« Maintenant qu’on y est, et bien nous y sommes ! ». C’était globalement mon état d’esprit en arrivant à Saint-Pétersbourg, non dans un sens résigné, mais bien plein d’excitation, d’attentes, et bien sûr de clichés. Mais mon périple pour l’Amsterdam du Nord ne commence pas au moment où j’ai posé le pieds dans la capitale des Tsars.
Tout commence une semaine auparavant, lorsque je quitte par Paname cette Douce France avec tous ses êtres qui me sont chers. Et ce n’est qu’après près de 40h de bus et des escales-visites plus ou moins longues à Berlin, Varsovie, Vilnius et Tallinn que je repère à la gare routière de Tallinn le bus qui m’emmènera plus loin que je ne suis jamais allé. Plusieurs bus vont à Pétersbourg, je me retrouve donc à demander à un des chauffeurs si son bus est le mien, et les galères commencent : il ne parle pas Anglais. Heureusement que je sais baragouiner russe (étudiant ou touriste, je conseille vivement d’avoir des bases de russe ou au moins de savoir lire le cyrillique), je lui demande en russe, montre mon billet, il me dit qu’il n’est pas valide. Je panique, le bus part dans 5 minutes, je négocie en russe, je montre sur mon pc exactement le même billet, puis il me dit que c’est bon. Premier coup de stress.
Sans arriver à dormir, je me dirige donc vers la frontière, avec mon beau visa tout neuf que j’avais récupéré 48h avant de partir de France dans le plus grand des calmes. Quelques heures plus tard (il est alors 2h du matin), j’aperçois le check-point. Il est imposant. Un agent estonien collecte nos passeports et revient 10 minutes plus tard. C’était plus rapide que ce que je pensais, j’imaginais un passage de frontière plus long, mais me voilà soulagé (j’ai toujours ce stress d’avoir mal fait quelque chose). Deux minutes plus tard, nous voilà sur un plus gros check-point : tout s’explique, ce n’était qu’une première étape. On descend toustes avec nos bagages, et, une fois contrôlé.e.s, nous voilà avec une carte de migration. Je suis si stressé que je ne dis rien et suis la masse à majorité russophone. On retourne dans le bus, et en regardant ma carte de migration, j’apprends que tous mes noms et prénoms ont été inversés. Ça me stresse encore, j’imagine déjà me faire rapatrier. Troisième check-point côté russe celui-là, mais tout va bien, la Russie, c’est beaucoup de procédures en apparence, mais personne ne comprend les noms français à rallonge, alors ça passe toujours, et puis, finalement, peut-être que je dois prendre ça comme un baptême : me voilà donc renommé pour commencer la vie à la russe ! Ensuite, arrêt de 10 minutes dans une station essence. Je n’ai besoin de rien mais descends. Je ne peux m’empêcher de sourire. Qui aurait imaginé mes premiers pas en Russie dans une vieille station service à 2h30 du matin ? J’erre dans les rayons, un sourire béat de voir tout écrit en cyrillique et tous les prix en roubles. Je n’achète rien, remonte dans le bus, et passe les prochaines heures à regarder défiler les dachas éparses et les marais infinis couverts de brume, le tout révélé par un début de lueur venue de l’Est : tout est mystique et magnifique, comme je l’espérais.
Le matin est presque là, et je peux apercevoir au loin une immense tour que je reconnais : c’est la tour Gazprom. S’en suivent une centrale (sûrement nucléaire), des autoroutes immenses qui s’entrelacent, des zones commerciales à l’urbanisme chaotique, et puis la ville. Je n’ai qu’une phrase en tête : « Eh bah putain, je me suis pas trompé de pays, c’est bien la Russie ! ». Quand on vient de la mignonne et petite Tallinn sur les rives de la Baltique, comme coincée entre les arbres, l’entrée dans Pétersbourg est violente. Pas de maison (hormis les dachas de campagne, j’en n’ai presque jamais vu), juste des barres d’immeubles sans transition avec la campagne. Surtout, pas n’importe quels immeubles : les soviétiques ! En remontant toute la Moskovskiy Prospekt, le panorama est impressionnant : immeubles austères alignés, obélisque avec une étoile soviétique trônant au sommet, statue géante de Lénine en face de la maison des Soviets, sans oublier le « parc de la victoire » et l’incontournable Arc de Triomphe. Oui, me voilà bien en Russie, me voilà bien à Léningrad. Il est d’ailleurs fréquent de voir encore écrit Léningrad ou d’entendre des babushkas appelé Pétersbourg par son ancien nom. Sur la Nevskiy Prospekt, les « Champs-Elysées russes » comme on aime bien toujours tout comparer, trône d’ailleurs en face de la gare de Moscou un obélisque avec étoile au sommet et, en face de la gare, deux immeubles avec écrit « Ville des héros ; Léningrad ». Plus cliché on pourrait pas.
