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Dragon, crise migratoire et chômage : les élections municipales à Calais sous le feu des projecteurs

Lorsque les journalistes de La Voix du Nord assimilent Calais à un des « points chauds » de ces élections municipales 2020, il faut admettre qu’ils n’ont pas tort : cette ville portuaire du Pas-de-Calais s’est retrouvée, en raison de sa situation géographique et de sa proximité avec l’Angleterre, au cœur d’enjeux décisifs.

L’enjeu essentiel est évidemment celui de la crise migratoire : entre 2014 et 2016, de 5 à 10 000 réfugiés ont vécu dans la Jungle, un véritable bidonville, dans lequel les conditions de vie étaient exécrables. Cette crise migratoire a eu pour conséquence une montée historique du vote RN, avec 41,54 % des voix en faveur du parti extrémiste lors des dernières élections européennes.

Comment redynamiser une ville, dont l’image a été extrêmement ternie à l’échelle nationale comme internationale ?

Le chômage y atteint les 27,7 %, un des taux les plus élevés de France, et les industries ferment les unes après les autres, tandis que les touristes ont du mal à revenir en ville, notamment à cause de l’imminence du Brexit. Si Natacha Bouchart, maire sortante (LR-UDI, soutenu par LREM) et candidate à un troisième mandat, mise sur le tourisme, ses principaux opposants la fustigent pour un mauvais emploi des subventions obtenues par l’État. Virginie Quénez, tête de liste d’union de la gauche et des écologistes (PCF-PS-EELV-LFI-Génération.s), estime que la ville « a besoin de respirer », en faisant revenir l’emploi et en mettant l’accent sur la dimension environnementale. Marc-Alexandre de Fleurian, candidat du RN et parachuté à Calais pour les élections, souhaite une meilleure gestion des finances et de la crise migratoire. Néanmoins, ce dernier est affaibli par la présence d’une liste de dissidence RN, menée par Rudy Vercucque. Enfin, d’autres candidats, Françoise Milliot (Lutte Ouvrière) et Laurent Roussel (sans étiquette), affronteront la maire, renforcée par un récent sondage la donnant gagnante dès le premier tour.

Hôtel de ville de Calais

Face à la crise migratoire : quelles solutions ?

Entre 2014 et 2016, la crise migratoire a atteint son apogée à Calais. Environ 5000 réfugiés habitent la Jungle en permanence, nombre qui culmine à presque 10 000 réfugiés juste avant le démantèlement de la Jungle en septembre 2016. Elle s’accompagna de nombreux drames humains, avec plus de 30 décès en ville. Les réfugiés, désespérés, cherchaient alors tous les moyens pour partir au Royaume-Uni : mise en place de barrages sur l’autoroute, intrusion dans le port et au Tunnel sous la Manche (jusqu’à 2000 dans la nuit du 15 juillet 2016), violences dans la Jungle, escarmouches avec les forces de l’ordre. Face à cette crise croissante, l’État se trouve totalement désemparé : il ne fait qu’augmenter le nombre de CRS en ville, hésite à envoyer l’armée, et met en place plus de 100km de barbelés autour des infrastructures portuaires et du Tunnel, avec le soutien financier du gouvernement britannique. Si aujourd’hui, le nombre de réfugiés a considérablement baissé, ils sont encore environ 700 personnes présentes dans la ville.

“La ville est devenue un camp retranché, une ville barbelés qui fait honte aux Calaisiens” selon Virginie Quénez, tête de liste d’union de la gauche et des écologistes

Dans ce cadre, si le maire a peu de marges de manœuvre en matières de pouvoirs de police, la crise migratoire s’est néanmoins imposée dans les enjeux des élections municipales. La situation actuelle a même donné lieu à une vive altercation entre Natacha Bouchart et Virginie Quénez lors du débat des municipales de Calais mené par La Voix du Nord le 11 février. La candidate de l’union de la gauche estime que la ville est devenue « un camp retranché, une ville barbelés qui fait honte aux Calaisiens ». Sa première décision serait d’abattre les murs qui entourent le port, puis de mettre en place un conseil des migrants. Nous serions dans « l’ère du tout répressif », où aucun accueil ni aucun confort n’est assuré aux migrants. Bouchart lui a répondu avoir « géré au mieux cette situation qui ne dépend pas d’un maire ». Si elle est réélue, elle demandera aux autorités compétentes d’interpeller, puis d’expulser, les réfugiés qui entraveraient la circulation sur l’autoroute par le biais de barrages. Enfin, si pour le candidat du Rassemblement National, il n’existe « aucune solution miracle », il estime néanmoins qu’aucun accueil ne doit être établi sur le territoire de la ville pour les réfugiés.

