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La nouvelle chronique Ciné : Valse avec le cinéma #1

La Manufacture inaugure aujourd’hui sa nouvelle chronique : « Un Grand Voyage vers le Cinéma ». Le Rendez-vous hebdomadaire du Septième Art. Au programme cette semaine : Edward Norton de retour dans un film néo-noir, un conte philosophique avec des singes et une carte postale signée Malick.

Présentation

Je m’appelle Amir, je suis étudiant en 1ère année, en filière générale. Je suis passionné par le cinéma et je souhaite vous transmettre le goût et la curiosité du 7ème art, en espérant vous faire découvrir des films. L’idée est aussi de mettre en avant des films qui passent inaperçus, des films d’auteur, pour sortir des sentiers battus. Ainsi ce que j’écris est avant tout personnel, je parle à la 1ère personne et ne revendique aucune convention, aucun formalisme. Je ne me cache pas derrière l’objectivité que je considère comme un cache-misère de l’argumentation. Je cherche à faire les articles les plus originaux et subjectifs pour donner un résultat que l’on ne trouve pas ailleurs, sinon vous n’auriez aucun intérêt à lire ma rubrique. Enfin, lorsque je parle d’un film, je me concentre sur un aspect pour parler du cinéma de façon globale (dans cette chronique la notion d’auteur et de contemplation par exemple).

Ma rubrique va se diviser en plusieurs types d’articles :

Valse avec le cinéma : je reviens sur les films en salle que j’ai vu durant la semaine. C’est un Rendez-vous fixe tous les samedis soir en période scolaire.

Il était une fois le cinéma : il s’agit d’une rétrospective sur un réalisateur particulièrement intéressant.

Requiem pour un souvenir : il s’agit de parler d’anciens films, ces articles seront assurés par ma partenaire Milena.

Le quai des films : je parle de films que j’ai envie d’aborder, parce qu’ils sont intéressants et que je les aime beaucoup. Cette rubrique remplacera Valse avec le cinéma lors des vacances, sinon elle peut être produite de façon irrégulière.

PS : Ces titres cachent des références à des films cultes !

Prenez place sur votre fauteuil, les films vont commencer….

Brooklyn Affairs : Une plongée dans les quartiers de New York

Biographie 

Edward Norton est une figure assez atypique dans le champ des acteurs-réalisateurs. Le monsieur est d’abord connu pour des rôles ou il incarne des personnages iconiques. Après quelques personnages assez mineurs pour des films qui le sont tout autant, Edward Norton se fait remarquer dans deux films très célèbres ; American History X (1998) et Fight Club (1999). L’importance de ses personnages et son style l’ont mis à la lumière du public, avec deux nominations aux oscars. Edward Norton continue sa carrière en enchainant les films à gros budget (notamment Birdman en 2014), et commence à s’essayer à produire des films.

Entre temps, Edward nous délivre une première réalisation, Au nom d’Anna, parue en 2000. C’est une comédie romantique ou un rabin tombe amoureux de son ancienne amie d’enfance. Malgré un succès commercial dans son pays d’origine, le premier film d’Edward Norton reçoit un accueil mitigé par la presse internationale.

Dix-neuf années plus tard, voilà Edward Norton qui sort un nouveau projet, Brooklyn Affairs, adaptation du livre Motherless Brooklyn.

Le pitch : Un jeune inspecteur guidé par sa soif de vérité

Après lecture de son interview dans Première, j’ai commencé à saisir qui se cache derrière Edward Norton. J’estime qu’il a une certaine carrure d’auteur. Par là, je veux dire qu’il lit, qu’il réfléchit, et qu’après avoir accumulé de l’expérience dans le cinéma, Edward Norton acquiert une vision des choses qu’il va essayer de transmettre. En réalité, notre apprenti auteur a sympathisé avec Motherless Brooklyn dès les années 90, puisque l’auteur original est un ami à lui. Marqué par la lecture et le style d’écriture, il pense à une adaptation. Encore jeune à cette époque, inexpérimenté, mais passionné par le cinéma, il va préférer jouer dans les films des réalisateurs qu’il admire. C’est en lisant l’interview que l’on comprend qu’il va interpréter le livre dans un film. Une adaptation est un exercice de style très personnel qui appelle à l’interprétation et l’imagination du réalisateur. C’est la façon de voir un livre par une personne.

Revenons donc au synopsis. Le détective Lionel voit son grand ami et patron mourir devant ses yeux…Hélas, il n’a pas réussi à rattraper les tueurs. Guidé par sa soif de vérité, ce jeune inspecteur va s’engouffrer au cœur des quartiers new-yorkais pour trouver le fin mot de cette histoire. Un petit détail cloche tout de même chez lui…le syndrome de la Tourette ne viendra pas faciliter son enquête.

