Depuis la proclamation des résultats de l’élection présidentielle gabonaise en août 2016, la diaspora se mobilise en France pour réclamer le départ du président Ali Bongo Ondimba. Chaque samedi, les révoltés du Gabon prennent possession du parvis des droits de l’Homme.
Des sifflets, une sono grésillante et quelques drapeaux flottant sous le vent glacial qui balaye la place du Trocadéro : en ce samedi après-midi une soixantaine de personnes garnit l’espace au milieu des passants et défie la tour Eiffel. « L’affluence ? Ça varie en fonction de la période et de la météo. » Jean-Jacques Eyi salue chacun des participants, emmitouflé dans sa parka. Depuis 79 semaines c’est le même rituel, ces opposants crient leur indignation face aux exactions du régime d’Ali Bongo et ne manquent pas de dénoncer la complaisance française à son égard avec un même leitmotiv : « Qui ne dit mot consent ». Une fois par mois, un cortège entame une marche depuis ce même parvis des droits de l’Homme jusqu’à l’ambassade gabonaise située avenue Saint-Raphaël.
« Entendez-vous ? Le pouvoir tire sur son peuple ! »
« J’ai 56 ans et j’ai vécu 50 ans de dictature des Bongo ! » Jean-Jacques Eyi dresse un constat alarmant de la situation dans cet état d’Afrique centrale. Entre musellement de l’opposition, brutalité continue et privation de libertés, le climat politique au Gabon semble propice à l’explosion. En août 2016, Ali Bongo Ondimba briguait un second mandat au terme d’élections dont les résultats étaient contestés par le leader de l’opposition Jean Ping. S’en suivaient des semaines de manifestations et de violences : le QG de Jean Ping était attaqué et les disparitions se multipliaient avec, selon certains témoignages, des policiers allant débusquer les opposants jusque dans leurs maisons.
Le conflit déchire le pays et ses familles. Enveloppé dans un drapeau à trois bandes vert-jaune-bleu, Sylvain relate la dispute qui l’oppose à son frère : « il est pro-Bongo, pour moi c’est difficile de rentrer au Gabon maintenant, d’aller voir mes cousins et neveux ». Derrière lui, les enceintes crachent une musique aux aires de pop intégrant discours d’hommes politiques et chants d’armes automatiques. S’emparant du micro, l’un des manifestants s’exclame : « Entendez-vous ? Le pouvoir tire sur son peuple ! »
« Donner un esprit panafricain à la lutte »
En août 2017, l’association Togo Debout a rejoint le mouvement initié par les gabonais. Karl Gaba, son président, y voit un effet de mimétisme : « la situation au Togo est semblable à celle du Gabon avec un famille qui accapare le pouvoir depuis 50 ans. » Il désigne une banderole accrochée par deux participants et pointe plus particulièrement le visage de Faure Gnassingbé, héritier de Étienne Eyadéma Gnassingbé, à côté de cinq autres chefs d’états africains. « Le 19 août le pouvoir a tiré sur des manifestants. On a décidé de rejoindre la mobilisation, on veut donner un esprit panafricain à la lutte ».
Après avoir rejoint le groupe pour entonner, main sur le cœur, les deux hymnes nationaux, Jean-Jacques Eyi ne manque pas d’évoquer les suites possibles. La Cour pénale internationale devrait prochainement rendre sa décision sur l’ouverture ou non d’une enquête au Gabon, après avoir dépêché ses observateurs sur place. Côté politique intérieure, des élections législatives se tiendront en avril. Cependant, les doutes sur le bon déroulement du scrutin menacent l’unité de l’opposition, divisée entre les tenants d’un réalisme forcé et les radicaux refusant de prendre part à un simulacre de démocratie.
Antoine Cuny-Le Callet