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La “supercherie” : Bojack Horseman, la série animée Netflix

Ce 14 septembre sortait sur Netflix la cinquième saison de la série animée Bojack Horseman, l’occasion de revenir sur les raisons de son succès. La série raconte l’histoire de Bojack Horseman, star hollywoodienne autrefois adulée pour la sitcom qui l’a fait briller dans les années 1990 : Horsin’ Around. On suit donc, vingt ans plus tard, les (més)aventures d’une ex-idole désormais alcoolique et en proie à de nombreuses crises existentielles, qui cherche à se faire aimer par tout le monde mais qui est incapable de s’aimer elle-même.

Une série qui confond le comique et le tragique

Tout part d’un drôle de sentiment de la part du créateur de la série. Fraîchement arrivé à Los Angeles, Raphael Bob-Waksberg, assis sur la colline qui surplombe la ville, a l’impression d’être sur le toit du monde. Mais étrangement, c’est en même temps la première fois qu’il se sent aussi seul. Ce sont de ces deux émotions paradoxales que va naître Bojack Horseman.

« J’ai envie de piéger les gens avec ce spectacle. Je veux commencer comme une sorte de comédie animée typique. Les gens vont regarder, pensant qu’ils savent dans quoi ils s’embarquent et ensuite, progressivement, au cours de la première saison, ça va lentement se transformer en quelque chose d’autre. »

Le piège tendu par Raphael Bob-Waksberg fonctionne : à la sortie des six premiers épisodes de la première saison, la réception du public n’est que très moyennent enthousiaste. Sur Rotten Tomatoes, la série n’obtient que 56% de satisfaction, les votants estimant la série « drôle par moment, mais fade par rapport aux autres comédies du même style. » Cependant, la série prend progressivement de l’ampleur et l’accueil de la seconde moitié de la saison est beaucoup plus chaleureux. Le retournement est si brusque qu’il va même provoquer un changement de politique chez Indiwire, site américain consacré à l’industrie cinématographique, qui décide dorénavant de juger les séries seulement sur des saisons entières.

Car en effet, si la série débute comme une comédie animée traditionnelle, elle se teinte de noirceur et de tristesse au fil des épisodes. Bojack Horseman brouille ainsi les frontières entre comédie et tragédie. Son réalisme est frappant pour une série animée : Raphael Bob-Waksberg déclarait « Nous ne sommes pas ici juste pour vous faire rire. Nous essayons plutôt de raconter une histoire de personnage. » C’est donc bien la vie qui se dessine sous l’inspiration de Bob-Waksberg et à travers les aventures de ses protagonistes, cette vie parfois hilarante de par son absurdité mais aussi parfois déchirante. La série est juste car elle est authentique, en ce qu’elle s’émancipe du schéma manichéen classique, nous montrant des personnages complexes et torturés qui aspirent à devenir meilleurs mais ne savent comment s’y prendre.

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Raphael Bob-Waksberg nous dresse le portrait d’un anti-héros qui peut s’avérer cynique, déprimé et odieux, mais aussi terriblement drôle et attachant. Si Bob-Waksberg nous rappelle que le personnage de Bojack est une mise en garde, et non un modèle, il veut tout de même d’une certaine façon réconforter le public, en nous rappelant qu’il est normal d’être parfois déprimé, ou « d’avoir ces sentiments de haine de soi. » La série s’émancipe ainsi de l’héritage laissé par les séries d’animation d’il y a 20 ans comme Les Simpson ou South Park, en ce qu’elle explore d’autres univers que la simple comédie, et surtout développe une intrigue complexe qui voit ses personnages évoluer au fur et à mesure que la série avance et qu’ils doivent supporter le poids de leurs actions passées.

Bénéficiant des critiques positives qu’elle reçoit au cours de son déroulement, la série tente parfois de relever des paris plus risqués en multipliant les arcs narratifs ambitieux. On peut citer ici l’épisode entièrement muet de la saison 3, “Comme un poisson hors de l’eau”, qui a été classé par le Time Magazine à la première place des meilleurs épisodes télévisés de 2016, en plus de recevoir la « Mention spéciale pour une série TV » du festival d’Annecy. Également, dans la dernière saison, “Le churro gratuit” a l’audace de faire d’un seul éloge funèbre un épisode entier. Bojack est le seul personnage, il n’apparaît qu’à travers deux plans pendant plus de 20 minutes, et pourtant l’épisode est vertigineux.

