Ce vendredi 20 novembre, c’était autour du Sénat de voter la Loi de Programmation Pluriannuelle de la Recherche (ou LPPR pour les intimes). Initiée par le gouvernement Philippe le 1er février 2019, elle avait été source de craintes provoquant de nombreuses mobilisations de la communauté de chercheurs en décembre dernier. Après une pause dans la procédure au printemps liée à la situation sanitaire, le projet de loi controversé est finalement adopté, et les enjeux sont considérables.
Une procédure qui pose question
Avant même de s’attarder sur le contenu de la loi, la procédure ayant permis son adoption n’est pas exempte de tout reproche. L’annonce des premières mesures en décembre dernier n’a pas manqué d’aviver les contestations du monde universitaire, tues de facto par le confinement à la mi-mars 2020. Faisant fi des revendications, la ministre de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche, Frédérique Vidal, a tout de même continué à faire avancer son projet dès le déconfinement. La loi est proposée cet été en Conseil des Ministres et fait même l’objet d’une procédure accélérée pour pouvoir être votée en septembre, puis soumise aux sénateurs dans la nuit du 28 au 29 octobre. Elle est enfin validée à l’Assemblée Nationale ce mardi 17 novembre, par 183 contre 83, puis passe une dernière fois par le Sénat, dans un contexte qui peut nous poser question quant à la réelle légitimité de cette prise de décision.
“Des CDI de projet”
Cette loi a été annoncée par le Gouvernement comme « un réinvestissement massif dans la recherche ». Alors que le domaine est en sous-investissement depuis des années, Matignon a promis d’y remédier grâce à l’injection de 25 milliards d’euros d’ici 2030. L’objectif au long terme est évidemment une recherche plus performante dans un contexte de compétitivité internationale accrue où la France peine à récupérer son retard. Mais parallèlement, de nombreux points importants restent à souligner dans ledit texte. Tout d’abord, la façon dont sont recrutés les enseignants chercheurs est reformée. Si jusque aujourd’hui, avant de pouvoir enseigner, les titulaires d’un doctorat devaient être qualifiés par le CNU (Conseil National des universités), Frédérique Vidal se dit prête à « expérimenter », pour réviser un recrutement plus souple. Les modalités des contrats des enseignants chercheurs pourraient également évoluer. En effet, le projet de loi crée le concept paradoxal de « CDI de projet », contrat a priori indéterminé mais finalement de quelques mois ou quelques années entraînant un licenciement à la fin de la mission menée.
En outre, les moyens de financement mis en avant favorisent le financement par “appel à projets”, sur des sujets donc plus ciblés ayant un terme. L’ANR (Agence Nationale de Recherche), principal organisme finançant via cette procédure voit ainsi ces moyens augmenter et est donc établi comme prioritaire face au CNRS (Centre National de Recherche Scientifique).
Pourquoi ça pose souci?
Votre esprit perspicace l’aura sans doute deviné à la lecture du paragraphe précédent, les mesures citées peuvent être sujettes à plusieurs remises en questions. Plutôt que d’apporter des moyens concrets permettant aux enseignants-chercheurs de faire leur travail, cette loi privilégie une plus grande compétition. Certes, les dispositions mises en place pourraient permettre de multiplier la quantité de projets menés à leurs termes. Cependant, rappelons que quantité ne rime pas forcément avec qualité (enfin, littéralement oui). La performance est recherchée, mais la condition des enseignants ne semble pas préoccuper énormément au sein du gouvernement. Le « CDI de projet » apparait comme un moyen de donner les pleins pouvoirs à l’employeur, précarisant davantage le chercheur dont l’emploi devient instable. Le soutien donné à l’ANR semble aussi aller dans ce sens, cet organisme privilégie en effet les projets à durée déterminée tout en évitant toute prise de risque. La recherche est un sujet sérieux, permettant de faire des avancées scientifiques considérables, il est primordial de laisser une certaine liberté aux chercheurs que ce soit dans les sujets traités, ou dans le temps nécessaire.
Bonus des blocus
L’ajout d’un amendement pénalisant de trois ans de prison et 45 000 euros d’amende l’intrusion ou le blocus en réunion d’un établissement supérieur sans autorisation, n’a pas manqué de surprendre. L’adoption de cette mesure, à une période ou il est évidemment difficile pour les étudiants de protester porte sérieusement atteinte à la liberté d’expression. Cette disposition est représentative des moyens d’actions mis en place par le gouvernement depuis quelques mois. Des mesures prises à l’abri des regards alors que les moyens d’actions pour les contredire sont drastiquement diminués (cf la loi de sécurité globale). Cependant, un espoir subsiste, une intervention du Conseil Constitutionnel qui pourrait censurer cet article.
Pablo May