Une alchimie bizarre, c’est le moins que l’on puisse dire. Peut-être là naissent souvent les meilleures histoires d’amour… En trois mandats, la relation entre Martine Aubry et Lille a traversé épreuves, réussites et échecs. Mais à la veille de sa remise en cause par les urnes, cette dépendance pourra-t-elle se briser, d’un coup ? Le danger guette. L’occasion de retracer un parcours périlleux et intense qui a construit la socialiste devenue à la fois maire et mère de la ville.
Atterrissage
A la base, Martine Aubry est énarque (promotion Léon Blum 1975), pas parachutiste… Pourtant il a bien fallu maîtriser l’atterrissage, qui plus est sur un terrain miné, dominé de son beffroi… En effet on s’y confondrait presque, mais la figure féminine du Parti Socialiste n’est pas lilloise. Elle est arrivée dans le Nord simplement car il fallait trouver un.e successeur.e au maire sortant, Pierre Mauroy. D’abord première adjointe, la dauphine a très vite la responsabilité de faire perdurer l’hégémonie du PS dans la capitale des Flandres, en tant qu’ “étoile montante de la politique française” aux élections municipales de 2001.
Mais une précision s’impose : un bon atterrissage se fait en douceur. Si l’on se précipite on a le droit à quelques turbulences… Non pas que Martine Aubry soit pressée mais en tout cas elle n’est ni parachutiste ni pilote d’avion, et les débuts à Lille sont compliqués. Pour être clair, elle n’avait dans sa ville ni une popularité à la Plastic Bertrand ni la fidélité du tube “Ça plane pour moi”… Effectivement, bien que la jeune femme ait déjà été Ministre et ne soit plus (du tout) novice en politique, la sortie de son microcosme parisien a été douloureuse. Les lillois ne ressentent pas en elle l’incarnation d’une identité nordiste comme son prédécesseur alias “Gros Quinquin”.
Décollage
Martine Aubry l’a bien compris, elle va devoir marquer son territoire. Et pour cela “il va falloir changer les vieilles habitudes” dit-elle, quitte à s’attirer les foudres de ses employés municipaux. Elle souhaite un Lille nouveau avec lequel on peut l’associer. C’est par la culture qu’elle va réussir cette subtile appropriation, bien déterminée à réussir dans le municipal alors qu’elle perd les élections législatives dans la région, comme un symbole. En 2004, sa ville est le lieu du rayonnement culturel, élue Capitale Européenne de la Culture. Selon P. Mathiot* c’est “à partir de ce moment, qu’elle devient réellement maire de Lille”. Elle semble redonner cette fierté aux autochtones, savoir raconter une nouvelle histoire qui transite du passé industriel à l’avènement d’une modernité connectée à l’européen.
“Oui je peux être dure, je préfère dire les choses directement. Ou alors il ne faut pas faire de la politique, il faut faire de la démagogie, de la com’, du clientélisme, et je déteste ça”.
Mais la noble culture n’efface pas pour autant la méthode Aubry : la maire marque son territoire non sans une certaine “rigidité”. Sa pratique du pouvoir est singulière, elle assume elle-même : “Oui je peux être dure, je préfère dire les choses directement. Ou alors il ne faut pas faire de la politique, il faut faire de la démagogie, de la com’, du clientélisme, et je déteste ça”. La femme a du caractère, mauvais diront certains, et veut avoir un œil sur toutes les affaires du Beffroi. Elle se défendra toutefois en en affirmant “qu’elle est dure avec les puissants mais douce avec les faibles”, rappelant là ce qu’elle doit à sa mère… Du côté de son père, la fille de Jacques Delors a su, de la même manière, s’affirmer sur la scène politique. Et cela d’une manière assez étincelante dès 2006 pour son deuxième mandat. Elle s’adjuge une victoire historique : 66.56% au second tour (46.02% au 1er tour, forte abstention à noter).
“Être président c’est la fin de la vie. Vivre c’est aller au marché, pas habiter dans un château.”
Forte de sa popularité, on l’envisage naturellement plus loin, beaucoup plus loin. En 2008, elle prend les reines du Parti Socialiste. La Première Secrétaire du parti est donc pressentie pour un duel face à Sarkozy en 2012 pour l’Élysée. Elle perd finalement la primaire face à F. Hollande et avec du recul, estime que de la plus haute fonction, elle n’en aurait finalement pas voulu. “Être président c’est la fin de la vie, dit-elle, vivre c’est aller au marché, pas habiter dans un château.” Martine Aubry est donc bien à Lille, et a su s’approprier son identité, elle, une fervente fan du LOSC au stade Pierre Mauroy. Celui-ci s’inscrit d’ailleurs dans une liste de projets menés à bien par la maire : EuraTechnologies, rénovation du quartier de Moulins et construction de logements sociaux, espace culturel de la Gare Saint-Sauveur, etc… Bien sûr le bilan est loin d’être tout rose. En première ligne, l’écologie dont l’élue n’a pas assez vu les enjeux dans la métropole la plus polluée de France, après Paris. Ce qui pourrait bien lui porter préjudice face au défi d’un quatrième mandat.
Vol très long courrier ?
“C’est le dernier”, qu’elle disait. Manifestement non. Ce jeudi 27 novembre, Aubry a (enfin) annoncé sa candidature à la Voix du Nord. Les candidats sont nombreux (lire notre article) et lui promettent une campagne acharnée, au premier chef les macronistes – parfois ex-socialistes – emmenés par Violette Spillebout, son ancienne directrice de cabinet. Mais en l’absence de successeur.e, la maire sortante rempile. Elle soutient que les inégalités sociales sont encore trop conséquentes et que le défi écologique est réel. Pourtant nombre de ses opposants axent leurs critiques sur ce point. Si elle a bien essayé de “verdir” sa ville, son pseudo de “maire bétonneuse” lui colle à la peau… Ainsi, à 69 ans, la socialiste veut encore croire qu’elle peut se maintenir aux commandes, questionnant l’électeur sur la qualité du pilote : usé ou expérimenté ?
*les citations présentes dans l’article sont tirées du documentaire Martine Aubry, la dame de Lille, (13 productions, France télévisions, Pictanovo)
Clément Rabu