En mars dernier, j’écrivais un article sur les éditions 2018 des Oscars et des Césars, fortement marquées par leurs discours en faveur des femmes et les débats sur les mesures à mettre en place pour faire du cinéma un milieu plus sain et inclusif. De belles paroles donc, mais qu’en est-il, concrètement, de cet « écran de verre », un an après ?
Des cérémonies plus sages
Après la foule de symboles et de discours qui avaient porté les cérémonies de l’an dernier, il ne semblait pas étonnant que les éditions 2019 semblent plus effacées.
Il serait d’ailleurs inutile de préciser que le constat du faible nombre de réalisatrices nominées est toujours d’actualité : aucune femme aux Oscars cette année, et seulement Jeanne Henry (Pupille) aux Césars – on pourrait néanmoins citer Camille Vidal-Naquet (Sauvage) et Romane Bohringer (L’Amour flou), nommées dans la catégorie du meilleur premier film.
On retiendra peut-être le discours de Léa Drucker, qui a remporté le César de la meilleure actrice pour Jusqu’à la garde, qui traite notamment des violences conjugales. Les yeux embués de larmes, la comédienne déclare souhaiter « dédier cette récompense à toutes les Miriam, toutes ces femmes qui ne sont pas dans une fiction » et s’interroge sur la force des mots, qui participent à banaliser la violence envers les femmes.
Les Oscars, de leur côté, ont davantage fait parler d’eux pour les rumeurs de liaisons entre Lady Gaga et Bradley Cooper, quelques débats sur la place de Netflix à une telle cérémonie, et le discours de Spike Lee (meilleure adaptation pour BlacKkKlansman), qui avait déclenché la colère de Donald Trump.
Un nouveau regard sur le tapis rouge
Car les réelles avancées des Oscars 2019 ne se sont pas déroulées sur scène, mais sur le tapis rouge, électrisé par la tenue de Billy Porter. L’acteur a fait le tour des réseaux sociaux en misant sur un mélange des genres : une veste de smoking sur une imposante robe de bal. Une manière pour lui d’affirmer son identité queer et de poser la question des normes de genre dans la mode. Fasciné depuis l’enfance par cet univers, il estime en effet que les choix vestimentaires ne devraient pas remettre en cause la masculinité d’une personne : « Putting on those heels made me feel the most masculine I’ve ever felt in my life. It was empowering to let that part of myself free. ». Son choix a d’ailleurs été salué par de nombreuses personnalités, et figure en tête de nombreux classements établis par des magazines de modes.
Billy Porter avait déjà fait une apparition remarquée aux Golden Globes, vêtu d’un costume brodé de fleurs avec une cape doublée d’un rose flamboyant. Cody Fern, qui joue avec lui dans la dernière saison d’American Horror Story, avait également fait parler de lui en arrivant maquillé, les cheveux bouclés, dans une combinaison cintrée semi-transparente.
Et au final, où est le problème, si l’on considère que, depuis des années, de nombreuses femmes investissent les tapis rouges en smoking, de Marlene Dietrich à Angelina Jolie, en passant par Lady Gaga, qui avait fait la une en octobre dernier avec le costume oversized qu’elle portait au gala ‘Women in Hollywood’. Une tenue qu’elle voulait comme une pied-de-nez à un milieu qu’elle qualifie de « concours de beauté géant ». Nombre d’actrices exposent d’ailleurs de plus en plus les « dessous » de leurs apparitions « glamour » sur le tapis rouge : aux Golden Globes également, Jameela Jamil dévoile le jean et les basket qu’elle porte sous sa robe, pendant que Kristen Bell s’affiche sur Instagram démaquillée, en peignoir en train de manger du homard avant, dit-elle, de « se comprimer dans une robe élégante ».
Des premières avancées pour les réalisatrices
Mais au-delà des symboles, où en est l’industrie du cinéma en termes d’avancées concrètes, notamment sur la question des quotas et de la clause d’inclusion, évoqués l’année dernière ?
Sur ce point, l’industrie américaine a fait quelques progrès notables. Les deux auteures de la clause d’inclusion, Stacy Smith et Kalpana Kotagal, estiment que cette initiative contribue déjà, depuis un an, à diversifier l’industrie du cinéma : « The inclusion rider has moved from concept to concrete actions that creatives and companies are employing to counter biases in hiring ».
Par exemple, Bob Iger a partagé sur Twitter que 40% des productions Disney à venir seraient réalisées par des femmes, tandis qu’Universal, Paramount, Warner Bros, STX et MGM ont déclaré accepter le #4percentchallenge, lancé par Time’s Up et la Anneberg Inclusion Initiative, qui défiait les productions d’annoncer un projet avec une réalisatrice dans les 18 mois.
Car ces efforts sont loin d’être suffisants pour l’instant : seulement 4% des 1200 films ayant fait le plus de recettes ces dix dernières années ont été réalisés par des femmes (USC). Or, des recherches montrent que plus de femmes derrière la caméra aiderait la production dans son ensemble à être plus diverse. « Narratives with female directors feature more girls and women on-screen, more racial and ethnic diversity, more female characters 40 years of age and older, and they are more likely to hire other women in key behind-the-camera positions. » (Smith).
Pour Kotagal, Hollywood devra, à l’avenir, aussi se pencher sur les discriminations au-delà de l’embauche, comme l’écart de salaire ou le harcèlement. Smith, quant à elle, suggère de baser les avantages fiscaux pour la production audiovisuelle américaine sur ce critère d’inclusion.
La France, de son côté, défend un bilan plus timide. Si 21% des films produits sur le territoire français sont réalisés par des femmes (CNC 2017), une proportion bien supérieure à Hollywood, les mesures concrètes pour faire évoluer ce chiffre restent, quant à elles, encore à l’état de concept. Le débat sur les quotas dans le financement, qui pourtant avait refait surface lors du festival de Cannes, est actuellement au point mort. Le gouvernement, qui s’était annoncé favorable à la mesure, a fait marche arrière, arguant que la question « ne fait pas encore consensus dans le monde du cinéma ».
Un an après, de timides avancées annoncent une première fissure sur cet “écran de verre” qui recouvre l’industrie du cinéma. Un impact discret, mais qui ne peut que s’étendre.
Joséphine Coadou