C’est à Sciences po même que, la semaine dernière, le Jeu de l’oie et son partenaire Les Amis du Monde diplomatique accueillent Olivier Pironet. L’invité est de taille : reporter au Monde diplomatique depuis 1999 et spécialiste de la bande de Gaza, il a, entre autres, réalisé un reportage nommé Gaza, un peuple en cage et est chef de publication de la revue Manière de voir (dont un numéro a été consacré à la Palestine). Dire que M. Pironet connaît le terrain est un euphémisme : il s’est rendu 25 fois en Palestine depuis juillet 2001, dont 2 semaines au mois de juin dernier dans la bande de Gaza sous autorisation spéciale en tant que journaliste.
Cette bande terre de seulement 365km2 est pourtant un des territoires les plus peuplés au monde. Sous blocus militaire, aérien, souterrain et maritime total d’Israël, le territoire comptent aujourd’hui 8 camps de réfugiés et plus d’un million de réfugié. La situation sur place est dénoncée dès le début de la conférence par notre invité.
Retour sur l’histoire de la bande de Gaza :
M. Pironet débute sa conférence par un retour de plusieurs décennies en arrière. Le problème de la bande de Gaza remonte à 1947 quand un plan de partage du territoire israélo-palestinien est proposé, ce plan est “très inégalitaire dans son rapport entre population et territoire”. Au fur et à mesure des guerres contre les pays arabes alentours, Israël récupère de plus en plus de territoires pourtant attribués au départ aux Palestiniens. En 1949, Gaza, d’une population originelle de 80 000 personnes, accueille une vague de 200 000 réfugiés qui fuient l’avancée d’Israël. L’armée israélienne occupe même à plusieurs reprises la bande de Gaza : quelques en mois en 1956 puis une nouvelle fois en 1967 lors de la guerre des 6 jours. En 1987, la première Intifada se déclenche dans la bande de Gaza. Ce soulèvement prend fin en 1993 avec la signature des accords d’Oslo, accords qui donne la souveraineté sur la bande de Gaza à l’Autorité palestinienne. Néanmoins, M. Pironet affirme que le processus de paix enclenché est en trompe l’oeil. La colonisation des terres palestiniennes par les Israéliens continue, les “zones d’autonomie palestiniennes” ne sont pas vraiment autonomes et aucun Etat palestinien n’est proclamé comme le voulaient les accords. Selon le journaliste Olivier Pironet, les accords d’Oslo sont totalement favorables à Israël.
Une seconde Intifada éclate en 2000 et mène à un affrontement militaire avec Israël. Elle cesse en 2005 avec l’arrivée d’Abbas à la tête de l’Autorité palestinienne et sa politique de sécurisation militaire. Le mouvement islamiste du Hamas gagne en parallèle de plus en plus d’influence politique et finit par remporter les élections législatives sur la bande de Gaza en 2006. Ce mouvement proche des Frères musulmans est craint par les Occidentaux mais ne connaît pas les mêmes problèmes de corruption et les mêmes échecs en négociation que le Fatah, le mouvement traditionnel de libération de la Palestine. Le Hamas représente ainsi un espoir pour les Gazaouis. Après un an de tractation avec le Fatah, pour prévenir un coup d’Etat, le gouvernement du Hamas exclut l’Autorité palestinienne de Gaza. Israël déclare en conséquence la bande de Gaza “entité hostile” et met en place un blocus de la bande de Gaza, avec la complicité des Occidentaux et des Égyptiens selon Olivier Pironet. Depuis, Gaza vit une situation catastrophique qui risque de devenir invivable selon l’ONU.
