Alors que les troubles du spectre autistique concernent environ 1 nouveau-né sur 100, soit 700 000 personnes au total en France selon les estimations, l’Etat français peine à venir efficacement en aide à ces enfants. Entre détection trop tardive de la pathologie, méthodes d’accompagnement surannées et prise en charge inexistante des adultes autistes, la France accuse un retard coupable sur ses voisins européens.
Un problème qui ne date pas d’hier
Les plans autisme s’enchaînent mais les résultats, eux, se font plus rares. Depuis 2005, pas moins de 4 plans gouvernementaux ont vu le jour, et notamment celui pour la période 2018-2022, fruit d’une concertation de 6 mois avec les associations et les experts suite à une promesse de campagne d’Emmanuel Macron. Pourtant, la prise en charge de l’autisme en France reste défaillante, loin d’être à la hauteur des difficultés que vivent les enfants atteints comme leurs familles, sans oublier la prise en charge, qui reste catastrophique, des jeunes adultes autistes. Les espoirs entretenus par les pouvoirs publics au gré des promesses et des programmes d’action n’ont pas survécu longtemps face au manque de moyens alloués et au maintien de méthodes de prise en charge dépassées.
Il a d’abord fallu qu’une première condamnation européenne soit rendue publique en 2004 pour que la France se décide à mettre sur pied son premier plan triennal réellement consacré à l’autisme en 2005. Le nombre de places créées par ce premier plan est dérisoire et lui vaut une critique acerbe du Comité consultatif national d’éthique (CCNE) fin 2007 : « Malgré une succession de rapports, de recommandations, de circulaires et de lois depuis plus de 10 ans, le défaut de prise en charge demeure considérable, et la situation de la plupart des familles confrontées à cette situation demeure dramatique. ». Le deuxième plan autisme (2008-2010), mis en œuvre par le gouvernement Fillon, n’est pas mieux accueilli par les associations qui le jugent « scandaleux ». Néanmoins, aussi fragiles soient-ils, ces plans gouvernementaux ont le mérite de mettre la focale sur un problème trop longtemps ignoré. En 2012, le label de Grande cause nationale de l’année est justement attribué au collectif d’associations “Rassemblement Ensemble pour l’autisme”, offrant une visibilité d’une ampleur sans précédant aux associations de défense des droits des personnes autistes.
Pourtant, et malgré les nouveaux fonds débloqués pour le troisième plan autisme (2013-2017), le Conseil de l’Europe condamne à nouveau la France en 2013 pour ne pas avoir respecté le droit des enfants autistes à recevoir une éducation. La France n’a toujours pas respecté la Charte sociale européenne qu’elle avait ratifié. Depuis la première condamnation de 2004, les experts européens “ne considèrent pas qu’un progrès réel ait été enregistré”, avec toujours 80 % d’enfants “exclus de la jouissance d’un droit consacré et garanti par la Charte”. Par ailleurs, le Conseil ne manque pas de critiquer sévèrement ce troisième plan tout comme, en mai 2017, le rapport d’évaluation de l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS). Florent Chapel, auteur de l’ouvrage “Autisme, la grande enquête“, livre choc sur la faillite global du système de prise en charge français, va même jusqu’à affirmer au Figaro que, ce plan, “c’est un peu cinq ans de perdus“.
“En matière de politique de l’autisme, la situation est indigne de notre République” Sophie Cluzel, secrétaire d’Etat chargée des personnes handicapés.
C’est dans ce contexte délicat que le gouvernement Philippe doit trouver des solutions afin de rattraper les années perdues et recouvrer la confiance des familles touchées. La secrétaire d’État chargée des personnes handicapées, Sophie Cluzel, reconnaissait sans langue de bois l’urgence de la situation en 2018 : “En matière de politique de l’autisme, la situation est indigne de notre République“. Le quatrième plan autisme, annoncé conjointement par Edouard Philippe et Sophie Cluzel en avril 2018, repose ainsi sur une enveloppe plus conséquente de 400 millions d’euros et vise à remédier aux principales défaillances du système français. Les objectifs prioritaires établis par le plan sont la scolarisation de tous les enfants autistes en maternelle (contre seulement 1/3 aujourd’hui), la mise en place de parcours adaptés de la primaire au lycée et un diagnostic plus rapide et efficace des enfants concernés. Autre chantier fondamental, dont le gouvernement promet de se saisir, l’accompagnement des familles, qui regrettent d’être souvent livrées à elles-mêmes, sans solutions.
