L’association Inter’Agir de Sciences Po Lille propose aux étudiants d’aider de manière ponctuelle l’association Salam les week-ends. Salam apporte un soutien matériel et moral aux migrants bloqués à Calais et à Dunkerque. Fondée en 2003 suite à un ordre gouvernemental qui a entraîné la fermeture d’un centre d’accueil de la Croix-Rouge, l’association est aujourd’hui forte de plus de 200 adhérents. Ces derniers se relaient pour apporter chaque jour nourriture et vêtements aux exilés. Les 16 et 17 novembre dernier, Elsa et Marie-Lou sont allées prêter main forte aux membres de Salam. Leur chemin a croisé celui de l’association Tadamoon, présente pour aider aux distributions mais surtout pour organiser un concert de musique soudanaise. Dans les lignes qui suivent se trouve ainsi l’aperçu d’un week-end rythmé par la musique et l’entraide.
Premier soir. Elsa arrive dans le petit appartement de Salam, près du beffroi illuminé de Calais. Au pas de la porte, il y a déjà Brigitte et son équipe, de l’association Tadamoon, venus tout droit du Mans. Cette association accompagne les demandeurs d’asile dans l’écriture de leur récit et organise des concerts destinés à la communauté exilée soudanaise à travers toute la France. Abdellatif, Ibrahim, Anwar. La plupart d’entre eux sont déjà passés par Calais au cours de leur périple. A présent, reconnaissants de l’aide qu’ils ont reçue, ils souhaitent y retourner pour y donner un coup de main à leur tour. Brigitte est la fondatrice de Tadamoon. Elle était autrefois juriste, avant de tout lâcher après un passage par la jungle de Calais. C’est une femme rigolote, elle fourmille d’histoires et sait créer une atmosphère chaleureuse à partir de rien. C’est très particulier comme moment. Un jeune garçon de 16 ans vient de les rejoindre. En effet, à peine quelques instants plus tôt, lors d’un passage dans les camps, Abdellatif a aperçu de loin un jeune homme. Malgré la distance, il l’a reconnu de suite. Il s’agissait de Cher, son neveu soudanais. Des années s’étaient écoulées depuis la dernière fois qu’ils s’étaient vus au Soudan. “Mon coeur m’a dit que c’était lui”, a t-il dit.
Samedi matin. Marie-Lou rejoint l’équipe. C’est aujourd’hui que nous faisons la rencontre de Yolaine, ou mamie Yolaine, toujours en première ligne à Salam. C’est une icône ici. Elle a les pieds sur terre et ne dit jamais un mot de trop. Sa petite taille ne l’empêche pas de clouer le bec des gars – c’est ainsi qu’on appelle les exilés sur les camps ici – quand ils deviennent trop bruyants. Cela fait bien une dizaine d’années qu’elle se lève tous les matins vers sept heures pour organiser la distribution du petit déjeuner. Peu bavarde mais extrêmement directe, elle se fait appeler “mommy” par les exilés, ce qui en dit long sur son dévouement. De temps en temps, il faut limiter les aliments. Mommy veille au grain, mais cède souvent.
Samedi après-midi. Nous nous rendons au concert soudanais de Tadamoon qui prend place dans une salle prêtée par le Secours Catholique. Les musiciens et la voix de la chanteuse emplissent l’espace de gaieté et de chaleur. La position géographique du Soudan laisse son empreinte sur la musique. Elle est à la frontière de différentes sonorités, mêlant Afrique et Orient. La danse est au rendez-vous. On s’essaye sans trop de succès à un pas d’une région soudanaise qui consiste à sauter en rythme en tapant d’un pied. Dimanche. Nous reprenons la distribution des petits-déjeuners. Les deux camions de Salam vont de camp en camp, la nourriture brinquebalée à l’arrière. Suite au démantèlement de la jungle, les camps n’ont d’autre choix que d’être éparpillés et les exilés sont constamment sur le qui-vive. Ils se regroupent le plus souvent par nationalité. Nous sortons des camions. Des gobelets et un peu d’eau chaude sont également distribués, c’est pour beaucoup la seule occasion de pouvoir se laver. Clic, clac, les tables sont dépliées, les pains, boissons et viennoiseries sont donnés. Des mercis, des sourires, des regards bienveillants ou parfois vides et hagards. Nombre d’entre eux manient l’art du refoulement avec brio, du moins devant nous.
B., l’un des exilés du camp, nous raconte son rêve de partir en Angleterre. “Je veux partir, j’ai déjà essayé plusieurs fois mais à chaque fois, notre bateau s’est retourné, ou a été intercepté. Je veux traverser et faire un métier intellectuel”. Le travail manuel, ce n’est pas son truc. Quand on parle des conditions en France, il nous assure que c’est toujours mieux que de là où il vient. Il cite la Turquie et la Grèce – “le pire en Europe”, dit-il.
Dans les camps, on n’a croisé que très peu de femmes, deux ou trois. Elles sont bien plus vulnérables que les hommes lors des traversées. La plupart ont déjà été harponnées par des réseaux de prostitution bien avant leur arrivée en Europe.
C’est étrange. Face à ces tristes conditions, nous ne nous sentons pas horrifiées ou désespérées. C’est très dur de l’être face à ces sourires.
Mais la honte se niche petit à petit en nous. D’abord, les flics qui ne lâchent pas du lest en ce dimanche ensoleillé et démantèlent systématiquement ce qu’on peut à peine appeler des abris. Puis les barbelés croisés sur la route entre deux camps. On croirait être face à une muraille de rasoirs, scintillants tristement au soleil. Des millions d’euros dépensés pour ces dispositifs, nous dit-on. Tout cela pour ne pas affronter de nouvelles solutions, et enfouir une bombe à retardement sous terre.
Elsa Levy et Marie-Lou Monnier