Ce mardi soir se déroulait le premier débat présidentiel entre Joe Biden et Donald Trump dans l’État clé de l’Ohio, qui s’était tournée en 2016 vers le candidat républicain. Premier débat mais peut-être aussi le dernier de la série selon plusieurs consultants Outre-Atlantique, la faiblesse des sujets politiques et le sentiment de perte de contrôle ayant choqué l’ensemble du pays. Retour sur ces 90 minutes chaotiques suivies en direct sur CNN, pour La Manufacture.
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Chaos debout
Réveil difficile pour l’Oncle Sam. En cause, le réunion de famille tragi-comique de la veille à Cleveland, Ohio. Réunion en petit comité puisque seuls l’Oncle Donald et Papi Joe y ont pris part, pour la première fois face à face avant le verdict de novembre. Et à quelques mètres d’une clinique transformée pour l’occasion, la discussion sur le système de santé n’a pas fait long feu. Les autres sujets politiques non plus. Les deux septuagénaires se sont bastonnés pendant six round. Chaos. Debout.
KO comme Chris Wallace, pourtant un médiateur expérimenté de la conservatrice chaîne Fox News, qui eût toutes les peines du monde à faire respecter les règles du grand débat familial.
KO comme les Américains, qui au fond de leur canapé n’ont pas appris grand chose hier – si ce n’est que l’abysse politique dans laquelle ils se trouvent ne cesse de s’enfoncer.
KO, aucun candidat ne l’a été finalement, même si les coups – dans le vide – furent échangés avec une rare violence. Sans retenue ni décence – même si on a pris l’habitude de ne plus les croiser aux repas de famille depuis quatre ans.
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“Presque tout ce qu’a dit le Président en exercice hier soir était faux”
90 minutes d’échanges donc, qui ne furent que règlements de comptes, guerres d’héritages, injonctions éhontées et dérapages incontrôlés. La grande famille de l’Oncle Sam ne parle plus ce matin que des attaques contre feu Beau Biden, soldat exemplaire, et son frère Hunter – dont les accusations de millions reçus de Moscou semblent bien légères.
En parlant de légèreté, il n’y en eut point, à l’exception des grands éclats de rire de Joe face aux pitreries de l’Oncle raciste debout en face de lui. Car le reste fut terne, obscur parfois.
Pour parler du contenu – médiocre – du débat, quand même, on retiendra les couacs de Donald, en premier lieu son incapacité à condamner les groupes suprémacistes blancs, largement interprétée comme une grâce présidentielle. Suivie quelques minutes plus tard par un refus de demander une transition politique calme en cas de défaite mi-novembre. À retenir également le fact-checking de Daniel Dale, CNN : presque tout ce qu’a dit le Président en exercice hier soir était faux, des bilans humains du Covid sur le sol américain aux montants payés en impôts sur le revenu, en passant par le soutien – absurde – de nombreux gouverneurs démocrates.
En face, Joe a peiné à faire mieux, même s’il peut se réjouir de ne pas avoir fait pire. Deux premiers actes décousus, aux lapsus et phrases sans fin, et une impression étrange de savoir factice comme un enfant récitant des chiffres ingérés. Joe l’habituel gaffeur fut fluide parfois, déconcentré souvent – par son bruyant et impoli camarade.
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“Mais vas-tu la fermer ?” Joe Biden à Donald Trump
Pourtant, dans ce marasme politique aux accents de The Apprentice – merci Donald, on aperçut chez Joe un soupçon d’humanité, largement effacée par les performances respectives de brute et de robot. On aperçut Joe inhabituellement frustré – « Will you shut up, man » (“Mais vas-tu la fermer ?”) – mais aussi ému, lorsque l’Oncle raciste devînt vicieux et encore plus abject, attaquant ad personam son fils Hunter déjà au centre de l’attention lors du Ukrain-gate. On aperçut également la très claire, et presque convaincante, stratégie du démocrate – s’adresser aux Américains, face caméra, pour contraster tant bien que mal avec un voisin en boucle depuis quatre ans. Car si la sensibilité écologique de Donald est inexistante, impossible de remettre en question sa pratique du recyclage – politique. Même discours, mêmes attaques. Même rhétorique. Il ne manquait hier soir qu’Hillary. Et une histoire de boîtes mail à répéter.
Un triste spectacle et une politique absente. Soixante ans après le premier débat télévisé opposant JFK à Nixon, la bienséance de la démocratie américaine a définitivement disparu hier soir, enterrée par un Président rêvant des pleins pouvoirs. Outre-Atlantique, l’heure est désormais à la prière pour que le régime démocratique ne soit pas enterré lui non plus, dans un mois.
Romain Cauliez
En bonus, quelques citations marquantes du débat dans l’ordre chronologique :
[Trump] « Nous avons gagné les élections et nous avons le droit de le faire [nominer une nouvelle juge]. Je ne suis pas élu pour trois ans »
[Biden] « Le vote a déjà commencé. Des dizaines de milliers de personnes ont déjà voté [par courrier]. Nous devons écouter leur voix »
[Biden] « Tout ce qui est dit ce soir est un mensonge. Trump est un menteur et tout le monde le sait »
[Biden] « Trump n’a jamais eu de plan, et n’en a toujours pas. Il doit sortir de son terrain de golf, rejoindre le Bureau Ovale, et sauver des vies »
[Trump] « Oublie le mot ‘intelligent’ Joe, tu as été diplômé dernier de ton université »
[Trump] « Je ne suis pas comme lui, je ne porte pas un immense masque dès que je sors »
[Trump] « Nous avons construit la meilleure économie de l’Histoire, et nous avons dû l’arrêter à cause de la peste chinoise »
[Trump] « Comme tout particulier, sauf si vous êtes stupides, je flirte avec le loi pour les impôts »
[Biden] « C’est compliqué de placer un mot face à ce clown »
[Biden] « Trump ne connaît pas les banlieues, sauf quand il se trompe de métro »
[Biden] « Il ne veut pas calmer les choses, il déverse de l’essence encore et encore »
[Trump] « Est-ce vraiment des marches pacifiques quand les gens brûlent des villes et tuent des gens ? »
[Trump] « Nous avons payé des millions de dollars [pour des cours de sensibilisation au racisme] pour apprendre des mauvaises choses, d’une révolution radicale »
[Trump] « Aucun Président a autant fait que moi en trois mois. S’il n’y avait pas eu le Covid, nous aurions eu l’unité dans le pays »
[Biden] « Les milliardaires sont de plus en plus riches, mais vous [les téléspectateurs] n’avez pas vécu ça »
[Biden] « Mon fils [Beau Biden, soldat, décédé depuis] en Irak, n’était pas comme vous le dites un loser »
[Trump] « Je veux de l’air pur et de l’eau cristalline. J’ai déjà planté des millions d’arbres »
[Trump] « [La gauche] Ils veulent détruire nos immeubles [avec leur plan climat] »
[Biden] « Je rejoindrai, comme Président, les Accords de Paris »
[Biden] « Je ne soutiens pas le Green New Deal, mais le Biden Deal »
[Biden] « J’accepterai les résultats quoi qu’il se passe »
[Trump] « Il envoient deux bulletins dans les régions démocrates […] Les facteurs sont corrompus »
[Trump] « J’utiliserai la Cour Suprême pour faire valider les résultats des élections »