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Portrait d’un groupe de musique émergent : GRAVE et l’art de la composition dans l’ombre.

Qui étaient les Beatles avant de devenir les grands que l’on connait, qu’était Nirvana avant de devenir un mythe ? La question qui en ressort est toujours la même : qui sont les artistes émergents qui n’ont pas encore eu leur quart d’heure de gloire mais qui travaillent fort pour y parvenir ? C’est dans l’espoir de répondre à cette question que nous avons saisi l’opportunité de questionner GRAVE, un groupe de rock indé réunionnais.

A quoi ressemble une journée typique chez GRAVE ?

Ludovic Ferrère (bassiste, voix) :

Tout d’abord merci pour cette entrevue, parler à des artistes émergents ou pas encore artistes professionnellement parlant, ça se fait pas toujours et quand ça se fait, et bien je vais être honnête je me sens pas représenté par les gens mis en lumière.

Ça dépend, [rires] à la première question il fallait bien qu’il arrive le “ça dépend”.
Alors prenons la journée sur un panel de 24h. À minuit c’est moi qui trifouille des sons pas connus sur internet pour sampler un truc ou trouver des idées de compositions. Je vais être honnête sept fois sur dix c’est bien naze, mais c’est comme un peintre qui ferait des croquis. Ça n’a pas pour but d’être exposé mais je pense que dans n’importe quelle discipline, s’exercer encore et encore c’est nécessaire. Après avoir concocté une maquette bancale et mixé comme un boucan de tous les diables, je m’endors à trois heures. La journée je vais chez Nino pour concrétiser tout ça et répéter les morceaux qu’on a déjà terminé. On trouve des mélodies, des accord, tout ça en se partageant nos travaux qu’on a avancés chacun de notre côté. Et je crois qu’à ce moment précis, la part d’humain dépasse mon amour de la musique. La vie d’artiste ça fait faim. Soyons honnête c’est souvent de l’inconscience de partir dans cette voie; mais dans tout le chaos ambiant, il y a des moments qui remboursent toutes les peines. Je me rappelle ce week-end avec Nino et Théo notre ami lui aussi ingé son. Je dormais sur place et on travaillait sur l’album dix heures par jour. A ce moment-là, je me suis dit que c’est ça que je voulais faire de ma vie.

Nino Paillé (guitariste) :

Ça commence par un réveil qui me tire de rêves mystiques, décidant du mood de la journée, puis j’attends Lud qui arrive toujours minimum une heure en retard au studio, mais toujours avec quelques friands saucisse ou un bout de pain pour manger. Chez moi on met en commun nos envies, nos pensées, nos accords et nos maquettes et c’est ça GRAVE, un gros mélange chelou et brouillon de nos nombreux univers. Enfin la nuit tombe et je suis seul en fumée et en musique, ça mixe dur !!

 

Est-ce que vous voyez le monde de la musique comme un domaine de concurrence ou d’entraide ?

Ludovic Ferrère (bassiste, voix) :

Je dirais que c’est selon la personne en face, mais aussi le mouvement auquel elle appartient dans son art. Par exemple je sais que les rappeurs américains demandent un cachet pour des collaboration, lorsqu’on a travaillé avec Hayzi Kay, un ami artiste, la question des revenus, de qui allait profiter du featuring ne s’est même pas posé… On s’est renvoyé les grâces par pure bienveillance jusqu’à ce que Nino décide pour le groupe de le poster sous notre nom hehe. Mais l’audience qu’on atteint joue sûrement un rôle dans l’équation. Si Hayzi Key, loin de moi l’idée de le dénigrer, pesait plusieurs milliers d’euros par chanson, alors je pense qu’en une soirée il aurait préféré composer un titre seul plutôt que de s’engager à partager une exposition avec nous. Et je dis ça mais moi aussi je dois souvent mettre un frein à certains amis qui aimerais collaborer avec nous, non pas par soucis de bénéfice vous vous en doutez, mais plutôt car je sais qu’ils ne prennent pas la chose autant au sérieux que Nino et moi.

