuit. Celle aussi contre laquelle il se battait, et qu’il rayât du Code pénal. Mais aussi la vie : celle qu’il souhaitait protéger avant tout, celle qu’il louait, même dans ses dernières années, en s’adressant régulièrement aux jeunes générations. Cette vie, la sienne, maintenant terminée, trouvera son prolongement dans la mémoire commune en intégrant prochainement, comme l’a annoncé le Président, le Panthéon. Là, Badinter y retrouvera un de ses grands maitres, abolitioniste et écrivain, comme lui : Victor Hugo.

Robin Fernez-Michel

 

Photo : Robert Badinter le 9 octobre 2021 lors d’un discours au Panthéon à
Paris

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