Une fois la Moskovskiy Prospekt remontée et le canal Obodniy longé, j’arrive à la gare routière. L’annonce de l’arrivée n’est qu’en russe, mais je suis la masse qui descend et devine le terminus. Petit moment de panique en me rendant compte que je suis arrivé 1h en avance, que je n’ai bien sûr ni réseau ni internet, et qu’il fait à peine 10 degrés. J’avais rendez-vous avec mon buddy vers 7h, il était à peine 6h, et bien sûr je ne pouvais me réfugier dans la gare car il faut avoir un ticket valide pour ça, or le mien ne l’était plus vu que mon trajet était déjà terminé. Bloqué dehors, gelé, je n’avais pas envie de me balader, et profitais juste de la vue sur quelques bulbes orthodoxes qui dominaient les toits, et sur le canal (pas dégueux ma foi) dominé par des bâtiments type empire qui contrastent avec le soviétisme de la Moskovskiy Prospekt. Arrivées 7h10, j’ai peur que mon buddy ne me reconnaisse pas (et moi-même comment pourrais-je le reconnaître), et me mets donc à sa recherche en demandant à tous les jeunes hommes dans un rayon de 20 mètres de manière totalement aléatoire dans un russe mauvais s’ils s’appellent « Alexandre ». Après plusieurs rejets et quelques regards interrogateurs, mon Alexandre arrive avec 20 minutes de retard : je suis sauvé. Dans un Français plus que parfait, nous parlons, il est sympa. Nous nous dirigeons vers le métro. J’ignore le programme, je le suis et me sens claqué.
Première surprise, il y a tout un dispositif de sécurité avec agents, portiques, rayons-X dans chaque station, littéralement 5 minutes d’escalator pour accéder au quai du métro, et, une fois dedans, la distance entre les stations est astronomique (de 3 à 5,5km). Au moins, les tickets ne sont pas chers (40 roubles soit 60 centimes environ). Après 2 changements, je sors à la station Primorskaya. Et là, le choc. Quand on entend « Saint-Pétersbourg », on pense à la Néva, à l’Ermitage, aux cathédrales, aux bâtiments colorés bordant les canaux, mais sûrement pas à Primorskaya. Au menu : avenues 3 voies immenses qui pourraient être des autoroutes françaises ; des tours alignées genre plus-soviétique-tu-meurs ; un immeuble long de 900 mètres ; des petits commerces d’allure anarchiques, et j’en passe ! Je conseille vraiment de s’y rendre, car le quartier reste intéressant niveau architecture, et il serait dommage pour les touristes de ne pas connaître le côté soviétique de Léningrad. Pour les étudiants : pas de crainte, ce sera votre lieu de vie. Mais « maintenant qu’on y est, et bien nous y sommes ! » Nous prenons donc un bus pour 4 arrêts, et je découvre l’immeuble du dortoir. Il est alors 8h, et nous arrivons à l’accueil. Heureusement qu’on a la chance d’avoir un système de buddy performant et des gens motivés. Les babushkas sont en effet clairement exaspérées quand on ne parle pas russe, et deviennent plus que charmantes quand elles voient qu’on fait l’effort d’apprendre leur langue et leur culture. Une chambre m’est alors attribuée, elle est au 10ème étage, mais l’un des ascenseurs fonctionne encore. J’ai entendu dire que l’année passée, aucun ne fonctionnait pendant plus d’un mois. Il est tôt, c’est dimanche, mes collocs dorment, mais pas mon roomate. Je découvre une chambre très petite, en bordel, non aérée, un roomate travaillant ne parlant pas Anglais, et là patatra. L’accueil est…spécial ! Mon buddy annonce que je suis son roomate, moi, tout mignon, je souris et me présente, mais obtient en retour un regard paniqué. Kim, mon roomate, nous dit que la chambre est trop petite pour deux, qu’il écrit sa thèse et doit vivre seul, qu’il avait demandé à la gérante d’être sans roomate, qu’il y a une erreur, et se met à nous montrer les autres chambres de l’appart bien plus grandes en allumant les lumières et réveillant ainsi tout le monde, le tout pour me dire que je ne peux vivre ici, et le tout avec des morceaux de papiers toilette sortant du pantalon ! En attendant, je dis à Kim que je vivrai là, qu’il doit ranger la chambre avant que je ne revienne dans la fin d’après-midi. Et nous voilà repartis.
