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Les oubliés du cinéma indépendant version 2018

Les Oscars 2019 ont dévoilé leur verdict et referment avec eux la saison des récompenses. Il y a néanmoins des films et des personnes de l’industrie cinématographique qui ont été totalement oubliés lors de cette saison en dépit d’un travail remarquable. Ils n’ont obtenu de gloire ni aux Globes, ni aux Critic’s Choice, ni aux Baftas, ni par leurs pairs, ni aux Oscars dans leur catégorie respective. Ils méritent cependant que l’on parle d’eux.

Film – First Reformed

Il n’est malheureusement jamais sorti en France mais First Reformed a été une expérience particulière dont je n’attendais pourtant pratiquement rien. Le scénario de Paul Schrader a réussi à créer une structure complexe plongeant son protagoniste en crise de confiance et ayant perdu la foi progressivement dans une sorte de folie. Ethan Hawke est un phénomène paradoxal de la saison des récompenses, ayant remporté plus de trente prix dans les différents cercles de critiques mais n’ayant obtenu qu’une nomination dans le quinté majeur et, sans surprise, ce fut aux Critic’s Choice. First Reformed, lui, n’a jamais réussi à s’imposer dans la catégorie suprême des grandes cérémonies. L’ambiance pesante qui règne dans le film, le pessimisme qui prend généralement le dessus, ces questions existentielles sur un futur incertain permettent au film de s’inscrire dans un cadre très contemporain, à la frontière entre deux mondes, un passé irrattrapable et un futur qui peut encore être sauvé à condition d’y croire. First Reformed reste longtemps dans les têtes, nécessite d’être vu et revu encore pour pouvoir réfléchir et méditer sur les questions qu’il pose et les portes qu’il ouvre. Sept mois après, il résonne encore dans ma tête.

Réalisation – Marielle Heller, Can You Ever Forgive Me?

De manière assez étrange, Can You Ever Forgive Me? a réussi à s’immiscer dans la course aux Oscars, obtenant beaucoup de retours pour ses deux acteurs formidables, Melissa McCarthy et Richard E. Grant, ainsi que son scénario. Mais jamais, Marielle Heller n’a obtenu la consécration qu’elle méritait, ce que Grant a fait remarquer en recevant son prix aux New-York Film Critics Circle Awards tout comme Nicole Holofcener en recevant le prix du meilleur scénario avec Jeff Whitty aux Spirit Awards. Pourtant, sa direction permet à McCarthy et Grant d’obtenir l’attention du milieu cinématographique, le tout accompagné par une mise en scène sobre mais faisant grimper la tension au fur et à mesure que le personnage de McCarthy prend goût à la falsification, tout en ne condamnant jamais ce personnage, idée plus qu’originale. De manière générale, Can You Ever Forgive Me?, qui raconte comment Lee Israël a falsifié et vendu près de 400 lettres en y apposant une signature factice de personnes célèbres, est un plaisir à regarder et il le doit en grande partie au travail excellent de sa réalisatrice.

Actrice – Carey Mulligan, Wildlife

La première œuvre de Paul Dano est une franche réussite, mélancolique et nostalgique, superbement photographiée par Diego Garcia et écrite avec émotion par Paul Dano et Zoé Kazan. Le réalisateur novice permet surtout à Carey Mulligan, dans le rôle d’une mère aspirant à plus d’émancipation, d’offrir toute la qualité de son jeu et de son talent. Non seulement convaincante, elle est l’âme de Wildlife et s’adapte parfaitement à la tournure dramatique du film qui révèle également le jeune Ed Oxenbould. Mulligan hypnotise le spectateur dans cette déconstruction du mythe de la famille idéale américaine des banlieues pavillonnaires des années 1960 dont l’ambiance est très bien reconstituée. Le talent de l’actrice n’est plus à démontrer mais pourtant, les récompenses principales la boudent une nouvelle fois cette année.