Nino Paillé (guitariste) :

Moi je suis sur cette terre pour créer, et ma passion c’est produire de la musique. J’adoooore capter le potentiel chez mes ti potes qui font du son et produire leurs morceaux, d’un concept à un produit fini. Force à tous mes gars dans le son à la Réunion, dans le rap et dans le métal qui sont pas encore à la place qu’ils méritent. On se retrouve au sommet !

 

Quelles difficultés vous rencontrez en tant que petit artiste ?

Ludovic Ferrère (bassiste, voix) :

J’ai une parabole que je donne aux gens qui m’ont posé des questions à ce sujet.
Vous connaissez Spiderman ? Être à la fois Peter Parker et Spidey ça demandes énormément de sacrifices. Pour moi c’est ça ; mener une vie normale et une vie de super héros de l’ombre. Allier travail et vie banale puis quand on rentre sacrifier des bouts de nuit et ses jours de repos pour se perfectionner et créer. C’est crevant et je parle au nom de n’importe quel artiste : si ce mec ou cette nana est en haut du panier c’est qu’il ou elle en a chié, qu’on aime sa musique ou pas, le nombre de sorties entre amie qu’elle a pas faite, le nombre de soirs où de jours de congés consacré à la mayonnaise qui prenait pas. C’est épuisant… mais c’est l’étape de sélection, pour savoir qui en veut vraiment. Pour moi c’est dur mais comme j’adore ça je continue

Qu’est ce que vous changeriez dans le domaine musical pour favoriser les petits artistes si vous pouviez le remodeler ?

Ludovic Ferrère (guitariste, voix) :

On a tous un pied dans la fast-life. Écouter des musiques dès que ça sort et passer à autre chose très vite… en vérité c’est un modèle qui évolue aussi vite que notre société et que nos moyens de communication. Je me rappelle encore quand j’étais petit je pouvais écouter un disque pendant des années, là où aujourd’hui rare sont les albums que j’écoute plus d’une fois ou deux. Alors avoir des idées de changement c’est mignon mais faudrait déjà que j’incarne pleinement mes principes [rires].
Mon secret : chercher encore et toujours. Je ne peux pas lutter contre l’instantanéité d’internet et la disparition totale de rareté de la musique. Alors je suis le courant, je cherche encore et toujours des nouvelles sonorités, de nouveaux artistes tout en prenant le temps de bien écouter les albums que je fouille.
Et le changement pour moi est possible si les gens comme moi, épuisés de courir après l’instant, prennent le temps et la décision d’être curieux sans être gourmand.

Est-ce que vous avez des petits artistes que vous appréciez et soutenez ?

Ludovic Ferrère (bassiste, voix) :

En parlant du loup, hehe. Je pense à mon ami Hayzi Kay qui fait du rap anglais et français et qui fait ses prods lui-même
Il y a aussi Avalon Bloom, un groupe du sud que j’ai eu la chance de voir en concert et que j’aime beaucoup.
Sinon il y a Le Bleu que Nino aime pas, il trouve ça trop convenu, c’est des gosses à Zed Yun Pavarotti un peu comme moi. Même s’ils sont déjà plus haut, faudra aller les chercher d’ailleurs.

Nino Paillé (guitariste) :

Au studio et en solo on écoute Deftones, Puma Blue, Panchiko, Radiohead, Alex G, Duster, Steve Lacy et Népal, on se régale puis on se dit que ces enfoirés sont quand même très forts à la musique.

 

Est-ce que la culture réunionnaise vous influence dans votre travail ? Si oui, comment ?

Ludovic Ferrère (bassiste, voix) :

[rires] Forcément. J’ai le rythme du maloya dans le sang et les poètes de l’île sont tellement talentueux, pareils pour les musiciens. Même si je disais non, de par l’environnement je suis totalement influencé. Je chante en français mais certains vers sont des phrases créoles traduites au sens littéral et j’aime la manière qu’à cette autre langue de pouvoir dire où chanter une même chose de plusieurs manières. C’est comme une extension du français à mes yeux et être à l’aise avec ces deux langues me ravi.