Un inspecteur imprévisible génialement interprété

Voilà le pitch du film. Il est original grâce à un point  :  la figure de l’inspecteur. Traditionnellement, les détectives de films (néo)-noirs incarnent l’archétype de l’homme cool, charismatique, qui ne montre jamais ses faiblesses aux autres. Séducteur et sûr de lui, il entreprend sans problèmes. Dans l’interview que j’ai cité plus haut, Edward rappelle à juste titre cela. Brooklyn Affairs montre l’inverse en quelque sorte.

Notre inspecteur se tape la honte devant les gens, il jure, est impoli, n’a pas confiance en lui…il est plein de défauts en somme, mais le caractère intéressant se trouve ici. Montrer un détective de ce type, c’est très rare. Comment Lionel va-t-il résoudre son enquête ? Comment gérer les relations avec les autres ? Le personnage incarné par Edward Norton est surprenant et riche. Sa maladie va être incarné à travers une dualité. Très souvent, Lionel aura un comportement dans la norme, mais il va être pris au dépourvu de tics et d’insultes. Il lutte contre lui-même, il essaye de se tenir, parfois en vain. Norton montre la tout ses talents d’acteur, car il passe du tic hilarant au personnage sérieux à la volée, et ce tout le long du film ! Pouvoir changer ses mimiques, ses expressions, sa façon de faire, de façon si spontanée, duale et immédiate, c’est ce que j’appelle du talent. Nul doute pour moi qu’Edward Norton délivre l’une des performances de l’année. Son caractère acteur et réalisateur ne fait que renforcer la personnalité de Lionel. Il vit son personnage, qui va traverser plusieurs épreuves et sentiments. En clair, tout le long du film, Lionel surprend, on apprend progressivement à le connaître.

Edward Norton a donc interprété le personnage de Lionel selon la façon dont il l’imaginait dans le roman. Le même procédé se trouve appliqué pour le cadre de l’histoire. Le livre principal situe son intrigue dans les années 90. Notre réalisateur a choisi les années 50, pour tout son aspect rétro. Concrètement dans le film, Norton utilise une imagerie typique des histoires de détective de l’époque.

Jusqu’à présent, j’ai centré mon texte sur Edward Norton et son personnage. Le roman aussi se concentre sur les pérégrinations de son détective. Pourtant, le film n’est pas sur la vie de son héros. C’est un film qui, à travers les nombreux déplacements de ses personnages, nous fait voyager. De la ruelle nocturne, aux bureaux de cadres, en passant par le club de jazz, c’est plusieurs acteurs et intrigues que l’histoire entremêlent. La force du film est de rester clair. Il ne tombe jamais dans la complexité inutile tout en maintenant une intrigue dense.

Le bilan : une agréable surprise

Est-ce que tout ce que je vous ai dit fait néanmoins de Brooklyn Affairs ; et par extension d’Edward Norton, un film d’auteur, par application à ce que j’ai dit plus haut ?

Je pense que non, car Brooklyn Affairs est un film très classique qui reprend tous les codes du genre : le détective qui enquête seul, une femme forte, des meurtres reliés, beaucoup de mystère, du jazz, une imagerie, qui comme je l’ai dit plus haut, renvoie aux films d’époque. Est-ce un problème pour autant ? Je tiens à être clair, je ne veux pas faire de procès d’intention au film pour cela. Ce n’est pas parce qu’un film est classique qu’il est mauvais. En l’occurrence, Brooklyn Affairs est un film d’enquête que je recommande, une agréable surprise. J’ai passé un bon moment.

 

Le Voyage du Prince : un conte philosophique animé 

Carte d’identité du réalisateur

Passons maintenant au Voyage du Prince de Jean-François Laguioinie. Ce Monsieur est l’un des réalisateurs d’animation français les plus anciens et reconnus dans le milieu. Il est actif depuis 1965 ! Il cumule neuf courts métrages et six longs métrages. Il développe un style ou les éléments naturels comme la végétation, la mer, ont une place importante. JF Laguionie a développé un style d’animation très particulier, qui consiste à animer ses personnages en 3D, mais, par un jeu de pastel, donner l’impression d’une 2D peinte. Le résultat, fort en identité, m’a convaincu.

Le Voyage du Prince, suite indirecte de Le château des singes (1999, du même réalisateur, même univers), met en scène un vieux simien (un mammifère primate ndlr), s’échouant sur une île civilisée. Ce dernier n’a pas la culture, le langage et les connaissances des locaux. Un scientifique va vouloir l’étudier, mais le simien lie une amitié avec un jeune garçon et part découvrir la civilisation.

Laguionie est dans le registre du conte philosophique. Avant tout un genre littéraire privilégié par les Lumières (surtout Voltaire et son don pour l’ironie …), le conte philosophique vise à critiquer la société en place pour transmettre des leçons philosophiques.

