Le 23 janvier 2023, Clémentine Autain était à Sciences Po Lille pour évoquer l’opposition à la réforme des retraites. Décryptage.
Une politique, une expérience, une proximité
Clémentine Autain a d’emblée mis l’accent sur son propre parcours. Dans un premier temps, pour se mettre à hauteur de son public, en majorité des étudiants de Sciences Po Lille, elle a fait appel à ses souvenirs.
À 22 ans, Clémentine Autain a vécu les mobilisations de novembre et décembre 1995, avec un certain enthousiasme. Alain Juppé avait dû reculer et abandonner sa réforme des retraites. Dès cette époque, Clémentine Autain voyait une telle réforme comme un choix de société. Et si elle admet que l’époque de ses débuts est lointaine, la rappeler rend son discours plus proche et plus résonnant quatre jours après la grève contre la réforme des retraites voulue par Emmanuel Macron et son gouvernement.
Plus loin, après une question sur le poids de la mobilisation dans la rue, sa propre expérience est une fois encore mise en avant. Cette fois-ci, elle parle en tant que mère pour évoquer l’importance de la manifestation. Le 19 janvier, ses enfants lui ont affirmé que manifester ne servait à rien. Clémentine Autain, à partir de cette anecdote, a alors développé son point de vue. Pour elle, cette remarque résulte de deux facteurs : un oubli collectif de l’Histoire et trop de gouvernements n’en ayant eu « rien n’à secouer ». Elle rappelle que les conquêtes sociales très fortes ont été permises par d’intenses mobilisations (le Front populaire en 1936, Mai 68…) et que beaucoup de gouvernements se sont montrés inflexibles face aux manifestations et aux grèves (la politique de Margaret Thatcher). Clémentine Autain a, ainsi, mis son vécu au service de son argumentaire.
Une contre-réforme ?
La députée LFI-NUPES revient aux racines du mot « réforme ». Synonyme de progrès, annonciateur, annonciateur d’amélioration sociale ou organisationnelle, le mot est selon Clémentine Autain bien inadéquat à la situation !
En effet, la réforme des retraites projetée par le gouvernement n’est, selon elle, pas vectrice de progrès. Elle n’en apporte, d’ailleurs, pas du tout. Aucune amélioration sociale. Ce n’est donc pas une réforme (peut-être la raison d’un titre aussi glacial « Projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2023 »). Pire encore, le projet de loi est inégalitaire !
L’élue met en exergue, dans un pays où les 10 premières fortunes se sont enrichies de 189 milliards d’euros depuis 2020 ; dans une nation qui a vu passer sa première fortune de 85,7 milliards d’euros en 2020 à 184 milliards aujourd’hui; une réforme qui noie les plus précaires, en particulier les travailleurs ouvriers, les malades et les handicapés. Elle remarque, alors, ce que l’ONG Oxfam (dont elle salue l’étude) aurait déjà constatée : il semble que « La France fasse payer l’addition de la crise au plus précaires ».
Mais si l’on parle d’inégalités, abordons la plus troublante celle qui semblerait censée appartenir à un autre temps : l’inégalité pour les femmes dans le milieu professionnel. En effet, la députée critique une « contre-réforme » qui aggraverait la situation professionnelle précaire des femmes, quand elle appuie que le revenu salarial des femmes est inférieur de 22% à celui des hommes, ces travailleuses qui ont des « carrières hachées » sont de grandes victimes de cette réforme. Une réforme, à laquelle 80% des français sont hostiles. Pour Clémentine Autain, le gouvernement, avec à sa tête un véritable Jupiter réincarné, foule aux pieds la démocratie, à vouloir imposer son projet de loi ; il apeure les Français et pour quelques milliards brise le système pour des raisons technocratiques et comptables.
Faut-il alors parler d’obstination, et même d’autoritarisme du gouvernement, soutenue par une majorité relative et chancelante à l’Assemblée nationale, qui impose son choix impopulaire aux Français ?
Assurément, l’élue ne manque pas de remarquer les divers et incessantes « magouilles » employées pour couper court au temps de débat. Nous nous rappelons des multiples (10) usages de 49 alinéa 3 qui restent dans les mémoires d’un grand nombre de concitoyens. Mais en l’occurrence, l’arme parfaite est ici est selon les mots de la députée un « 49.3 version wish », le méconnu article 47.1. Article qui permet d’écourter le temps de débat, mais seulement applicables pour les projets de loi de financement de la sécurité sociale. Or, c’est bien sous un tel nom qu’est présentée la communément nommée réforme des retraites. Ainsi, aucune obstruction parlementaire (par exemple par la soumission de milliers d’amendements) n’est possible pour l’opposition, car le temps est désormais compté.