Une satire du milieu hollywoodien

Parce qu’elle retrace la vie à Los Angeles d’une ex-star, la série propose au spectateur une immersion dans l’univers hollywoodien. Gardant son côté satirique, elle reflète les travers d’une industrie hypocrite et superficielle qui, étincelante à l’extérieure, brûle les ailes des imprudents qui s’y aventurent, aveuglés par son éclat.

Charlotte, amie de Bojack, le met pourtant en garde alors que sa carrière décolle : « Hollywood est une très belle ville qui surplombe des fosses noires de bitume. Et lorsqu’on se rend compte qu’on est en train de couler, il est déjà trop tard. » C’est d’ailleurs peut être ce que veut raconter la série : l’histoire d’une célébrité qui, se débattant dans le goudron de son malheur, ne fait que s’y enfoncer davantage.

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C’est donc un sombre tableau de la ville qui nous est présenté. La série aborde le thème du bonheur des stars, thème peu présent dans l’industrie cinématographique. On le voit bien sûr à travers l’intrigue principale qui voit évoluer Bojack, Bob-Waksberg déclarant à ce sujet :

« Il s’agit d’une émission qui parle de quelqu’un qui a gravi les échelons et, étant arrivé au sommet, constate qu’il n’est toujours pas heureux. J’ai l’impression que dans notre culture, le show business représente bien cette idée. »

Mais le créateur étend son propos, allant jusqu’à intégrer de vraies stars américaines comme Naomi Watts, à qui il fait déclarer : « Je voulais juste faire quelque chose de léger et d’amusant, pour me distraire de ce trou béant de tristesse qu’est ma vie ». Il montre par là qu’il ne suffit pas de tout avoir pour se sentir mieux et que la position de personnalité publique n’a souvent rien de très enviable. On le voit aussi avec la jeune Sarah Lynn, qui jouait aux côtés de Bojack dans la sitcom dès son plus jeune âge et n’avait pas choisi sa vie, s’étonnant plus tard qu’il soit légal pour les enfants d’être acteur.

L’épisode de la saison 5 “Bojack féministe” nous montre l’hypocrisie médiatique et sociétale d’une ville qui oublie trop vite les scandales avec le come-back d’un ancien acteur raciste, sexiste et violent qui reçoit lors d’une cérémonie le Prix spécial du pardon, remis par Arnold Schwarzenegger en personne, « quatre fois pardonné ». Une référence également à Kevin Spacey, Dustin Hoffman, Roman Polanski ou encore Mel Gibson qui déclarait : « Le temps est venu que Hollywood me pardonne », comme si cela permettait d’effacer d’anciens scandales et d’offrir un nouveau départ.

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Dans la quatrième saison, l’épisode “Toutes mes condoléances” satirise les problèmes de l’égalité homme/femme. Les femmes, qui désirent soudainement posséder des armes à feu afin de se sentir plus en sécurité, soulèvent paradoxalement le problème de l’insécurité, mettant les sénateurs dans l’embarras. Diane, l’amie de Bojack, leur explique donc qu’ils devraient travailler à créer une société où les femmes se sentent en sécurité et égales aux hommes, avant d’ajouter, ironiquement, qu’ils peuvent aussi tout simplement interdire les armes. Une loi est donc votée dans la foulée : le port d’armes est désormais interdit en Californie, forçant Diane à admettre que « ce pays déteste les femmes plus qu’il n’aime les armes ». L’épisode dénonce en même temps ces histoires racontées par Hollywood, et cette banalisation croissante de la violence à l’heure même où les fusillades de masse s’enchaînent. Le créateur de la série pose ainsi la question de l’influence de l’industrie du cinéma et de la télévision, mettant en scène des producteurs qui, à la suite de fusillades, s’inquiètent essentiellement des répercussions au box-office qu’elles peuvent avoir sur leur film.

