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Valse avec le cinéma #7: Quand passent les cigognes

En cette période de confinement, Valse avec le cinéma se propose de vous faire découvrir un film par jour, qu’importe l’époque, le genre et la nationalité. Chaque jour, je vous proposerai un de mes films favoris, en m’efforçant de varier. Cultivons ensemble notre goût pour la découverte et la culture cinématographique ! Aujourd’hui : Quand passent les cigognes. 

Un film qui marque un tournant dans l’histoire

Prenons quelques instants afin d’évoquer l’histoire du cinéma et l’histoire politique de l’URSS, je vous promets cela sera très rapide ! Bien sûr je serai extrêmement bref donc je n’ai pas la prétention de résumer plusieurs décennies extrêmement riches et complexes.

Le cinéma soviétique, après des années d’avant-garde et de prouesses artistiques, fait son tournant idéologique à partir de 1929. Le régime stalinien s’empare de l’industrie cinématographique pour codifier un contenu politique qui vise à glorifier le régime, autant pour ses politiques agricoles que pour la glorification de la guerre. Très puritain également, le PCUS, le NKVD et Staline n’hésite pas à censurer des films qui ne seraient pas « politiquement corrects ». Concrètement, le cinéma soviétique perd en attrait car la production est très pauvre. Cette époque est nommée l’Epokha malokartinia. Néanmoins à partir de la mort de Staline en 1953, le cinéma soviétique rentre aussi dans une période de dégel. Le cinéma commence à se défaire de son réalisme soviétique.

Une histoire d’amour déchirante

Quand passent les cigognes est un film de Mikhaïl Kalatozov, sorti en 1957. Il raconte l’histoire de Veronika, qui attend le retour de son fiancé Boris, parti combattre au front, durant la Seconde Guerre mondiale. L’un subit la guerre au front, l’autre du côté des civils. C’est le premier film soviétique qui s’attarde à montrer la guerre comme un drame humain. Pour la première fois, les soviet vont voir à l’écran des familles et civils blessés et heurtés par la guerre. Le film remporte la Palme d’Or à Cannes en 1958, marquant le début d’une nouvelle ère dans le cinéma soviétique et mondial. En définitive, il s’agit d’un des plus grands classiques du cinéma soviétique et du film de guerre en général.

Quand passent les cigognes est avant tout une histoire d’amour déchirante, la peur de perdre un être proche et aimée, thème universel, est le propos principal du film. Pour être aussi beau, le film se permet d’enchainer des scènes magnifiques et lyriques, ou les sentiments sont exaltés. L’espoir de revoir son amour se mêle à la crainte de le perdre. Le rêve d’un mariage heureux s’oppose à un cauchemar seul. L’amour, la vie et la mort se confondent sans cesse grâce à un montage qui n’arrête pas d’alterner ces différents registres. Néanmoins ici pas de discours lyriques et shakespearien, le film s’attarde à nous émouvoir en montrant les sentiments bruts. Il en ressort un film immersif, ou, le spectateur, ému, ressent les émotions des personnages.

 

Un film très riche formellement pour un résultat émotionnellement fort

Pour faire simple, Kalazatov et son chef opérateur Ouroussevski sont des virtuoses du cinéma. Ils livrent un film qui ne cesse de se réinventer, en multipliant les techniques cinématographiques, certaines relevant de la prouesse technique. Par exemple, au début du film, le personnage de Boris monte des escaliers pour retrouver sa bien-aimée. Pour filmer cet acte, s’est suspendu a une nacelle qui, attaché à un cable, le fait remonter, ce qui lui permet de capter tous les mouvements de l’acteur, tout en montant et tournant sur lui-même. Globalement, le film va alterner le montage et le plan séquence selon l’effet recherché. Par moments, il va chercher l’onirisme en faisant un montage flou, qui va superposer deux images, comme si le rêve heureux se mélangeait à la dure réalité. D’autre fois, le film va accélérer le montage, pour donner un rythme frénétique, afin de susciter le stress et montrer l’inquiétude de ses personnages. Enfin, l’action va parfois durer via un long plan, pour prolonger l’action, toujours dans un cadre pertinent. Toute cette cinématographie n’est la que pour se concentrer sur la protagoniste et ses émotions. Tatiana Samoïlova est absolument sublime. Très bien dirigée, la caméra n’hésite pas à faire des plans rapprochés sur son visage. Émotions brutes et ressenti intérieur ressortent de cette fabuleuse actrice, elle n’a pas besoin de parler, elle n’a pas besoin de longues répliques, simplement des images et son visage.

Les mots techniques que je tiens dévoilent en fait un film simple, qui ne cherche jamais à se compliquer inutilement. Il est juste beau dans tous ses instants. C’est d’une virtuosité rare.

Amir Naroun