Un manque de connaissance sur le sujet
Si la France souffre d’un tel retard, elle le doit d’abord à des connaissances trop lacunaires sur les réalités des troubles du spectre autistique (TSA). Les corps médical et enseignant, en contact avec les enfants de moins de 5 ans, disposent d’une formation au mieux dérisoire, souvent inexistante, ne leur permettant pas de repérer les symptômes de la pathologie, bien que des progrès aient été réalisés ces dernières années. Ces carences expliquent que toute une génération d’adulte n’ait jamais été diagnostiquée : 75 000 adultes sont déclarés autistes alors que les estimations en dénombrent 600 000 en réalité. Aujourd’hui encore, le diagnostic est souvent tardif alors que la Haute autorité de santé (HAS) estime que, pour être efficiente, la prise en charge doit débuter au maximum à l’âge de 4 ans. En cela, le nouveau plan prévoit une sensibilisation des médecins généralistes et des pédiatres et la formation “massive” des professionnels de la petite enfance et de l’école.
Les données manquent aussi cruellement pour se faire une idée précise de la proportion de la population concernée par l’autisme. D’autant que ce que l’on appelle aujourd’hui les troubles du spectre autistique est une notion très large qui regroupe des pathologies ou handicaps variés. Dans son rapport publié en 2017, l’Igas note ainsi qu’« il n’existe pas de données exactes sur le nombre des personnes avec autisme, ni sur leurs lieux ou conditions de vie. On estime que le nombre d’enfants autistes de moins de 20 ans est situé entre 90 000 et 110 000 individus ». Quant aux adultes, « il est aujourd’hui presque impossible de mesurer la population des adultes autistes ». Si certaines estimations tablent sur 700 000 personnes (100 000 enfants, 600 000 adultes), les données essentielles et précises font défaut. Et rendent toute politique fortement aléatoire.
Par ailleurs, l’autisme pâtit d’une méconnaissance sociale générale. Longtemps négligé, le sentiment d’abandon des familles concernées s’est quand même frayé un chemin dans les médias et sur les plateaux télés ces dernières années mais l’autisme demeure une inconnue pour beaucoup, rarement considéré comme un véritable problème social. Si le label de grande cause nationale en 2012 a porté un coup de projecteur salvateur, les préjugés qui entourent l’autisme restent nombreux. Pourtant, plusieurs ouvrages et films se sont récemment emparés de cette thématique comme « Autisme, la grande enquête », le livre de Florent Chapel ou « Hors-normes », le dernier film d’Éric Toledano et Olivier Nakache. Pas de quoi aboutir pour autant au “sursaut national” qu’Edouard Philippe a récemment appelé de ses vœux.
Des méthodes de prise en charge dépassées
Il reste surtout le problème de fond des fondements psychiatriques et psychanalytiques de la prise en charge de l’autisme en France, une approche controversée, remise en cause depuis plus de 35 ans par l’OMS mais encore majoritaire en France. L’autisme est depuis longtemps reconnu comme un trouble neuro-développemental appartenant aux troubles envahissants de développement (TED), et non plus comme une maladie psychiatrique. Cette définition n’a cependant été que tardivement reprise par la Haute Autorité de santé (HAS) française, en 2010. D’où le considérable retard accumulé.
Pour autant, bien que la psychiatrie ait été désavouée par la HAS, la vieille garde résiste et, dans de nombreux centres de prise en charge, l’approche psychiatrique est encore d’actualité. Or, pour les parents qui n’ont pas les ressources nécessaires, il n’y a pas d’autre choix que de laisser leurs enfants dans les centres où la prise en charge est remboursée. Tant pis si les recommandations de la HAS n’y sont pas suivies. D’après une enquête menée par le site Doctissimo, un patient français sur cinq bénéficie encore d’une prise en charge psychanalytique. A tel point que les familles et associations n’hésitent plus à parler de « lobby psychiatrique ». Il s’agit en tout cas d’une singularité française puisqu’en 2010, la HAS observait déjà en analysant les quatre recommandations internationales existantes sur l’autisme, que deux déconseillaient la psychanalyse (Espagne, Nouvelle-Zélande) et les deux autres (États-Unis, Écosse) ne la citaient même plus.