Le Voyage du Prince emprunte énormément à Rousseau. Je vais me concentrer sur le début du film pour expliquer cela, ainsi que mon avis. Je trouve que les premières minutes sont très représentatives du reste.

Une immersion manquée dans les différences de langage

Le film commence avec le simien qui s’échoue sur la plage. Il rencontre directement le jeune garçon, bien habillé, qui vient de la forêt. Dès le début s’instaure une dualité. L’un vient échouer de l’océan, l’autre d’une forêt. Les deux ne parlent pas la même langue, n’ont pas la même culture, et pourtant, ils vont tout de suite se comprendre. Le film cherche donc à montrer ce qui peut être universel chez les être humains, malgré des différences. Le langage va être au cœur du film, or je trouve que ce thème est mal amené. Au niveau de l’audio, les personnages parlent tous la même langue. Pourtant, ils disent ne pas comprendre l’autre. L’immersion est totalement cassée, il est dit au spectateur que les langages ne sont pas les mêmes pourtant ce dernier entend la même chose. J’ai eu beaucoup de mal avec cela, c’est le principal reproche que j’ai à faire au film.

état de nature vs civilisation

Au début du film, la nature règne en maitre. Les couleurs chères au réalisateur envahissent l’écran. Le bleu, le beige, ces couleurs douces vont accompagner tout le film. Elles sont agréables et reposantes, le film diffuse bien cette idée d’une nature ou il fait bon vivre. Au contraire, le réalisateur dénonce l’urbanisation croissante qui détruit la nature. Le film est traversé par cette dualité, état de nature vs civilisation. Les scientifiques, d’abord présenté comme ceux qui amènent le progrès, sont dénoncés comme ceux qui détruisent la nature avec leurs expériences. Cette dualité s’incarne par tous ces bâtiments, plantés en plein milieu de la forêt, qui progressivement se font enraciner.

Le bilan : un film au beau message

Le ton envers le progrès est très technique, le film montre clairement qu’il y’en a trop eu. La conséquence de cela est la cupidité des simiens. Ils pensent détenir la vérité, ils agissent comme des dominateurs qui oublient leur propre nature. Le personnage anthropomorphique donne un caractère encore plus fort à ce message. Le procédé qui consiste à utiliser un personnage extérieur, en décalage avec la réalité dans laquelle il se trouve, bien que classique, est ici judicieux. Au final, le film se finit sur une note optimiste, une croyance dans l’avenir. Peut-être qu’en se rapprochant de la nature, qu’en niant une partie du progrès, la vie deviendrait plus authentique.

Une vie cachée (Terrence Malick).

Biographie

Terrence Malick est un réalisateur américain majeur. Le seul élément que je retiens d’important dans sa vie pour sa filmographie, est son éducation chrétienne. C’est un fils d’immigré assyriens. Avant de réaliser des films, Malick écrit des scripts. Ce n’est pas anodin, car notre réalisateur a écrit tous les films qu’il réalise. Il se fait remarquer pour deux films : La Balade sauvage (1973) et Les moissons du ciel (1978). Les deux films parlent de couples touchés par des drames, un thème important pour le réalisateur. Son film La ligne rouge (1998), sorti vingt ans plus tard (c’est la durée la plus longue entre deux productions dans l’histoire du cinéma !) plonge le spectateur dans l’intimité des soldats avec une voix-off intérieure. C’est une des composantes majeures du cinéma de Malick, amener le spectateur au plus près des personnages via la voix-off. Le réalisateur continue d’expérimenter à partir de 2010, avec The Tree Of Life ou la religion devient l’un des sujets majeurs de ses films. Les introspections et prières en voix-off, les regards tournés vers le ciel, la photographie travaillée, les paysages, les drames amoureux, la guerre, voilà le style de Malick. Une Vie cachée semble être en totale continuité. Le film met en scène un soldat autrichien qui refuse de prêter serment à Hitler. Les conséquences vont s’enchainer….

Pas de pique-nique gratuit dans la nature

Le film s’ouvre sur les gens qui travaillent dans les montagnes d’Autriche. Dès le départ, Malick semble vouloir nous montrer un film qui veut jouer la carte de la contemplation. Le contemplatif au cinéma, c’est un moment posé, calme, propice à la sérénité et à l’émerveillement. Plusieurs techniques sont au service de la contemplation, comme le plan séquence, le plan fixe, ou les lents mouvements de caméra. La photographie, notamment, est très importante et renvoie à tout le travail fait en amont sur l’image. Cette dernière est le grand point fort du film, c’est même son intérêt principal. L’action de contempler est associée à la lenteur et au calme. Dès que Malick montre les montagnes et les paysages du pays c’est bluffant. Tout un travail avec le soleil et les lumières (qui est aussi symbolique) est réalisé en amont. J’aime beaucoup aussi les courtes focales qui permettent de montrer au plus près les corps qui travaillent, qui labourent la terre, qui sont fatigués. Comme on dit, « il n’y a pas de pique-nique gratuit dans la nature », mais ces corps, de par la photographie des champs, en deviennent beau. Le film arrive à saisir du dynamisme. Il déborde de vie. Clairement sur la partie esthétique c’est très solide et rien que pour cette photographie ça vaut le coup d’y aller