Raphael Bob-Waksberg soulève cette problématique épineuse de la responsabilité individuelle : « Il y a beaucoup de problèmes à Hollywood en termes de racisme, de misogynie…. J’ai l’impression qu’en tant qu’industrie, nous ne prenons pas les mesures qui s’imposent pour améliorer la situation. »

Les happy ends et le sens de la vie

La série se construit en parfaite opposition à Horsin’ Around, la sitcom qui a tourné Bojack en star, symbole même de ces sitcoms si populaires des années 90 : « une série avec des gens sympathiques qui s’aiment où, au bout de 30 minutes, on sait que tout finira bien. » Bob-Waksberg déclarait à cet égard « nous n’avons pas besoin de tout résoudre avant la fin du premier épisode. Nous n’avons pas besoin de plaquer ce genre de message qui dit “ça va s’améliorer”. »

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Il y a donc très peu de happy ends, ou alors la série s’en moque en proposant une fin heureuse à des personnages que le spectateur n’apprécie pas. Tout simplement parce que cette culture du happy end, soigneusement entretenue par l’industrie aussi bien cinématographique que littéraire, n’est qu’un mirage. En effet, comme le rappelle Bob-Waksberg, la vie ne se termine pas seulement parce qu’un événement majeur s’est produit. On peut se marier un jour, voir son livre être publié ou avoir la chance de tourner dans le film de ses rêves et toujours être la même personne le lendemain. Lorsque l’agent de Bojack lui demande comment il se sent après avoir été nominé pour un Oscar, celui-ci constate avec amertume qu’il se sent comme avant.

La philosophie de la série vient donc contrecarrer l’idée que le vide de notre vie sera comblé et que tout cela prendra du sens si l’on réalise nos rêves. Tous les personnages de Bojack Horseman sont conscients de ce vide abyssal dans leur existence qui ne peut être comblé. Princess Carolyn, l’ex petite amie et agent de Bojack, se détourne de ce vide en étant constamment occupée par son travail. Todd, le meilleur ami et colocataire de Bojack, cherche à tromper l’ennui existentiel par tous les moyens : « J’ai besoin de quelque chose à faire. Un métier, une tâche, ou une direction dans la vie », le menant à des aventures aussi rocambolesques qu’hilarantes. Mr Peanutbutter enfin, ami de Bojack, peut être vu comme le reflet inversé de ce dernier. Son entrain et sa bonne humeur permanente en font une personne détestable aux yeux de Bojack, qui finira néanmoins par avouer sa jalousie envers lui : « Je veux me sentir bien dans ma peau. Comme toi. Mais je ne sais pas comment faire. Je ne sais pas si je peux y arriver ». Mais la problématique reste la même pour ce personnage qui apparaît comme étant le plus heureux de la série : il ne cherche finalement que de la distraction lui aussi, tout en étant parfaitement conscient de la triste réalité qui se cache derrière : « L’univers est un vide cruel et insensible. La clé du bonheur n’est pas de vouloir chercher un sens à tout ça, c’est de s’occuper avec des bêtises sans importance. Et un jour, tu mourras. » Cette philosophie très pascalienne colore la série, rappelant sans cesse aux protagonistes qu’ils doivent chercher un nouveau divertissement : « Mais quand j’ai pensé de plus près et qu’après avoir trouvé la cause de tous nos malheurs j’ai voulu en découvrir la raison, j’ai trouvé qu’il y en a une bien effective et qui consiste dans le malheur naturel de notre condition faible et mortelle, et si misérable que rien ne peut nous consoler lorsque nous y pensons de près » (Pascal, Pensées).

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La série fait également référence à la philosophie de l’absurde d’Albert Camus et au mythe de Sisyphe. Ce mythe raconte l’histoire d’un mortel qui, s’étant opposé aux dieux, est condamné à un châtiment éternel : il doit pousser un lourd rocher tout en haut d’une colline, d’où il dévalera la pente jusqu’en bas, et le cycle, éternel, absurde, peut commencer. Sisyphe est donc ce condamné qui, après chaque incommensurable effort, doit tout recommencer, encore et encore. La série de Bob-Waksberg est peuplée de Sisyphe. Elle raconte l’histoire de personnages qui cherchent à donner un sens à leur vie, qui tentent désespérément de devenir de meilleures versions d’eux-mêmes, avant d’échouer pour essayer encore et encore. C’est tout l’absurde de cette condition qui donne une profondeur si sombre aux personnages, pourtant l’espoir n’est pas absent de la série. Affaire à suivre, donc.

Simon Bignonneau