« D’abord la vie, ensuite les espaces publics et après les bâtiments ». C’est la « philosophie » que prône l’équipe d’architectes en charge de l’aménagement de la Friche Saint-Sauveur. Une façade, pour les opposants aux projets qui y voient seulement la bétonisation d’un poumon vert de la ville, contraire aux préoccupations environnementales actuelles. Les différences de point de vue autours de cet aménagement deviennent, en contexte de campagne électorale, un point de différence sur lequel chaque candidat se positionne. Et ce n’est pas nouveau, l’espace St-Sauveur est depuis ses débuts au centre de projets de développement de la ville.
La Gare St-So symbole des évolutions de Lille
Nous sommes au début du XVIIIème siècle et les transports de Lille ne peuvent absorber le développement de l’activité industrielle de la ville. Il faut alors absolument étendre les liaisons ferroviaires. On pense d’abord à créer une autre gare que celle de Fives pour accueillir marchandises et voyageurs, mais c’est finalement le projet d’une gare essentiellement destinée au fret qui est retenu. Construite de l’autre côté des fortifications de la ville, la gare Saint-Sauveur entre en fonction en 1865. Véritable ville dans la ville, avec son propre réseau de gaz, ses écuries et ses réservoirs d’eau pour alimenter les machines à vapeur, la station permet aux quartiers alentours de connaître un développement prospère.
Pourtant la gare Saint-Sauveur devient également le symbole de la fin de l’ère industrielle de la région lilloise. A partir de la crise pétrolière des années 1970, l’activité de la ville est en chute libre. Concurrencée par d’autre centres de triages plus éloignés du centre, le trafic de la gare décline. Elle cesse définitivement son activité ferroviaire en 2003, et se transforme en une énorme friche de près de 20 hectare en plein centre de Lille. Ainsi dès sa fermeture, se pose la question de sa réhabilitation. D’abord pensés pour accueillir le village olympique des jeux de 2004 dont la ville est candidate, les anciens bâtiments sont finalement transformés en espace culturel. Les halles sont réhabilitées pour y accueillir le Bistrot de St-So et un espace d’exposition, que vous connaissez certainement, ou que vous allez foncer voir après avoir lu cet article.
Espace de co-working et piscine olympique
Si l’ouverture de cet espace culturel semble ravir la population, un projet immobilier plus vaste est dans les tuyaux depuis le début. Ce n’est qu’à partir des années 2010 qu’il se concrétise. Suite à un appel à projet organisé par la municipalité et la MEL (Métropole Européenne de Lille), c’est l’équipe d’architecte Gehl qui est finalement retenue en 2013 pour aménager l’espace Saint-Sauveur. L’idée est alors de construire environ 2000 logements, des bureaux, des locaux d’activités. On ajoute même l’idée de construire une piscine olympique sur le parc du Belvédère, avoisinant. Mais souvenez-vous de la formule évasive de l’équipe, l’objectif est avant tout de mettre en avant la réalisation d’espaces publiques, de parcs et d’espaces communs, et notamment une interface de co-working. Pourtant certains riverains ne voient pas les choses de la même manière. Les opposants au projet préfèrent pointer l’augmentation des déplacements et de la pollution qui les accompagne, puisque selon leurs estimations, cela représenterait « 25 600 déplacements en plus, dont 6830 en voitures » par an. Pour ces réfractaires ce chantier semble complétement incohérent. Faire disparaître un espace vert dans la deuxième ville la plus polluée de France, pour construire une piscine olympique dont les utilisateurs subiront également les effets de la pollution en pratiquant leur sport pose effectivement question.
ZAP comme “zone à protéger”
L’opposition s’organise alors, entre 2014 et 2015, lorsque la MRES propose une étude inter-associative du chantier. A la présentation de leur inquiétude, l’équipe d’architectes fait la sourde oreilles, aux dires des militants. Deux organisations porteuses de l’étude décident donc de constituer le collectif « Fête la Friche » en 2016 afin de faire découvrir le lieu aux habitants de la MEL et de faire cesser le projet, notamment par voie juridique. Pour cela, ils créent l’association PARC qui saisit le tribunal administratif. Une première étude est publiée.
Pourtant, sans attendre le verdict final la friche est fermée par de grands murs de béton. Les « fricheux », comme on appelle les militants engagés dans l’opposition au projet, se mettent alors sur leur garde. Pour rendre visible cette résistance, le parc du belvédère a d’ores et déjà été investi au début de l’année dernière.
Il est alors devenu une ZAP, une Zone à protéger, et non une ZAD, ce qui est un terme un trop connoté. Comme l’explique Camille, un militant, « constituer une ZAD implique d’occuper les lieux tout le temps, ce que nous n’étions pas prêt à faire au début. » Pourtant, comme il l’indique, “tout peut basculer s’ils venaient à menacer les lieux, nous nous sommes d’ores et déjà entraînés à vivre sur place plusieurs jours pendant l’été ! ». Le collectif « fête la Friche » se réunit ainsi régulièrement pour organiser événements et résistance. Pouvant compter sur un noyau dur d’une vingtaine de « Fricheux », ils font en sorte « que la ZAP ne devienne pas un gros bordel » sourit un militant. Le 4 septembre dernier, deux nouveaux recours ont été déposés contre le projet en pointant m'”absence d’intérêt général” des aménagements prévus.
Avec le départ possible de Martine Aubry qui soutenait le projet en mars prochain, les cartes semblent être rebattu. Même si les différents candidats à la municipalité cultivent un certain flou sur leur volonté de maintenir ou non le projet, les fricheux se disent très optimistes quant à l’abandon du projet. Dossier à suivre donc pour savoir si leur pari sera le bon.
Alban Leduc