Un sombre tableau de la situation actuelle à Gaza peint par Olivier Pironet :
M. Pironet nous explique la situation désastreuse à Gaza aujourd’hui par une série de chiffres assez éloquents :
- 50% à 70% de la population vit sous le seuil de pauvreté
- 80% de la population est en insécurité alimentaire
- le chômage officiel touche 55% de la population, beaucoup d’habitants travaillent de manière informelle pour survivre au jour le jour
Le statut de Gaza est de plus débattu au niveau mondial : alors que l’ONU et la Cour de justice international considère la bande de Gaza comme un territoire toujours occupé, Israël est en désaccord. Ce pays avait 20 colonies à Gaza jusqu’à un retrait unilatéral en 2005, mais en “trompe l’oeil” selon M. Pironet. Ces colonies israéliennes exerceraient toujours une emprise considérable sur la bande de Gaza. De plus, Gaza est entouré par des barrières et un système de surveillance très poussé. Cette zone tampon entre la bande et Israël occupe 35% des terrains agricoles de Gaza et nuit ainsi à l’économie gazaouie. Les pêcheurs souffrent eux aussi car ils n’arrivent pas à accéder aux zones de pêche malgré la protection promise par les accords d’Oslo. M. Pironet nous raconte des histoires de bateaux de pêcheurs gazaouis se faisant bombarder ou saisir par des bateaux israéliens. La guerre est malheureusement devenue le quotidien des Gazaouis. En résultent de nombreuses pertes humaines (4 000 morts en 2014 par exemple) et animales dans les élevages et des destructions du territoire. Une autre raison des conditions de vie misérable des Gazaoui est le blocus. Plus de 95% de l’eau n’est pas potable. L’électricité et les médicaments manquent. Les hôpitaux en crise ne peuvent pas réaliser toutes les opérations nécessaires.
Le temps des questions : révélation de tensions persistantes autour du conflit israélo-palestinien :
La présentation d’une heure et demi de la situation à Gaza par notre invité Olivier Pironet semble appeler à un soutien à la bande de Gaza, et aux Palestiniens de façon général. Cependant, le temps des questions venu, des divergences d’opinion émergent. Un élève se lève pour rappeler que personne n’est blanc dans cette histoire : des Israéliens ont aussi été victimes du conflit et tous les Israéliens ne doivent pas être vus comme aussi anti-palestiniens que le gouvernement israélien actuel. Il souligne qu’Israël est une démocratie et non une dictature sanguinaire comme certains voudraient le montrer. Le ton monte sur ce sujet. Olivier Pironet s’empresse de défendre son point de vue : Israël se dit démocratique alors que des lois discriminatoires sont votées contre les Palestiniens et d’autres minorités. Ce régime a donc aussi des composantes autoritaires. De plus, même si des roquettes sont tirées des deux côtés de la frontière, le nombre de victimes n’est pas le même rappelle Pironet. Les roquettes tirées par Gaza s’apparentent à une sorte de cri de désespoir des Gazaouis pour rappeler leur existence à la communauté internationale qui semble parfois les oublier du point de vue du journaliste. Il souligne aussi que les Israéliens continuent d’exercer une influence importante sur la bande de Gaza, Jérusalem-Est et la Cisjordanie contre la volonté de l’ONU. Ce conflits de points de vue à Science po même est révélateur des divergences d’opinion autour de ce conflit complexe né il y a plus de 70 ans.
Reporter à Gaza : mission impossible ?
Olivier Pironet nous explique qu’il ne peut pas circuler seul en tant que journaliste et qu’il a donc 2 accompagnants avec lui. Ses journées sont chargées : ils réalisent une soixantaine d’entretiens en 2 semaines, la plupart des personnes interviewées sont pessimistes quant au futur de Gaza. La vie nocturne est compliquée car l’électricité manque et il est risqué de sortir la nuit dans certaines zones de la bande de Gaza, surtout au sud car des djihadistes sont présents, mais aussi à cause des bombardements nocturnes.
L’entrée sur le territoire israélien est assez facile car les ressortissants européens n’ont pas besoin de visa. Une carte de presse française suffit et une autorisation spéciale en plus n’est pas nécessaire. Par contre passer d’Israël à Gaza est plus compliqué en tant que journaliste. Il faut une carte provisoire, répondre à plein de critères et réaliser un entretien. Le Hamas est très suspect des journalistes : il craint que ces derniers servent les Israéliens. Au passage de la frontière, Olivier Pironet raconte qu’il est brièvement interrogé et qu’il passe 2 “checkpoints”, un de l’Autorité palestinienne et un du Hamas. Sortir de Gaza est aussi complexe : Pironet dit avoir été fouillé de fond comble et avoir trouvé impressionnant le nombre de patrouilles et de soldats. La dernière fois qu’il est venu, en 2001, le terminal frontalier était beaucoup plus petit, aujourd’hui c’est un véritable terminal frontalier.