Acteur – Jim Cummings, Thunder Road

Si vous suivez Jim Cummings sur Twitter, vous aurez tout de suite compris en quoi Thunder Road le caractérise très bien. C’est un film réalisé pour un très petit budget, écrit, réalisé, joué et monté par un seul homme, Jim Cummings, également à la musique. Le portrait touchant de ce père, flic et gentil loser, qui vient de perdre sa mère, cherche à obtenir la garde de sa fille et tombe dans un burn-out complet, doit tout à Jim Cummings qui, s’il a pu rencontrer quelques obstacles sur l’écriture, offre une performance remarquable mêlant plusieurs registres à la fois et crevant l’écran. Nul doute que l’on a envie de revoir ce personnage haut en couleur qui a envie de bousculer l’industrie cinématographique.

Actrice et acteur dans un second rôle – Kayli Carter et Paul Giamatti, Private Life

Un des meilleurs films de l’année, sauvé in extremis par les Spirit Awards qui l’ont nommé trois fois. Private Life raconte l’histoire de nos jours d’un couple de quadragénaires, Richard et Rachel, ne parvenant pas à avoir d’enfant et se tournant alors vers la nièce du premier, Sadie, après avoir tout tenté. Celle-ci accepte de faire un don d’ovules. Kayli Carter est une découverte dans ce film et forme, avec Paul Giamatti et Kathryn Hahn, un trio attachant. Tamara Jenkins dirige ce trio à la perfection et écrit également un scénario très contemporain, ce qui fait de Private Life une œuvre touchante et d’actualité, l’un des meilleurs films de 2018. Carter est brillante en actrice de soutien et son personnage est lui-même un soutien pour le couple. On ne pouvait avoir meilleur second rôle écrit l’année dernière. Hélas, la compétition était sans doute trop rude pour Kayli Carter. Quant au sous-estimé Paul Giamatti, ce n’est finalement pas surprenant de le voir oublié cette année mais son travail dans Private Life, prenant les traits d’un homme apprenant qu’il ne produit pas assez de sperme pour avoir un enfant et qui doit donc vivre avec cet échec, est remarquable de sensibilité. Si vous avez le temps et que vous n’avez toujours pas vu Private Life, foncez sur Netflix.

Scénario original – Boots Riley, Sorry To Bother You

De l’inventivité, du jamais vu, bref, de l’originalité, c’est finalement ce que l’on recherche pour un scénario original. Sorry To Bother You est un ovni, à l’image sans doute de Boots Riley, mais que ce fut divertissant ! L’intelligence de Riley se situe là où il arrive à allier une critique du système capitaliste et des inégalités raciales qui lui sont liées. La critique devient encore plus étoffée et appuyée par un casting intéressant, Lakeith Stanfield en tête. Son personnage qui semble subir tout ce qui lui arrive est si bien construit, la performance est grandiose et Sorry To Bother You parvient à être incisif et à placer le système devant ses actes. On ne ressort assurément pas indemne d’un tel film et c’est finalement pour cette raison que le scénario est si bon: il a quelque chose à dire et le réalisateur s’occupe de faire le reste et de raconter ce message à travers les images.

Scénario adapté – Desiree Akhavan et Cecilia Frugiuele, The Miseducation of Cameron Post

Grand Prix à Sundance au début de l’année 2018, The Miseducation of Cameron Post était promis à un bel avenir. Puis, il est tombé dans l’oubli, ne parvenant pas à obtenir le même destin qu’un Winter’s Bone ou qu’un Whiplash. C’est assez dommageable car le film mérite d’être vu pour ce qu’il représente actuellement et son évocation des thérapies de conversion aux États-Unis est d’une subtilité rare qu’il fallait placer ce film dans cette liste. Quoi de mieux que dans cette catégorie où l’on peut récompenser son histoire et ses personnages appelant à trouver une émancipation et leur place légitime dans une société qui les rejette. Ce scénario offre surtout à Chloë Grace Moretz son meilleur rôle. Le cinéma indépendant américain continue de présenter des oeuvres de grande qualité, confondante de réalisme, n’omettant jamais de montrer ce devant quoi nous détournons parfois à tort le regard. The Miseducation of Cameron Post est un cri pour la liberté d’être, une odyssée vers l’apprentissage de soi et la découverte de soi mais aussi un pamphlet contre ses établissements religieux de conversion.

Nicolas Mudry