Un montage trop rapide pour réellement contempler

En revanche le film devient lourd car il tombe dans certains travers de réalisation qui aurait pu très facilement éviter. En général (et surtout à certains moments) le film ne prend pas son temps sur la contemplation, alors même qu’il assume au début un côté très lent et contemplatif ! Il y’a une tension, entre le montage qui est trop rapide et les moments ou le film veut poser quelque chose. Pourtant Malick est prolifique dans ses idées de mise en scène. Lors de certains moments, il passe en vue subjective. Mais ces passages sont beaucoup trop courts. Du coup c’est un résultat frustrant parce qu’à des moments j’aurais bien aimé que ça dure plus. Par exemple, vers la fin, il y a un plan séquence. Sauf qu’au moment ou je commence à m’immerger dedans, ce dernier se coupe. Il doit durer une trentaine de secondes, ce qui est très court. Or un plan séquence tire son efficacité de par la pertinence du contexte (ce qui était le cas ici) et sa capacité à rester dynamique tout en étirant un passage. Au début d’année, le formidable Un grand voyage vers la nuit avait un plan séquence de cinquante minutes ainsi qu’un tas de scènes qui durent pour profiter de la contemplation. Ici, le montage est trop rapide, les plans s’enchainent. Cependant comme je l’ai précisé plus haut, ces qualificatifs sont contraires à la contemplation. Je n’ai jamais eu le temps de me poser, ce qui est un sacré défaut pour un film qui au départ, veut poser une ambiance qu’il va détruire.

Une ambition artistique illisible

Avec cette réalisation paradoxale, à base d’enchaînement de plans et de contemplation, je ne comprends pas l’ambition artistique de Malick. Il y’a beaucoup de moments ou le film bascule presque dans le naturalisme dans son désir de montrer la réalité. Pourtant, les moments ou la musique force à coup de pathos et les dialogues caricaturaux de certains passages nuisent à l’authenticité du film. C’est avec ces scènes qu’à côté, on se retrouve avec des passages intimistes et crédibles. Une citation du film au début pourrait nous éclairer là-dessus. Avant l’ouverture, il est indiqué que le film s’inspire de faits réels. Cette volonté de montrer un réel caché est très cohérent avec le propos final. Mais pour ces raisons, je pense que le pari n’est pas rempli. Pour finir sur le montage, le film incruste par moments des images d’époque. Pourtant je ne trouve pas cela très utile tant elles sont implantées de façon brusques.

Le bilan : presque un grand film

Du coup j’aurais bien aimé que le film dure plus longtemps mais paradoxalement il tourne trop en rond à cause de la narration qui peine à se renouveler. Le film donne assez vite un schéma narratif lassant qu’il va garder jusqu’à la fin. Les scènes se ressemblent trop et se succèdent beaucoup trop vite.

Ensuite le propos, j’ai beaucoup aimé ce dernier et il rattrape la narration assez lourde. J’en dis pas plus pour ne pas divulguer l’intrigue, mais sachez que le film parle d’amour, de trahison, de séparation, du regard des autres, du sacrifice, de la guerre et de façon surprenante mais très bien amenée, la foi. Sur son propos final, le film est assez puissant et touchant. Il montre quelque chose de très intimiste et rarement abordé de cette façon au cinéma. C’est avant que les crédits se lancent, qu’assez bluffé, je compris le sens du titre. Malick fait parler ses convictions les plus profondes et intimes, quitte à ce que beaucoup de monde ne puisse s’identifier.

Je ne reviendrais pas sur les problèmes de langue qui donnent des résultats absurdes et scandaleux. Les deux protagonistes parlent anglais, quelques rares interactions secondaires sont en anglais, sinon toutes les autres répliques de fond sont en allemands non sous-titré. Pour rappel l’intrigue se déroule en Autriche durant la Seconde Guerre mondiale. Malick accuse un problème commercial, je lui laisse le bénéfice du doute en faisant concession de cet aspect.

En tout cas, je recommande le film, parce que voir une si belle photographie, sur grand écran, est un spectacle très rare. Le film est beau, presque émouvant lorsqu’il révèle son propos caché. Tu as bien tenté Malick, tu avais beaucoup d’ambitions, c’est presque un grand film…

 

Amir Naroun