La semaine olympique et paralympique a débuté ce lundi 1er février : l’occasion de se remettre dans le (grand) bain. Si le coronavirus ne nous en prive pas, dans 208 jours, s’ouvriront les XVIème Jeux Paralympiques, à Tokyo au Japon. Alors que cela soit pour briller en société ou parce que le sujet vous intéresse, petit tour d’horizon (et de révisions !) à quelques mois de ces Jeux… pas comme les autres.
Au commencement, la Seconde Guerre mondiale
L’histoire des Jeux Paralympiques commence avec Sir Ludwig Guttmann, un neurologue anglais. En 1948, il organise une compétition sportive réunissant des vétérans de la Seconde Guerre Mondiale, à Stoke Mandeville, sur le terrain de l’hôpital où il travaille. Connus ensuite sous le nom de « Jeux de Stoke Mandeville », ils concernaient principalement les vétérans atteints à la moelle épinière, paraplégiques et en fauteuil roulant. Deux équipes s’affrontaient alors dans une épreuve unique, de tir à l’arc.
La neuvième édition de ces jeux se déroula à Rome, en 1960, la semaine suivant les Jeux Olympiques d’été, réservés aux athlètes valides. Ces « 9ème Jeux de Stoke Mandeville » sont considérés comme les véritables premiers Jeux Paralympiques d’été, rassemblant 400 para-athlètes, originaires de 23 pays différents. Réunis autour de huit sports, dont le tir à l’arc, ces Jeux sont à l’origine de ce que nous appelons aujourd’hui “le Mouvement Paralympique”.
Dans la lignée de ces premiers Jeux Paralympiques d’été, les premiers Jeux Paralympiques d’hiver, ont lieu à Örnsköldsvik, en Suède, en 1976. Cette même année, lors des Jeux Paralympiques d’été de Toronto, la décision fut prise d’ajouter de nouvelles catégories de handicap. Ainsi, le mouvement paralympique est progressivement passé d’un évènement ouvert aux seuls vétérans de la Seconde Guerre mondiale à un évènement ouvert à tous les sportifs et sportives en situation de handicap.
Aujourd’hui, le handisport est extrêmement codifié et les para-athlètes doivent passer des examens médicaux pour connaître les catégories dans lesquelles ils ont la possibilité de concourir. Aux Jeux Paralympiques, les para-athlètes appartiennent à trois grandes catégories de handicap : les handicapés physiques, les handicapés malvoyants et non-voyants et, enfin, les personnes présentant un handicap mental ou psychique. Restent donc exclus, à ce jour, des Jeux Paralympiques, les personnes sourdes et malentendantes, tout comme les personnes atteintes de trisomie, qui disposent de leurs propres évènements sportifs.
Une répartition des para-athlètes dans les différentes épreuves qui reste complexe
Si vous avez déjà eu la possibilité de regarder ou d’assister à des épreuves de handisport, vous avez sans doute remarquer qu’il existe des « sous-catégories » pour chaque épreuve. C’est une classification dite « fonctionnelle », qui consiste à répartir, au sein d’un même sport, les para-athlètes en fonction de leurs aptitudes de mouvement, de coordination ou encore d’équilibre. Elle reste difficile à comprendre et change parfois en fonction de la plus haute instance sportive à laquelle elle se réfère. Ainsi, la classification utilisée par la France n’est pas exactement la même que celle appliquée par le Comité International Paralympique.
Pour essayer de simplifier, la classification se fait avec une (ou deux) lettre(s) et un (ou deux) chiffre(s). La lettre va correspondre au type de l’épreuve à laquelle l’athlète va concourir. Pour en citer quelques-unes, le « T » correspond à l’athlétisme sur piste, le « S » à la natation ou encore le « F » aux lancers. Ensuite, le nombre qui suit correspond, pour la dizaine, à la famille de handicap à laquelle appartient l’athlète, comme la déficience visuelle ou les déficiences motrices suite à une atteinte à la moelle épinière (ou assimilés). L’unité correspond, pour sa part, au degré de handicap dont souffre l’athlète, de façon dégressive, « 1 » correspondant au handicap le plus lourd et « 9 » au handicap le moins lourd.