Résidences autour du canal Smolenska, au loin sur la gauche la station Primorskaya, 2019
Prochaine étape : la partie administrative, la meilleure ! J’apprends que pour payer le dortoir et le service lessive, il faut aller au dortoir des Russophones qui est à 15 minutes à pieds ; que pour payer le wifi il faut aller au bâtiment principal de l’université ; et que le frigo est payant à la journée… Arrivés au dortoir russophone, j’obtiens dans un premier bureau un papier pour payer mon loyer, ce qui ne se fait qu’en liquide dans un second bureau. Puis je visite la chambre de mon buddy. Son appart, est encore plus petit et plus vieux que celui des internationaux, mais plus vivant et convivial dans la mesure où la majorité y vit pour plusieurs années. Certains viennent d’ailleurs de bien plus loin que la France (Asie Centrale, Sibérie…). Décidément, les notions de taille et de distance ne sont pas les mêmes ici. On parle toujours des États-Unis, mais la Russie est pas mal aussi dans le genre immensité et démesure, qu’elle soit tsariste ou soviétique.
Il me propose de m’emmener à l’université pour que je vois le chemin, ce que j’accepte bien sûr. Nous passons par Primorskaya, où il m’aide à me prendre un forfait téléphonique (5 euros par mois pour 40 gigas d’internet et 1h d’appel, pas de SMS). Mais ce n’est qu’après un bus, 4 stations de métro avec un changement, et 20 minutes à pieds, soit plus d’une heure de trajet, que nous arrivons à l’université. Enfin je découvre le beau Saint-Pétersbourg. Le campus de Smolny est grandiose. Je suis si fatigué et relâche la pression des dernières heures : nous nous posons sur un banc, je retrouve mon sourire béat plein d’espoir et de satisfaction après les quelques déconvenues passées. Je n’ai qu’une hâte : rentrer, découvrir mes collocs, appeler ma famille, et dormir. Alexandre me propose d’aller faire des courses sur Nevskiy étant donné que j’ai besoin de chaussures entre autres, et d’aller changer de l’argent. J’accepte même si je suis crevé. Il me laisse alors errer dans le centre commercial où tout est si cher (Champs-Elysées obligent). Je n’achète rien et nous partons pour le dortoir. Il doit accueillir un groupe d’internationaux arrivé de l’aéroport, et je dois me reposer.
Cathédrale de Smolny au centre, et autour ancien monastère devenu université, 2019
Il n’est que 16h, mais je me sens comme au bord du sommeil. Mon appartement à déjà le wifi et un frigo (le seul appart de tout l’immeuble de ce que j’ai compris) car Kim est ici depuis avril et s’est occupé de tout. Ce dernier a d’ailleurs rangé et nettoyé tout l’appartement, et se trouve être très accueillant et de bonne compagnie. Surtout, je suis soulagé de n’habiter qu’avec des non francophones, et de partager ma chambre avec quelqu’un avec qui je dois parler Russe (ce qui est assez rare). La journée se termine donc sur une note optimiste et pleine d’espoir.
Après deux mois ici, le quotidien s’installe, on se sent chez soi d’une manière ou d’une autre. De toutes façons, pas le choix ! J’apprécie vivre ici, mais serai plus qu’heureux de retourner vivre à Lille. Je sais qu’une 3A paradisiaque et un retour en 4A déprimant est une idée souvent répandue, mais je ne pense pas que ce sera mon cas, ni pour la 3A paradisiaque, ni pour le retour déprimant. Ici, et ailleurs je suppose, il y a des moments difficiles, la vie continue, les proches nous manquent, on se sent parfois tantôt seul.e, bloqué.e un an dans un quotidien, avec des cours pas toujours palpitants, face à des situations difficiles niveaux linguistique, culturel, sentimental, voire psychologique. Tout ça pour dire que la vie continue, que la vie sera sûrement jamais un paradis, ni un enfer, et qu’on sait pas comment on réagira dans certaines situations, ni si on ira mieux ou moins bien demain.
Mes premières 24h étaient assez chaotiques et elles m’ont marqué. Les jours suivants sont aussi pleins de galères, mais elle sont souvent mineures et assez cocasses avec du recul, et tout le monde est dans la même merde alors on les partage et on en rit ! J’ai même commencé un carnet d’anecdotes/galères de 3A. Bref, si quelqu’un a des questions sur la 3A ou la Russie, je serais ravi d’aider ! Et je rappelle que cet article parle de mon expérience et ma vision, et je ne prétends pas connaître ce que vit tout étudiant en 3A, je sais juste que rien n’est blanc ou noir. Concernant Saint-Pèt’, je n’ai parlé ici que des premières 24h, car elles m’ont marqué et sont très importantes, dans un périple aussi long, mais je sais que je n’ai pas développé les aspects très pratiques et concrets, donc n’hésitez pas à poser des questions par facebook (https://www.facebook.com/Jo.Catranira). J’espère avoir quand même aidé, ou au moins distrait, et bonne continuation à toustes !
Josselin Catarina
Image à la une : Maison des Soviets et statue de Lénine sur la Moskovskiy Prospekt, automne 2018