Au lendemain du 1er tour des municipales à Lille et alors que la tenue du second tour la semaine prochaine semble être de plus en plus incertaine, la Manufacture a interrogé Victor Lepère, membre de la liste Lille Verte 2020, portée par Stéphane Baly, arrivé second derrière Martine Aubry.
Comment jugez-vous les résultats de ce soir ? [15 mars 2020]
Comme l’a déclaré Stéphane Baly, et c’est le son de cloche de tous les militants et de tous colistiers, la crise sanitaire qui touche la France a évidemment biaisé les résultats du 1er tour. C’est dur de voir que beaucoup de Lillois et de Lilloises ont finalement refusé de voter par précaution et à cause d’une certaine peur. Il y a eu tout de même un certain fouillis dans cette élection, où l’on ne savait pas ce qui allait se passer. On s’interroge sur la possibilité que se tienne le second tour des élections dimanche prochain.
La première chose que l’on a envie de faire est de remercier grandement les Lilloises et les Lillois qui ont pu se déplacer, qui ont fait le choix de faire valoir un vote. Dans ce contexte inédit, le score de la liste d’alliance écologiste au premier tour est un score inédit pour notre ville, autour de 25 %, ça n’a jamais été fait. Aujourd’hui Stéphane Baly a réussi à allier autour de lui, autour de sa candidature, l’alliance de cinq partis, cinq mouvements écologistes qui ont su porter des valeurs que visiblement la plupart, ou en tout cas une grande partie, des Lilloises et des Lillois partagent. Cette réussite montre une chose : il faut changer le logiciel d’action publique, il faut changer la façon de voir les choses et il faut surtout changer la façon de faire de la politique au niveau municipal et local.
On est conscient qu’il sera difficile de changer le système, parce que l’on arrive que deuxième, et évidemment tout est encore à jouer. Mais aujourd’hui, on voit bien qu’il y a une volonté de transformation écologique au niveau local, qui se confirme au cours des années et des mois. Les françaises et les français ont beaucoup plus envie de faire changer les choses qu’auparavant.
Dans l’hypothèse d’un maintien du 2nd tour, est-ce que du côté de la liste de Stéphane Baly, il y aurait une volonté d’alliance à gauche avec par exemple Julien Poix, la tête de liste LFI qui n’a pas dépassé les 10 % pour se maintenir au 2nd tour ? Ou même avec la liste PS pour une majorité comme lors du précédent mandat ?
Pour le moment la situation dans laquelle se trouve le pays ne permet pas de se projeter sereinement vers un second tour. Il y a trop d’inconnues, trop d’hypothèses, donc pour le moment on ne préfère pas se projeter. Avec Julien Poix qui fait un score relativement fort pour une première élection de La France Insoumise au niveau local lillois, il y a énormément de négociations et de possibilités. Toutefois aujourd’hui, on remarque que les habitants de Lille ont fait le choix de mettre en avant une vraie volonté de créer une alternative écologiste à Lille. Aujourd’hui Stéphane Baly représente une figure forte, une figure d’avenir qui porte un projet qui parle aux Lillois. Maintenant, ce qui va être important à suivre dans les prochains jours, c’est évidemment la question du maintien du 2nd tour par l’exécutif, ou s’il va être décalé. Pour nous, ce qui importe avant tout est de penser santé publique et principe de précaution. On ne peut pas faire comme on souhaite et faire n’importe quoi avec la santé des gens.
“Avec Julien Poix, il y a énormément de négociations et de possibilités”
Aujourd’hui le 1er tour s’est très bien passé, et on remercie évidemment toutes les composantes d’organisation de ce 1er tour : les assesseurs, les présidents de bureau, les bénévoles, les agents municipaux qui ont tout fait pour mettre en place le matériel et garantir la sécurité et la santé des Lillois. Comme vous pouvez vous en douter ça va être compliqué de parler sereinement du 2nd tour, parce nous pour l’instant ce qui nous importe c’est de répondre de la meilleure façon à la crise qui s’annonce. Une chose est sûre, c’est qu’aujourd’hui Stéphane Baly représente l’alternative à Lille, et aujourd’hui il détient plus que jamais les clés de l’élection. Ce n’est plus Martine Aubry du haut de son beffroi, ni même la droite qui aujourd’hui [dimanche] s’est effondrée à Lille, qui tient les rênes mais c’est bien l’écologie politique et le choix d’une transformation sociale et écologique à Lille.
Vous êtes donc plutôt dans la même optique que Yannick Jadot ce soir qui dit que dans les conditions actuelles le « Le 2e tour ne peut plus être tenu » ?