Nino Paillé (guitariste) :

La musique réunionnaise c’est une douce nostalgie et un moment de retour au Zion pendant quelques minutes. Le maloya indie rock de GRAVE arrive fort !!

 

Ludovic, vous avez collaboré avec beaucoup d’autres petits artistes dans tout le monde, est ce que cette diversité culturelle a influencé ce que GRAVE est aujourd’hui ?

Ludovic Ferrère (bassiste, voix) :

Derrière ces pseudo et ces tableaux il y a des gens qui m’ont influencé moi donc forcément ont influencé la moitié de GRAVE. Je pense à Alice, une amie russe qui était comme moi fan de sonorité froide, d’électro bruitiste avec des touches pop.
Sinon au collectif digital Menace qui étaient des Américains tabassés de rap hardcore.
Et au premier groupe de rock que j’ai vu c’étaient des amis de la Réunion. Les 52 à qui j’ai dédié une chanson d’ailleurs.

Nino, vous étiez batteur auparavant, pourquoi ne pas avoir continué sur cette voie et avoir changé pour la guitare ? Est-ce que votre formation d’ingénieur du son a drastiquement changé votre manière d’aborder la création musicale ou s’agit-il plutôt d’une évolution ?

Nino Paillé (guitariste) :

J’ai commencé par la batterie étant gamin, puis j’ai attrapé une basse, puis une guitare. Je chéris cette multi instrumentalité et cette liberté qui me permet de créer comme j’en ai envie et de commencer chaque morceau par un angle différent. Et depuis plus récemment, j’embrasse une nouvelle dimension de liberté : grâce à mon petit savoir-faire d’ingé son, je contrôle ma création à chaque étape du processus et ça me fait triper.

 

Votre album Poussière est sorti il y a pas longtemps, quel est le message principal que vous y présentez, s’agit-il plutôt d’un album uniforme ou d’avantage d’un assemblage de beaucoup de choses différentes ?

Ludovic Ferrère (bassiste, voix) :

L’album est sorti, un an de travail pour ça et des potes à moi ne vont même pas l’écouter [rires]. On a qu’à dire que ça rendra la chose un peu plus exclusive pour ceux qui seront assez curieux. Poussière est assez homogène malgré les procédés différents employés pour chaque chanson. Il y a des compos de Nino, des yaourts de moi et tout a été fait sur le patron du morceau “les arbres” on a fait ce truc et on a décidé de former GRAVE.
Puis dans cette ligne directrice on a abordé les thèmes qui collaient en terme de couleur. Que ce soit la solitude, le temps qui passe, la douleur amère mais subtile qu’on ressent quand un être cher disparaît. Nino donnait les fondations avec ses couleurs de guitares et moi je devais faire une troisième dimension… Puisque je chante en français il fallait écrire pour attraper les gens, car la plupart de mes amis s’en fichent des instrumentales alors c’était mon challenge, écrire bien, beau et pas comme tout le monde.

Nino Paillé (guitariste) :

Poussière c’est plus d’un an d’hivers froids loin de la maison et de cette personne. Exprimé en français et en créole au travers de tonnes de couches de guitares et de voix. C’est la première étape de notre mini groupe, on va aller beaucoup plus loin et on a même déjà commencé.

 

Où écouter GRAVE ?

Sur Apple Music : https://music.apple.com/fr/artist/grave/1699039735

Sur Deezer :  https://www.deezer.com/fr/artist/246461012

Sur Spotify : https://open.spotify.com/intl-fr/artist/656oURn2wP6mXkCuzILe2c

Sur Youtube : https://www.youtube.com/channel/UC9pehieuXB5oOp3GXIZMc5g

 

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