« Qui a le goût de l’absolu renonce au bonheur ». Ce goût de l’absolu, c’est celui qui donnera tout son sens au destin commun de Bérénice et Aurélien, protagonistes du roman de Louis Aragon, Aurélien, publié en 1944. Un destin initié par l’une des rencontres les plus marquantes de la littérature française.
Interloquée et prise au dépourvue par cette vision aux antipodes de l’amour tel qu’il est dépeint dans la plupart des œuvres, je me heurtai aux mots employés par Aragon lorsque je lus pour la première fois l’incipit du roman éponyme Aurélien : « La première fois qu’Aurélien vit Bérénice, il la trouva franchement laide. Elle lui déplut enfin. » Drôle de manière de commencer un roman sur le sentiment amoureux. Car c’est bien de sentiments dont il est question dans Aurélien et non pas d’histoire d’amour. L’histoire ne commence jamais, seul un fantasme commun est partagé. Pourtant, j’aime qu’Aragon ait choisi d’exposer la rencontre entre les deux protagonistes comme quelque chose d’imparfait. Après tout, la magie de la rencontre c’est parfois le non-aboutissement.
C’est probablement parce que l’histoire d’Aurélien et de Bérénice est intervenue dans un moment particulier de ma vie que je me suis autant prise de passion pour ce roman et en particulier pour Aurélien. Car Aurélien est « avant tout une situation, un homme dans une certaine situation » pour reprendre les termes d’Aragon. C’est un homme perdu, survivant de la guerre de 14-18, qui ne parvient plus à retrouver sa place au sein de la société qu’il a quittée puis retrouvée. Comment faire alors pour continuer à vivre dans un monde qui a perdu tout son sens ?
Bérénice devient ainsi une tentative de s’y raccrocher. Pourtant, elle est elle-même tourmentée par la même interrogation, emprisonnée dans sa campagne et dans un mariage qu’elle révulse. Cette quête de sens les rapprochera dans un premier temps, avant que celle-ci ne s’efface, brisée par leur passé et le retour à la réalité.
Or, c’est précisément la cruauté de la réalité et cette réflexion sur la légitimité de la rêverie lorsque le monde semble nous rejeter qui m’apparut comme une révélation. Faut-il s’accrocher à un sentiment qui n’a aucune chance d’aboutir ? Poursuivre un but alors même que celui-ci semble vain ? Aragon ne donne pas la réponse. Mais l’issue du roman semble en donner une idée.
Peut être que mon ressenti sur ce roman n’est pas celui qu’Aragon aurait voulu transmettre. Mais n’est-ce point l’objectif de l’écrivain ? Nous délivrer une œuvre capable de nous émouvoir à tel point que celle ci se retrouve complètement appropriée par notre être.
Laura Demeulenaere
Très belle analyse !