Il va être compliqué dans ces conditions de tenir un 2nd tour de municipales. Même si de nombreuses mesures ont été prises aujourd’hui pour assurer la bonne tenue de ce 1er tour, on sait bien que ces efforts sont minimes compte tenu de l’ampleur de l’épidémie qui nous touche. Je pense qu’au-delà de la ligne que porte Yannick Jadot, en tant que militant Génération.s dans l’alliance Lille Verte 2020, on ne peut qu’affirmer ce que dit Yannick Jadot pour EELV, mais que dit également par exemple Guillaume Balas, qui est coordinateur national pour Génération.s, et beaucoup de partis et de mouvement français : la volonté de reporter le 2nd tour pour permettre dans un premier temps de gérer la crise sanitaire et dans un second temps d’envisager sereinement un 2nd tour. Le 1er tour s’est passé en quelque sorte de façon forcée, on a su s’adapter et apporter des solutions viables. Maintenant c’est à nous d’en tirer les conséquences. On a vu que dans une situation où le Premier Ministre la veille a annoncé la fermeture de nombreux commerces, la prochaine étape est le confinement total. La question qui se pose est si le confinement est annoncé ce soir [hier] ou demain soir [aujourd’hui], quid de la campagne d’entre-deux tours ? Comment on fait ? Qu’est-ce qu’il se passe ? C’est comme si on votait une fois le dimanche et une fois le lundi, sans campagne autre que peut être numérique mais qui ne vaudrait pas grand-chose comparée à ce qui aurait pu être une vraie campagne d’entre-deux-tours, avec des forces politiques réajustées et rééquilibrées. Je pense que le plus logique serait de reporter le 2nd tour, et suivre la volonté de la grande majorité des mouvements politiques français.
Comment expliquez vous les résultats en très nette baisse de la droite par rapport à 2014, où notamment le Front National avait fait plus de 18 % au 2nd tour ?
Si je peux me permettre une analyse sur plusieurs plans, d’abord il faut noter que les citoyens commencent au niveau local à ne pas être dupes, et les années passants ils se rendent compte que LREM représente une façon libérale de faire de la politique, comme a pu faire l’UMP ou les Républicains aujourd’hui. On a une porosité entre les électeurs LR et les électeurs LREM, et on a un déchirement électoral entre les deux candidats. On voit également que Marc-Philippe Daubresse a été complètement asséché en termes de votes par Violette Spillebout, ce n’est pas rien, mais c’est aussi le problème du parachutage.
M. Daubresse remarque que l’on ne peut pas débarquer à Lille comme ça et se targuer de vouloir devenir maire de Lille alors qu’on a été maire de Lambersart pendant plusieurs années. C’est d’un illogisme terrible, aujourd’hui sa désillusion doit l’être tout autant, mais c’est aussi un retour à la réalité pour une personne qui visiblement se faisait de faux espoirs. La droite pour moi c’est également LREM qui aujourd’hui par des politiques libérales au niveau de l’exécutif national, fait un score qui était annoncé, avec l’appui des nouveaux électeurs venant de centre-droit. Je pense que si Mme. Spillebout avait été un peu plus honnête sur les positions écologiques qu’elle porte et sur la cohérence qu’elle apporte à son programme, ou plutôt entre son programme et ce que peut porter le parti qui la soutient, je ne pense pas qu’elle serait à ce niveau-là. Je pense qu’elle a peut-être dupé les Lillois. Maintenant c’est tout, elle fait un score mais elle reste en minorité par rapport à la gauche en général à Lille, qui reste quand même très forte, en convient le score des écologistes.
“Tenter de parachuter des candidats inconnus du grand public dans des villes telles que Lille, avec un programme mal-ficelé, sécuritaire, autoritaire, ça ne fonctionne pas. La priorité des gens aujourd’hui c’est l’écologie, qui a fait bonne place dans la campagne”
Mme. Spillebout a voulu faire une campagne sur l’écologie, et on a vu que l’écologie gagnante aujourd’hui est la liste de Stéphane Baly. Il vaut mieux toujours privilégier l’original à la copie, et c’est ce qu’on ne cesse de répéter. Aujourd’hui, qui se montre comme la seule véritable alternative ? C’est Stéphane Baly à Lille. L’écologie, elle est sur une seule liste, c’est celle de Lille Verte 2020. Enfin, si je peux terminer cette analyse de la droite à Lille, par rapport au Rassemblement National, aujourd’hui il ne fait pas d’émules car le Rassemblement National continue de capitaliser au niveau national sur des têtes d’affiches projetées avec Marine Le Pen, c’est encore une fois elle qui porte ce mouvement à bout de bras par des idéologies xénophobes, racistes et anti-démocratiques. C’est juste un rappel à la réalité pour des candidats qui pensaient pouvoir capitaliser sur son image. Le Rassemblement National n’est pas implanté. Certes des communes ont vu des candidats RN monter haut comme à Perpignan, mais il ne faut pas être dupes.
