Dans un Liban gangréné par la pauvreté et les bidonvilles, la réalisatrice Nadine Labaki signe un film dramatique relatant l’histoire d’un enfant des rues de Beyrouth, qui cherche à échapper aux conditions de vie que l’on tente de lui imposer.
Dès la première scène on est saisi de stupeur en voyant Zain, réfugié syrien installé au Liban et acteur principal du film, jouer avec ses camarades avec de fausses kalachnikovs en bois. Un témoignage de ce que vivent au quotidien ces enfants, qui n’ont pour la plupart que 15 ans, mais qui s’approprient déjà l’univers qui les entoure. Capharnaüm est d’abord l’histoire d’une enfance brisée. Celle de Zain, 14 ans, qui a fui la Syrie pour Beyrouth. Mais sa nouvelle vie est un désordre sans nom. Courageux et débrouillard, Zain l’est assurément. Sa famille n’assure pas son éducation et il décide d’intenter un procès à ses parents parce qu’ils l’ont “mis au monde”. On suit dans ce film le destin tragique de cet enfant au franc-parler, à travers les rues grouillantes de la capitale libanaise.
Le jeu de Zain est à couper le souffle, bluffant de réalisme. La réalisatrice a en effet choisi de véritables réfugiés syriens, pour jouer dans le film, à commencer par Zain, que la réalisatrice découvre alors qu’il est en train de jouer avec ses camarades dans la rue. L’attitude de Zain dérange autant qu’elle se comprend : il n’a pas eu d’éducation, il est obligé de se forger la sienne. Doué de responsabilités dès son plus jeune âge, on le voit d’abord tenter par tous les moyens de sauver sa sœur, contrainte au mariage forcé avec un épicier brutal, puis jouer les baby-sitter avec l’enfant d’une réfugiée éthiopienne, sans papiers. Ses propos sont crus et acerbes. Les insultes abondent et accroissent le réalisme du personnage, pour lequel le jeu calibré laisse régulièrement place à la spontanéité naïve et incisive.
“Même une bouteille de ketchup a un nom”
Car le fond de ce film, c’est la quête de son identité. Et Zain, précisément, n’en a pas. Sans papiers, il n’est pas inscrit à l’Etat civil et ne peut prétendre être soigné ou scolarisé. Mais cette identité, il se la construit tout au long du film. On découvre un garçon vif et intelligent, libre penseur mais contraint par sa condition, rêveur mais réaliste sur le monde qui l’entoure. L’histoire est aussi celle d’une quête de liberté. Elle contraste avec le désordre courant de Beyrouth où le marchandage d’êtres humains, la violence sont monnaies courantes. On comprend rapidement le message de la réalisatrice. Capharnaüm est la dénonciation d’un désordre social, moral voire culturel. On critique les conditions sociales, la maltraitance des enfants, et le choix de continuer à enfanter des enfants tout en sachant qu’il sera particulièrement difficile de les élever.
Réalisme bluffant
Six mois de tournages dans la capitale du Liban, pour un rendu exceptionnel. La réalisatrice a parfaitement su s’adapter au jeu de Zain. Caméra à l’épaule, à hauteur de l’enfant, les prises sont tournées avec justesse. Elles captent particulièrement bien les émotions de Zain, les sauts d’humeur de Yonas, l’enfant de la réfugiée éthiopienne qui prend Zain sous son aile.
L’action n’est évidemment pas absente du film. Le drame est relaté avec justesse à travers des plans saccadés et très courts qui plongent le spectateur dans le rythme infernal des déboires de la capitale libanaise. La principale force de ce film, c’est qu’il n’est ni un film à proprement parler, ni un documentaire. C’est un récit. Un récit qui parvient à ne pas tomber dans un pathos “tire-larme” pour nous convaincre de la sincérité – indéniable – du message transmis par la réalisatrice. Ne nous y méprenons pas. L’émotion est présente, mais elle n’est pas forcée. Elle est juste et s’accorde avec la musique qui compose la bande-son. Bref, on prend un sacré coup.
Primé au Festival de Cannes
C’était certainement la plus belle émotion du Festival de Cannes 2018 selon Pierre Lescure, le président. A ce titre, le Prix du jury a été remis à Capharnaüm. Et c’est mérité tant ce film, équilibre émotion et espoir. Un espoir qui s’incarne dans un visage à la toute fin du film, celui de Zain, qui décoche pour la première fois un sourire, concluant un film touchant mais un poil trop long. Le cinéma crée également ses propres belles histoires puisque Zain a trouvé refuge en Norvège. Loin du capharnaüm libanais.
NOTE : 4/5
En salle depuis le 17 octobre 2018.
Baptiste COULON
Crédits photos :
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