Nouvelle chronique de la nouvelle série ciné de La Manufacture ! Prenez place sur votre fauteuil, le film va commencer… Au programme cette semaine : le premier projet ambitieux d’un jeune réalisateur chinois : Séjours dans les Monts Fuchun !
Gu Xiaogang : un jeune réalisateur ambitieux
Gu Xiaogang est un jeune réalisateur chinois âgé de 29 ans. Je commence le paragraphe avec cette information, car il est très rare, qu’un réalisateur qui n’a jamais tourné de films de fiction, se mettent au cinéma avec un projet de si grande envergure. Aujourd’hui, les jeunes réalisateurs, ce n’est pas commun, j’estime qu’on est dans une période de transition ou des réalisateurs qui ont fait leur preuve par le passé occupent en majorité la scène cinématographique.
En voilà pour cette digression. Gu Xiaogang a fait des études de marketing de la mode. Durant celles-ci, il fut approché par des hindouistes (pour rappel l’hindouisme n’est pas reconnue par la Chine). Très inspiré par ce mode de vie, Gu décide de réaliser un documentaire sur les chinois hindouistes. Ce premier contact avec le cinéma fut une révélation pour le Monsieur. Je cite ce dernier « J’ai donc commencé à apprivoiser le cinéma sans scénario, en observant la vie des autres avec une caméra, par le biais de documentaires. ».
Gu Xiaogang commence déjà à forger sa vision du cinéma : observer lentement la vie des gens…
Lorsqu’une fresque familiale a des allures d’un rouleau peint
Avant de révéler le synopsis du film, je voudrais juste parler d’une autre œuvre du même nom.
Séjour dans les Monts Fuchun est un rouleau peint horizontal de Huang Gongwang, un peintre chinois de la dynastie Yuan, réalisé entre 1348 et 1350. Il représente la longue rivière Fuchun, surplombé par les arbres et les montagnes. Il utilise de l’encre foncé dans le but de mieux marquer les reliefs des montagnes. Un sentiment de calme et de sérénité s’en dégage.
Voici une image du rouleau en question.
Maintenant le film. Je préfère être très court sur le synopsis car ce qui compte c’est le cadre de l’histoire. Gu Xiogang nous plonge dans les chroniques d’une famille chinoise, ou la doyenne, âgée de 70 ans, est gravement affaiblie par une maladie. Quatre frères et leurs enfants, suite à ce drame, vont être confrontés aux problèmes de famille. Au fil des saisons, cette famille va connaitre beaucoup d’histoires…
L’ambition est de raconter une fresque familiale telle que l’on présente un rouleau peint ancestral. Gu Xiaogang va utiliser deux techniques pour cela : le plan-séquence(filmer toute une séquence en un plan) et le travelling(un long mouvement de caméra horizontal qui vise à suivre tout ce qui se passe sur l’écran). Cette intention de présenter la nouvelle Chine comme un rouleau est très bien retranscrite. Le film fait donc le choix de multiplier les scènes qui abusent de ces deux techniques. L’action se déroule entre la ville et la rivière Fuchun. Dès que les personnages se rapprochent de la nature, le film devient un tableau. La caméra s’amuse à plus ou moins rétrécir les personnages, ce qui aboutit sur des passages ou ces derniers sont minuscules par rapport aux montagnes.
D’ailleurs, cette confusion entre la nature et les personnes qui s’y déplacent permet des scènes très surprenantes. Plusieurs fois, la caméra filme deux personnages en hauteur entrain de discuter. Pendant le dialogue, la caméra se déplace progressivement sur le côté, de la nature surgit alors deux personnes, qui étaient cachés. Les nouveaux personnages qui apparaissent à l’écran parlent à leur tour du même sujet mais arrivent à une conclusion différente.
Le film laisse la part belle à la nature. Il a été tourné au fil des saisons durant deux années consécutives. Il n’y a aucun effets numériques moches, le film apparait comme très cohérent et réel car justement il n’a pas été tourné en studio. De ce fait, le long-métrage bénéficie d’un éclairage naturel. C’est donc l’idée d’une beauté, presque pure, qui ressort du visuel. Le film tombe souvent dans la contemplation totale, ou la caméra filme lentement et de façon horizontale, le quotidien des gens proches de la rivière Fuchun. Il en ressort un dynamisme fascinant.
Être aussi abouti visuellement alors que l’on débute dans le cinéma relève pour moi de l’exploit. J’ai essayé d’expliquer en vain comment le film utilise sa technique pour réaliser son ambition. Les mots sont pour moi difficile à trouver, c’est une expérience visuelle qui m’a fait ressentir beaucoup de choses. Il est impossible de retranscrire mon ressenti avec ces termes, c’est un moment qui se vit, qui se ressent derrière l’écran…
Cette photo de la rivière, n’est-ce pas apaisant ?
Filmer les « deux Chine » à travers la famille
Derrière l’exercice de style du film se cache un autre aspect, insoupçonné, qui se marie parfaitement avec son ambition artistique ; c’est le fait de montrer les écarts générationnels.
Ce qui surprend d’abord, c’est que la mise en scène ne montre aucune figures majeures dans ce groupe. L’effet qui en découle est qu’il s’agit bel et bien d’une famille dans son entièreté qui est filmé et non quelques personnages. Sur l’aspect narratif, tous les personnages sont développés correctement, de façon équilibré. Les membres de la famille interagissent tous entre eux, ce qui permet de nuancer leurs réactions face aux problèmes du quotidien. Leurs comportements changent selon la personne devant eux. Il en ressort un résultat réaliste.
La famille déborde de vie. Elle traverser beaucoup d’histoires qui portent sur les projets de vie. Si la doyenne se rapproche de la fin, les quatre frères eux doivent choisir ce qu’ils veulent faire. Ce film, sensible, ne tombe jamais dans le pathos inutile, alors que tant d’éléments auraient pu être traités en forçant grossièrement le trait. Je pense par exemple à l’un des frères qui a décidé de consacrer sa vie à son fils autiste, alors que les autres membres le rejettent. Le film arrive à être touchants en entrecoupant les dialogues de ses personnages pour multiplier les points de vues, c’est delà que provient l’émotion. Montrer les trajectoires parallèles de membres ordinaires d’une famille commune chinoise rappelle très fortement les rouleaux peints d’antan ; ou étaient visibles plusieurs actions en fond.
En définitive, le film montre le décalage entre la jeune générations(des frères) et l’ancienne(leurs parents). La caméra filme leurs craintes. Je cite encore une fois le réalisateur « La Chine va trop vite, il faut donc une caméra patiente ». La jeune génération a grandi dans le confort matériel, dans une société ou tout se transforme trop vite. Elle a abandonné l’art traditionnel chinois pour se porter sur la pop-culture étrangère, notamment japonaise et occidentale. Les parents, au contraire, cherchaient à tout prix à résoudre leurs besoins.
En invitant à la lenteur, en posant une caméra sur la vie de ces gens, Gu Xiaogang veut pointer du doigt ce problème, pour renouer avec la simplicité.
Je n’ai pas vu ce film venir, il était passé plutôt inaperçu. Au final, c’est une claque visuelle, un très grand film dès le début de l’année fait plaisir. Pour finir, c’est le premier film d’une trilogie, la suite portera sur les autres générations !
Amir Naroun