Aujourd’hui tenter de parachuter des candidats inconnus du grand public dans des villes telles que Lille, avec un programme mal-ficelé, sécuritaire, autoritaire, ça ne fonctionne pas. La priorité des gens aujourd’hui c’est l’écologie, qui a fait bonne place dans la campagne. Nous avons forcé beaucoup de mouvements et de partis à orienter leurs questions et leurs programmes sur le thème de l’écologie. Notre programme était basé dès le début sur l’écologie et sur la justice sociale et ça a porté ses fruits. Maintenant Lille est une ville multiculturelle pleine de projets et d’espoir, et on voit bien qu’aujourd’hui la droite française et l’extrême-droite française ne portent pas ces idéaux, et que Lille peut être un parfait incubateur pour la renaissance du mouvement à gauche et de la gauche écologiste en France.
Comment jugez vous le retour en force de la gauche à Lille entre les élections de 2014 et celles de 2020 ?
Je pense que c’est aussi par la diversité des projets qui ont été proposés. De mon humble avis, on a vu que de trois gros projets se sont déterminés durant cette campagne, à gauche, ceux de Julien Poix (LFI), de Stéphane Baly (EELV-Génération.s) et de Martine Aubry (PS), qui sont tous de partis à gauche selon l’échiquier politique. Martine Aubry a fait valoir son expérience, son bilan et aussi sa réputation à Lille.
Aujourd’hui Stéphane Baly, que beaucoup annonçait comme un outsider, se présente comme une véritable alternative puisque son projet écologiste s’est montré assez fort pour aller titiller Martine Aubry en plus haut lieu, et on a eu des résultats malgré le contexte particulier et inédit, qui faisaient sens. Après je pense que c’est aussi le changement climatique et les thématiques autour de l’écologie et de la justice sociale qui commencent à émerger dans le climat politique. Ce sont des thèmes qui intéressent de plus en plus les français et c’est logique qu’avec le temps les mouvements et les partis qui défendent des programmes autour de ces thématiques facent des campagnes couronnées de succès ; qui font écho dans la population. Si Stéphane Baly avait fait un programme écologique et que ça n’avait parlé à personne, il serait bien plus bas et c’est logique. Aujourd’hui on parle bien plus d’écologie, avec les mouvements autour de Greta Thunberg, autour des manifestations écolos, et c’est logique que des personnes qui proposent de vraies alternatives à gauche, écologistes comme Stéphane Baly, se retrouvent aussi forts.
Maintenant tout dépend de la vision des gens, mais cela montre aussi que ça ne fonctionne plus de jouer sur l’aspect sécuritaire comme l’ont pu faire de nombreuses personnes. Preuve en est la volonté locale d’écologie de LREM : au niveau national leur action est assez remarquable en termes d’inefficacité et d’inaction pour la planète ; au niveau local on tente de jouer la carte de cacher les logos et de mette du vert sur les affiches, mais ça ne fonctionne pas car ils n’ont pas la volonté ni même les valeurs autour de ces thématiques. Donc c’est logique que les faux programmes écologiques se cassent la tête sur la réalité électorale. La gauche se revitalise et je pense que dans plein d’endroits en France, l’exemple de la gauche écologiste qui se revitalise est vrai. A Lyon par exemple un candidat écologiste arrive en tête, à Bordeaux une union de gauche écologiste et de justice sociale arrive en tête. Tout cela montre une vraie volonté de la population de se retrouver autour de programmes un peu plus porteurs d’espoirs et qui arrêtent de tirer la sonnette d’alarme en terme sécuritaire. Arrêtons les programmes anxiogènes, auxquels on a eu le droit pendant des années, et portons un peu d’espoir. Je pense que cela se joue aussi beaucoup là-dessus.
Une dernière question pour finir, dans l’hypothèse d’un 2nd tour maintenu dimanche prochain, est-ce que vous avez bon espoir de voir la liste de Stéphane Baly remporter la mairie ?
Dans l’hypothèse, toutes les espérances sont permises. Comme nous l’avons toujours dit, nous voulons porter le premier maire écologiste à la tête de la ville, et nous avons eu la confirmation, malgré le contexte inédit, que la volonté à Lille de voir un maire écologiste à la tête du beffroi peut être une réalité dans une semaine si le second tour se tient.
Propos recueillis par Hugo Jumelin