Quelles sorties de crise possible ?
Selon O. Pironet, la situation de la Palestine ne se prête plus à une solution à 2 États car les populations sont trop entremêlées et les territoires trop fragmentés. Les jeunes Palestiniens accusent aujourd’hui leurs aînés d’avoir cru en cette solution fantasmée. Quelqu’un dans la salle soulève la possibilité de comparer avec l’apartheid en Afrique du Sud qui s’est transformé en un seul Etat uni sous la pression internationale. Pironet accueille la comparaison comme pertinente, même si les Bantoustans (zones réservés aux populations noires sous l’apartheid) avaient plus d’autonomie que les soi-disantes zones autonomes palestiniennes. La solution au conflit serait peut être donc un seul État dénué de toutes formes de discriminations de la population. Pour Pironet, la priorité est l’application du droit international et des différentes résolutions de l’ONU pour trouver une solution. Pour lui, l’idée originelle du plan de partage de faire passer Jérusalem sous contrôle internationale est intéressante car Jérusalem cristallise les tensions aujourd’hui.
L’administration américaine s’en est aussi mêlée cette année en révélant un plan de paix dirigé par Jared Kushner alors que, paradoxalement, la famille Trump finance beaucoup les colons israéliens souligne Pironet. Ce plan est appelé The deal of the century alors même que ses espoirs de réussite sont minces. Ce plan propose de créer une nouvelle identité appelée New Palestine mais qui ne serait pas un État. Les Israéliens garderaient le contrôle de la majorité de la Cisjordanie et de la vallée du Jourdain entre autres. Seule une police palestinienne en arme légère serait créée. Jérusalem serait sous l’entière administration israélienne mais serait en même temps la capital d’Israël et de la New Palestine. 4 milliards d’euros seraient aussi investis, surtout par des pays du Golfe, pour des projets d’infrastructures, d’éducation, de tourisme et autres, dans plusieurs pays au Moyen-Orient dont Gaza. Cela pourrait représenter beaucoup d’emplois pour les Gazaouis. Toutefois, les pays arabes risquent de refuser le financement du projet. En outre, Kushner demande, en échange de la mise en place de ce plan, l’arrêt de toutes les revendications palestiniennes alors que les Israéliens devraient juste arrêter la colonisation pour 5 ans ! Pironet décrit ce plan comme un “jeu de dupe”, surtout qu’il a été réalisé en coopération avec les Emirats Arabes Unis et l’Arabie Saoudite. Beaucoup de spécialistes pensent eux aussi que ce plan est mort né car trop abracadabrantesque. Il pourrait quand même être mis en place en cas de réélection de Trump.
Au final, Olivier Pironet milite pour plus de visibilité du sort de Gaza. Les Gazaouis se sentent aujourd’hui abandonnés. Peu de pays sont solidaires avec eux à part l’Algérie, le Qatar et quelques pacifistes peu nombreux en Israël. Une législation de plus en plus liberticide est mise en place à leur encontre. Les Etats-Unis ne sont jamais allés aussi loin dans leur alliance avec Israël. Des pays arabes comme les Emirats Arabes Unis, le Bahreïn et l’Arabie saoudite soutiennent également Israël. D’autres pays jouent un rôle ambigu comme la Turquie ou l’Egypte. Mais plus qu’une opposition entre deux populations vivant sur un même territoire, le conflit israélo-palestinien revêt aussi l’image d’une bataille de l’information. La bipolarisation des opinions est croissante, rendant l’imaginaire d’une possible réconciliation de plus en plus lointain.
Alice Marillier
Pour en savoir plus sur le Jeu de l’Oie, la revue internationale de Sciences Po Lille, rendez-vous sur leur site internet ! 🙂