Ce système complexe est assez souvent dénoncé par les para-athlètes, qui doivent régulièrement passer des examens médicaux pour vérifier qu’ils concourent bien dans la bonne catégorie. D’autres, à l’instar de Théo Curin, ont également soulevé les inégalités de ce système en termes de capacités réelles des athlètes. Il avait souligné le fait qu’il lui arrivait d’être aligné avec des athlètes ayant encore certains de leurs membres, alors qu’il est lui-même quadri-amputés depuis l’enfance.
Au-delà de la performance, les réalités quotidiennes des para-athlètes
Néanmoins, malgré ces difficultés, cet évènement sportif reste un moyen de récompenser les meilleurs de leurs disciplines respectives tous les quatre ans, comme le font les Jeux Olympiques.
Daniel Dias, le géant de la natation brésilienne
Il est brésilien, il a 32 ans. Il est né sans bras et sans jambes, des suites d’une malformation. Daniel Dias est la superstar brésilienne de la natation handisport. A Tokyo, en 2021, il s’agira de ses quatrième Jeux, et d’une nouvelle occasion de rentrer un peu plus dans l’histoire de son sport, en essayant d’ajouter de nouvelles médailles à ses 24 médailles paralympiques, dont 14 en or.
Souvent surnommé le « Michael Phelps du handisport », en référence au nageur étasunien le plus médaillé olympique de tous les temps (avec 28 médailles olympiques, dont 23 en or), Daniel Dias a commencé la natation à l’âge de 16 ans, après avoir vu aux Jeux Paralympiques d’Athènes, en 2004, la performance de son compatriote Clodoaldo Silva. Ce dernier est médaillé sept fois lors de cette édition des Jeux, parmi lesquelles six médailles en or et de nombreux records. Ces deux sportifs ont concouru ensemble lors des Jeux Paralympiques de Rio, en 2016, et ont également été perçus comme les ambassadeurs de cette édition, qui se déroulait chez eux.
Même si sa carrière est loin d’être terminée, Daniel Dias s’est déjà durablement inscrit dans l’histoire de son sport et du sport paralympique en général. Cependant, ces légendes du handisport ne doivent pas faire de l’ombre à la nouvelle génération qui truste de plus en plus les podiums internationaux, et qui a, elle aussi, de belles pages du sport à écrire.
La douleur au quotidien, l’autre vérité du handisport
Au-delà de l’évènement heureux et joyeux qu’ils représentent, drainant des sportifs et des sportives du monde entier, les Jeux Paralympiques ne doivent pas occulter la réalité du quotidien de ces para-athlètes. Être un athlète paralympique n’est pas la même chose qu’être un athlète valide. Si chacun doit faire face à ses propres souffrances, à des capacités réduites, tout en faisant briller son pays et en brillant eux-mêmes dans des activités que certains ne les imaginent pas faire, d’autres souffrent, au quotidien, et toute leur vie. Ce n’est pas seulement une douleur psychologique, c’est aussi une douleur physique, qui est exposée à tous au travers de leur travail acharné pour se hisser au plus haut niveau. Certains en font une force, un moteur pour se dépasser chaque jour.
C’est notamment le cas de l’athlète belge Marieke Vervoort, décédée le 22 octobre 2019, à l’âge de 40 ans. Cette athlète incroyable, championne paralympique du 100 mètres à Londres en 2012, deux fois vice-championne paralympique, plusieurs fois championne du monde de para-athlétisme, symbolise aussi la souffrance quotidienne des athlètes atteints de maladies dégénératives. En 2016, aux Jeux Paralympiques de Rio, elle prend publiquement la parole, pour défendre son point de vue et sa volonté de se faire euthanasier, si ses souffrances venaient à s’amplifier.
Touchée par une maladie dégénérative incurable, une tétraplégie progressive, depuis l’âge de 14 ans, elle était paralysée des jambes et participait à ses courses en fauteuil. Elle ne se cachait pas de son quotidien douloureux, où les entraînements étaient pour elle un moyen de se maintenir en vie. Mais, en-dehors, la maladie progressait, la faisant souffrir, la conduisant à de nombreux malaises pendant la journée, et parfois à ne pas dormir la nuit.