Structures engorgées et manque de moyens
Autre point noir chez les enfants, le nécessaire programme de repérage, de diagnostic et d’intervention précoce demeure appliqué de façon hétérogène. Il a progressé dans les Centres Ressources Autisme (CRA) déployés sur tout le territoire, dans chaque région. Mais ces structures sont engorgées. Les délais d’attente moyens entre la réception de la demande de consultation et le premier rendez-vous varient de 16 à 309 jours, selon le rapport de la cour des comptes sur l’évaluation des politiques publiques de la prise en charge de l’autisme. Il se passe entre ce premier rendez-vous et l’engagement d’un bilan diagnostic ou fonctionnel entre 18 et 735 jours. Enfin, entre 2 et 260 jours s’égrènent encore entre le début et la fin de ce bilan, avec sa restitution à la famille et aux professionnels concernés.
Au total, il faut compter entre 265 jours et 975 jours pour bénéficier d’un diagnostic précis de troubles ou d’absence de trouble, soit entre 9 mois et près de 3 ans. Des délais insupportables pour les familles qui n’ont parfois pas d’autres choix que de se tourner vers des centres privés particulièrement coûteux.
Le problème de la scolarisation
La scolarisation des élèves présentant des troubles de l’autisme est certes meilleure qu’auparavant ; quelques réalisations régionales sont exemplaires comme autour de Limoges, mais globalement leur inclusion dans le système éducatif est encore difficile. En conséquence, le niveau atteint par les élèves autistes progresse moins vite que pour ceux atteints d’autres handicaps : seulement 6,6 % des premiers ont rejoint le niveau secondaire, contre 16,3 % pour les autres. Or, la scolarisation des enfants autistes est une donnée fondamentale pour les faire progresser. En effet, le milieu scolaire permet à ces enfants d’interagir avec des camarades de leur âge et d’intérioriser les normes et codes des interactions sociales. Encore faut-il que l’école mette à dispositions des autistes des parcours adaptés, appuyés par des enseignants spécialisés.
C’est tout l’objet du quatrième plan autisme qui vise à intégrer l’intégralité des enfants autistes aux enseignements de maternel et garantir à chaque enfant un parcours scolaire fluide et adapté à ses besoins, de l’école élémentaire au lycée. Alors que les pouvoirs publics ont longtemps fermé la porte de l’école aux enfants autistes, une vraie prise de conscience a eu lieu. Sans toutefois beaucoup de résultats concrets pour le moment.
Quid des adultes autistes ?
Dernière faille, abyssale celle-ci, l’accompagnement pour les adolescents et les adultes autistes émerge à peine. Outre qu’ils ne sont que marginalement dénombrés, que les connaissances sur cette population importante sont très faibles, leurs parcours de soins et d’aide sont heurtés, entre des institutions et des professionnels très divers. La Cour des comptes, qui a réalisé un sondage d’envergure auprès de personnes autistes et de leurs familles, relève que près de la moitié des répondants (46,5 %) ont fait état de périodes de rupture dans leur accompagnement, bref, ont été abandonnés à eux-mêmes. Plusieurs réponses d’adultes autistes eux-mêmes notent avec amertume qu’il ne peut pas y avoir de rupture puisque pour eux il n’y a pas eu de parcours.
“La route est encore longue” Danièle Langloys, présidente de l’association Autisme France.
Cette « génération sacrifiée », celle de ces adultes qui n’ont, pour nombre d’entre eux même pas été diagnostiqué autistes, incarne à elle-seul les retards considérables du système de prise en charge français. Le quatrième plan autisme fait naître un nouvel espoir, celui de surmonter les erreurs passées afin d’offrir à la nouvelle génération d’enfants autistes un meilleur sort que celui réservé à leurs aînés. Danièle Langloys, présidente de l’association Autisme France, reconnait ainsi que « ça va dans le bon sens ». Mais de conclure : « Malheureusement, la route reste encore longue. »
Christian Mouly