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« Sorry We Missed You » de Ken Loach, film d’un réalisateur en colère

A l’instar de son précédent Film Moi, Daniel Blake, dans lequel il dénonçait le système de sécurité  sociale anglais, Ken Loach dévoile dans ce nouveau film une critique frissonnante du capitalisme et d’uberisation de l’économie. 

Ricky, père de famille de 2 enfants, incarne ce nouveau prolétariat précaire de l’économie britannique. Embauché dans une boîte de livraison, où il bénéficie du statut «d’indépendant», il est obligé de financer sa camionnette pour livrer des produits commandés sur Internet. Cependant, ceci s’avère rapidement n’être qu’une illusion: ce qui attend Ricky est en fait l’esclavage. En plus d’horaires de travail surhumaines, il est en permanence subordonné par un scanner appelé « gun » qui le trace et surveille ses moindres faits et gestes, mesurant aussi son temps de pause.  Là aussi, le réalisateur affiche clairement sa volonté de dénoncer cette numérisation toujours plus grave de la société, aboutissant à une précarisation toujours plus grande des conditions de travail, accentuant son caractère inhumain. Ne bénéficiant d’aucune assurance, Ricky doit payer un remplaçant lorsqu’il ne peut se rendre au travail.

Au delà de l’aspect des conditions ce travail, ce film met aussi en lumière le bouleversement progressif de cette famille, provoquée par la seule obsession aliénante du travail. La mère de famille, Abby, est aide à la personne et ses horaires de travail sont un véritable calvaire : dépendante des transports en commun, elle est payée au client, la faisant se déplacer sans cesse pendant toute la journée. Le spectateur  fait le lien entre le travail extravagant des parents et avec la situation d’anomie du fils, Sébastien : en effet, le film met en évidence gradation dans l’évolution du fils. Au début du film, il commence par taguer des murs ; plus tard, il se fera exclure de son lycée pour plusieurs jours à cause d’une bagarre, avant de commettre des vols et de finir au commissariat. Par manque de temps, les parents sont dépassés et ne peuvent plus s’occuper de cet adolescent, qui ne semble pas toujours comprendre les problèmes des parents. Des tensions entre le jeune garçon et les parents déchirent la famille.

Mais Ken Loach ne va pas au delà de l’uberisation. Dans son film, il oublie un acteur fondamental de ce système : le consommateur. Si la précarisation ainsi que l’uberisation du travail augmente fortement, c’est bien parce que la demande de produit livrés croît parallèlement. Il s’agit donc pour les employeurs de s’adapter à cette demande. Cette uberisation croissante de l’emploi amène à réfléchir à notre consommation. Doit-on consommer toujours plus et ainsi accentuer cette précarisation du travail ? Notre bonheur ne peut-il pas se trouver ailleurs ?

Louis Lebacquer