En 2013, dans le reportage qu’il lui consacre, « Marieke Vervoort : le contre la mort », Patrick Montel entrait d’ailleurs dans ce quotidien, pour illustrer les souffrances de cette athlète d’exception, qui s’est battue contre la maladie toute sa vie. Elle a réalisé des exploits hors du commun, comme sa participation à l’Ironman d’Hawaï en 2007, une épreuve physique intense, un triathlon de l’extrême.
La tricherie, un problème qui existe aussi aux Paralympiques
L’esprit paralympique de partage et d’inclusion n’a pas toujours été respecté, et certains n’ont pas hésité à recourir aux pires supercheries, comme l’Espagne, aux Jeux Paralympiques de Sydney, en 2000. Lors de cette olympiade, l’équipe espagnole de basketball masculin, devenue championne paralympique, avait ensuite conduit à la suspension des athlètes handicapés mentaux. En effet, sur les douze membres qui composaient alors l’équipe espagnole, dix ne disposaient d’absolument aucun handicap mental.
Cette tricherie, révélée par le journaliste espagnol Carlos Ribagorda, qui avait lui-même joué lors de ces Jeux, a conduit à l’éviction des sportifs et sportives handicapé.e.s mentaux des Jeux Olympiques jusqu’à ceux de Londres, en 2012. Dans un même temps, cela a permis de pointer du doigt les mécanismes de sélection parfois légers des comités nationaux et internationaux en matière de handisport. Ainsi, Carlos Ribagorda expliquait notamment que pour jouer dans l’équipe espagnole en 2000, en tant que personne handicapée mentale, il fallait simplement avoir un quotient intellectuel inférieur à 70. D’autres athlètes ont, pour leur part, parfois menti sur leurs réelles capacités, non pas intellectuelles, mais physiques.
Par exemple, des personnes touchées par une forme de déficience visuelle. Pour prétendre concourir aux Jeux Paralympiques, ces para-athlètes doivent avoir une vision inférieure à 10%. Certains en ont profité, comme l’allemande Yvonne Hopf, quintuple championne paralympique, qui disposait en réalité d’une vision supérieure à 10%.
Ces pratiques sont d’autant plus choquantes qu’elles remettent en cause l’image même des Jeux Paralympiques mais aussi celle des para-athlètes honnêtes. Si le renforcement des contrôles vise à empêcher cette pratique de provoquer davantage de scandales, il n’empêche que ces scandales apparaissent comme une remise en cause des efforts faits pour populariser le handisport et lui accorder une audience plus importante.
Les français du paralympique, une vraie source de médailles
Mais revenons-en à de plus joyeuses considérations. Les français et les françaises aussi brillent dans les épreuves paralympiques et ont de vraies chances de médailles pour cette édition, malgré l’année particulière que nous avons vécu en raison d’une certaine pandémie mondiale.
En 2016, à Rio, les para-athlètes engagé.e.s ramenaient dans leurs bagages 28 médailles, dont neuf en or, ce qui permettait alors à la France de se hisser à la douzième place dans le classement des nations. Une jolie performance qui montre aussi la force des para-athlètes français.e.s dans leurs disciplines respectives.
En-dehors des disciplines auxquelles chacun pense lorsque sont évoquées les possibilités de médailles françaises aux Jeux, comme la natation ou l’athlétisme, les athlètes ont aussi brillé dans des disciplines parfois moins suivies lors des compétitions sportives (et donc moins bien retransmises), comme le tennis de table, la voile ou encore l’haltérophilie. Ces Jeux nous avaient aussi réservé de belles surprises, comme la troisième place de Gwladys Lemoussu en triathlon, pour l’entrée de l’épreuve aux Jeux Paralympiques, qui faisait d’elle la première athlète française médaillée, hommes et femmes, Jeux Olympiques et Paralympiques confondus, dans cette discipline.
Pourquoi regarder les Jeux Paralympiques ?
Au-delà de l’importance de soutenir les français et les françaises engagé.e.s dans ces Jeux (un peu de chauvinisme n’a jamais tué personne), c’est aussi l’occasion de profiter de moments aussi magiques que lors de n’importe quelle autre épreuve sportive. Les athlètes paralympiques sont avant tout des athlètes comme les autres, toujours prêts à se dépasser pour atteindre leurs rêves et leurs objectifs.