Barbelés à Calais. Crédits: Alan Denney (Foter.com)

Le Dragon de Calais met le feu aux poudres

Pour redynamiser le tourisme en ville, Natacha Bouchart a donc misé sur un Dragon. Cette machine, qui fait plus de 15m de haut et 20m, conçue par la compagnie La Machine de François Delarozière, a été accueillie à Calais du 1er au 3 novembre, durant trois jours de spectacle sous une météo capricieuse. Évidemment, la date n’a pas été choisie par hasard : il a lieu seulement quelques mois avant les élections. Le Dragon se veut être le nouvel emblème de la ville, symbole d’une renaissance après plusieurs années de crise migratoire. L’arrivée du Dragon s’inscrit dans un projet plus global de requalification du front de mer et d’arrivées d’autres machines, des varans et des iguanes, dans les années à venir.

Le dragon de Calais en pleine action

La gauche ne s’est pas opposée au projet, mais estime que la municipalité en place n’a pas bien géré le dossier. Virginie Quénez remet notamment en cause le manque de participation de la population calaisienne au projet. La scène nationale du Channel, basée à Calais, n’a pas été liée au projet. D’ailleurs, durant les trois jours de spectacle, un arrêt anti-migrants a été pris, interdisant la distribution de nourriture aux réfugiés en centre-ville, ce qui a révolté de nombreuses associations sur place, ainsi que la gauche locale.

« Ce dragon nous a coûté 27 millions d’euros, 360€ par Calaisien » écrivait sur une pancarte le candidat RN alors que ce chiffre s’est révélé faux.

Le candidat RN Marc de Fleurian a, pour sa part, mis l’accent sur le coût du projet : il a été vu de maintes fois dans les rues, durant le spectacle, brandissant une pancarte intitulée « Ce dragon nous a coûté 27 millions d’euros, 360€ par Calaisien », et donnant des traits peu avantageux à la maire de Calais. A cela, la maire et les journalistes de La Voix du Nord lui ont rétorqué que ce qu’il avançait était totalement faux : les 27 millions d’euros représentent le coût global du projet, comprenant les autres machines, et abondamment financés par la Région Hauts-de-France, l’État et le Département du Pas-de-Calais, notamment par l’enveloppe d’urgence de 172 millions d’euros débloqués en compensation de la crise migratoire.

Néanmoins, c’est un coût non négligeable, lorsque l’on sait que ces subventions auraient pu être réutilisées au profit de l’emploi, puisque le chômage culmine à 27,7 % dans la ville (contre 13 % dans le Calaisis). Durant les dernières années, les industries ont fermé les unes après les autres, que ce soit l’industrie de la dentelle, l’ex-compagnie de ferrys SeaFrance, ou l’usine Tioxide. Certains candidats, à l’image de Laurent Roussel, souhaitent réorienter la politique de la ville vers l’industrie, grâce à un investissement massif de la collectivité. Natacha Bouchart, quant à elle, reste persuadée que le tourisme sera la voie de développement principale en termes d’emplois dans les années à venir. Avec l’imminence du Brexit, rien n’est moins sûr, même si le départ du Royaume-Uni de l’Union Européenne pourrait en réalité profiter à la ville, notamment avec le retour du duty free.

Les transports en commun gratuits : un premier pas pour l’environnement ?

Pour répondre aux contestations des Gilets Jaunes, Natacha Bouchart annonce la mise en place de la gratuité du réseau de transports en commun de l’agglomération en novembre 2018, mesure effective depuis le 21 décembre dernier. Cette mesure, à laquelle aucun candidat en lice pour la mairie ne s’est opposé, a effectivement eu des effets concrets dans les deux derniers mois : la fréquentation a augmenté en moyenne de 89 %. Pour gérer l’afflux de passagers, l’agglomération s’est dotée de nouveaux bus hybrides, et a créé une nouvelle ligne, desservant les quatre nouvelles communes ayant rejoint l’agglomération en décembre. D’ailleurs, l’agglomération enrichit son réseau de vélos en libre-service, par l’acquisition de vélos électriques.

Si Marc-Alexandre de Fleurian n’a pas de réelles mesures et de critiques à apporter, l’opposition de gauche a néanmoins rétorqué à Bouchart que la gratuité des transports en commun faisait déjà partie de leur programme pour les élections municipales de 2014. Enfin, Virginie Quénez a critiqué la rareté des pistes cyclables et des voies douces en ville, rappelant la très mauvaise place obtenue par la ville au Baromètre des villes cyclables (51e sur 69 en France). Elle souhaite développer ce réseau, l’inscrivant dans un projet plus global en faveur de l’environnement, notamment avec la plantation de 20 000 arbres et de la création d’un véritable parc en ville.

A quelques semaines des élections municipales, les sondages sont sans appel : Natacha Bouchart serait réélue dès le premier tour avec 56 % des suffrages. Viennent ensuite Virginie Quénez (25 % des voix) et Marc-Alexandre de Fleurian (12 % des voix). Les autres candidats, à savoir Rudy Vercucque (dissident RN), Laurent Roussel (ex-PCF), Pierre Taverne (sans étiquette) et Françoise Milliot (Lutte Ouvrière), ne dépassent pas 4 % des voix. Si l’opposition de gauche espère arracher un second tour à Natacha Bouchart, la tâche paraît donc ardue pour lui ravir le beffroi.

Théo Delattre