L’élue défend les vertus d’un système de retraite qu’elle souhaite encore plus ambitieux
Clémentine Autain l’assure : « le système ne court pas à sa perte ». À ses yeux, une réforme n’est donc pas indispensable, contrairement à ce que défend l’exécutif. Elle s’appuie sur les rapports du COR, le Conseil d’Orientation des Retraites. Dans ces rapports, un déficit du système des retraites est prévu sur les 25 prochaines années dans le scénario moyen. Certains estiment que cela nécessite une réforme, d’autres ne le pensent pas, comme Clémentine Autain. Elle rapporte également des propos du président du COR assurant que la trajectoire du système est maîtrisée.
Surtout, l’invitée d’un soir de l’Arène, LFI et la NUPES pointe le manque de fiabilité de ces rapports. En effet, le COR avait prévu pour 2021 un déficit, il y eut un excédent de 900 millions d’euros. Et à ceux qui lui rétorquent que nos voisins européens travaillent plus longtemps, telle l’Italie jusqu’à 67 ans, Clémentine Autain répond par l’exemple suédois. Dans ce pays, le régime par capitalisation est en place depuis 20 ans et l’âge de départ à la retraite est fixé à 65 ans. Or, ce système a paupérisé les retraités si bien que même Karl Gustaf-Scherman, à l’origine de cette réforme, veut dissuader Emmanuel Macron d’en faire de même. Et à la députée LFI de clamer que l’on n’est pas obligé de copier ceux qui font régresser les droits ailleurs et de renchérir : “On a un bon modèle “.
Ce modèle français de système de retraite est un système obligatoire, largement contributif et par répartition. Il prend sa source en 1945, sous l’impulsion du CNR notamment. En travaillant, les Français cotisent pour la retraite et ces cotisations servent directement à financer les retraités actuels. Les revenus, l’âge de départ et le nombre d’années travaillées influent sur la rémunération touchée lors de sa retraite tout en ne laissant personne sans rien, par solidarité. Il repose aussi sur des critères socioprofessionnels et comprend donc plusieurs régimes comme les régimes spéciaux. Cela permet la considération de la pénibilité au travail pour tenter d’obtenir un système plus juste. Si Clémentine Autain ne pense pas qu’il y ait urgence à le réformer, elle veut aller encore plus loin. En évoquant des économistes comme Michaël Zemmour, elle a voulu rappeler que d’autres alternatives que celle proposée par Emmanuel Macron étaient possibles avant de proposer celle qu’elle porte.
Durant cette conférence, elle a ainsi renouvelé son souhait de voir l’âge légal de départ à la retraite abaissé de 62 à 60 ans. En plus de cette mesure, LFI et Clémentine Autain veulent nombre de 40 annuités (43 prévu par la réforme Touraine) et supprimer la décote. Ce projet a été porté en 2022 par Jean-Luc Mélenchon et ses troupes et a parfois suscité des défiances sur la question du financement d’une telle mesure. Clémentine Autain a énoncé ses solutions : égalité salariale homme-femme et taxation des plus grandes fortunes entre autres. Ce 23 janvier 2023, elle a souvent rappelé sa culture marxiste et a ainsi répondu au titre de cette conférence : “Quelle opposition face à la réforme des retraites ?” Ce ne peut être pour Clémentine Autain que celle d’une gauche radicale.
Un attachement évident à l’union de la gauche
Des affiches LFI disposées par les jeunes insoumis devant elle, de plus petits prospectus NUPES sur le bureau. Il ne fallait pourtant pas si tromper : Clémentine Autain a une grande foi en l’union de la gauche et n’a manqué de le rappeler au cours de cette conférence. Plus qu’insoumise, c’est comme femme de gauche qu’elle s’est revendiquée alors que son parti est en pleine crise interne. Elle a fait part de sa fierté de voir unis dans la rue l’ensemble des forces syndicales et toute la NUPES. Elle estime que seule la gauche peut être le moteur de cette mobilisation. En effet, à l’autre bout de l’échiquier politique, le RN -« des caméléons sur le social »- n’appelle pas à manifester et à voter la loi sur le pouvoir d’achat.
Saluant la (courte) victoire d’Olivier Faure aux élections du PS, réaffirmant une alliance de la gauche en tête en nombre de voix aux dernières législatives, la députée de Seine-Saint-Denis s’est alors projetée pour 2027. Pour elle, la gauche a gagné par le passé grâce au rassemblement et elle ne voit pas d’autres solutions pour battre Marine le Pen aux prochaines présidentielles.
Avec implication, Clémentine Autain milite pour une candidature unique à gauche avec un « curseur de transformation assez radical ». Avant d’en être l’incarnation ?
Stéphane Mahet
Mathis Hardouin
Crédit photos: Les Yeux de l’IEP