Regarder les Jeux Paralympiques, c’est aussi soutenir le rêve de beaucoup d’athlètes handisport et de donner davantage de visibilité à ces disciplines qui sont trop souvent oubliées. Dans la vie, il n’y a pas que le football masculin, que toutes les chaînes se battent pour retransmettre à prix d’or. Chacun et chacune des sportifs et sportives engagé.e.s a une belle histoire à raconter et à écrire dans son sport.
Finalement, regarder les Jeux Paralympiques à la télévision, les écouter à la radio ou lire les résumés des épreuves dans un journal, nous demande beaucoup moins d’efforts que ceux réalisés par ces sportif.ve.s pour nous faire rêver. Regarder ces Jeux, c’est soutenir une cause importante et donner un véritable poids à ces para-athlètes qui luttent autant (voire davantage) que les athlètes valides pour arriver au plus haut niveau. C’est aussi promouvoir une forme de diversité dans le sport, en montrant que les athlètes handisports ont eux aussi le droit à la couverture médiatique dont disposent les grands noms du sport français. Car n’oublions pas que le sportif français le plus médaillé aux Jeux n’est pas Martin Fourcade (même s’il reste un géant, avec cinq médailles d’or et deux d’argent) mais une para-athlète française, Marie Bochet, plus médaillée que Jean-Claude Killy, avec huit médailles d’or au total (quatre au Jeux de Sotchi et quatre aux Jeux Pyeongchang). Bref, un bel argument pour ceux qui pensent encore que le handisport n’est pas assez vendeur pour mériter une plus large audience et une plus grande visibilité.
Vers une égalité de diffusion des Jeux ?
En 2016, les Jeux Paralympiques de Rio correspondent à la première retransmission télévisée de cet évènement. Une belle réussite pour le groupe France Télévisions, qui avait attiré jusqu’à 1,8 millions de téléspectateurs. Tout comme les Jeux Olympiques de la Jeunesse, il est cependant regrettable que le groupe ne retransmette « que » sur France 4, alors que les Jeux Olympiques bénéficient de la mobilisation à la fois des chaînes France 2 et France 3 pendant toute la durée des épreuves. De même, les épreuves retransmises restent peu diversifiées, ce qui occulte parfois des moments importants pour les français, comme les victoires acquises dans les épreuves de voile ou de triathlon.
Même si les Jeux Paralympiques de Tokyo restent une inconnue pour cet été (en raison d’une certaine pandémie mondiale dont nous ne citerons pas le nom), il semble intéressant d’aller dans le sens d’une meilleure visibilité à accorder aux Jeux Paralympiques et à toutes les épreuves handisports en général. Pourquoi ne pas aller vers une égalité, dans un premier temps, entre la retransmission des Jeux Olympiques et Paralympiques pour les chaînes de télévision disposant des droits pour le faire ?
Quoi qu’il en soit, la diversification des épreuves sportives proposées apparaît aussi comme un moyen de changer les mentalités et d’aller plus loin en termes d’inclusion des personnes en situation de handicap dans la société. Le sport reste un facteur de cohésion sociale fort et un moyen de rassembler les gens derrière un objectif commun : la victoire. Et pour y arriver, il faut donner au handisport une chance de se hisser au même rang que les autres sports et susciter un véritable engouement pour ces athlètes.
Vous l’aurez sans doute compris, à partir du 24 août, aucune excuse pour ne pas se mettre devant sa télévision et profiter des beaux moments que les Jeux Paralympiques ont à nous apporter, en ces temps quelque peu troublés. Parce que oui, il n’y a pas que Renaud Lavillenie, les Manaudou ou Teddy Riner dans la vie. Alors, exit le foot et ses mauvais joueurs, les français des Paralympiques sont là pour vous faire vibrer, rêver, pleurer, crier, et pourquoi pas espérer…
Aurore GANDER
Super article sur le fond et la forme.
J’ai appris tellement de choses que je ne connaissais pas !! Merci Aurore Gander